papibilou a écrit : ↑08 juin 2021 17:55
A force de croire que l'on ne peut comparer les époques les programmes etc on finit par penser que rien ne peut être mesuré. Si je prends par exemple ( il y en a bien d'autres) cette étude :
https://www.education.gouv.fr/cedre-200 ... sse-306336
vous pouvez vous boucher les yeux, mais l'écart existe.
Que la sociologie tente d'expliquer les raisons des écarts de niveau me semble logique, pas qu'on les nie.
C'est encore plus facile avec le primaire, car il existe ce que les enseignants nomment les " fondamentaux". Or ces fondamentaux évoluent peu. Et la aussi le niveau a baissé.
S'agit-il d" idées reçues" ? Surement pas.
Et du coup ? Pourquoi le niveau "baisse" selon toi ?
Je mets "baisse" entre guillemets parce que la massification scolaire a également permis une hausse du nombre d'étudiants brillants.
Voilà un article que j'ai trouvé sur le cairn. Marie-Duru Bellat est spécialiste de la sociologie de l'éducation et enseignante à Sciences Po Paris.
Vous avez déclaré récemment : « L’apprentissage de l’anglais en primaire, c’est très bien pour ceux qui peuvent voyager, pour de nombreux métiers, mais à l’Institut de recherche sur l’éducation (IREDU) nous avons vu que les professeurs prenaient en général sur les heures consacrées au “français”, et que cela gênait les élèves les plus fragiles pour l’apprentissage de la lecture ». Ce point de vue est intéressant en ce qu’il se refuse de lier la « baisse » du niveau avec les supposées carences des classes populaires ou le laxisme programmé des institutions. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Marie Duru-Bellat, sociologue spécialiste des questions… : Il y a plusieurs points dans cette question. Je ferai d’emblée un sort à celle de la baisse du niveau
Sur cette question comme pour toutes celles traitées ici, je…. Car cette question, sérieuse, ne doit pas être renvoyée à des « causes » aussi approximatives que les carences des classes populaires ou le « laxisme » des institutions. D’abord, il faut souligner que, si l’on raisonne sur une période de temps longue (en gros, un siècle), cette « baisse » n’est avérée qu’en ce qui concerne l’orthographe, mais moins strictement démontrée pour les capacités littéraires plus générales des élèves. Par contre, il n’y a pas de baisse du niveau et même parfois une élévation, dans des disciplines comme les mathématiques et les sciences, les langues vivantes, l’histoire géographie ou l’économie. De plus, il faut tenir compte du fait que lorsqu’on fait des comparaisons dans le temps, on ne compare pas les mêmes élèves, vu que l’accès à l’éducation s’est considérablement élargi ; les populations concernées par le niveau bac, par exemple, sont forcément plus hétérogènes aujourd’hui, par rapport aux années cinquante où seulement un cinquième de la population accédait à ce niveau.
L’institution s’adapte et c’est le contraire qui serait problématique : elle s’adapte non seulement à des élèves différents, mais aussi à ce qui est considéré comme nécessaire vu les exigences de la vie : on ne fait plus faire des pleins et des déliés aux élèves mais de l’économie ; on est moins regardant sur l’orthographe mais plus exigeant en langue vivante... Au total, ce qui est requis pas l’institution n’est vraisemblablement pas moins important mais qualitativement différent, même si tous ces changements peuvent être débattus.
Un autre aspect de la question du niveau, moins souvent abordé, est « le niveau de qui ? ». Sur le long terme, certaines études fiables montrent que les élèves les plus faibles ont beaucoup gagné à fréquenter l’école, les écarts étant mois marqués aujourd’hui entre les plus forts et les plus faibles, comme le montre le suivi des niveaux des conscrits à des épreuves relativement élémentaires. Mais sur le court terme, les études du ministère de l’Éducation nationale révèlent, depuis la toute fin du vingtième siècle, une certaine baisse du niveau des élèves les plus faibles (à la fois en français et en mathématiques) au sortir de l’école primaire. De même, les études comparatives PISA (qui évaluent les élèves de 15 ans dans un grand nombre de pays) montrent que, si le niveau des meilleurs de nos élèves est bon et stable, le niveau de nos plus faibles, déjà comparativement médiocre, a tendance à baisser. La question du niveau est donc d’actualité mais il convient d’en faire un diagnostic précis, et sans lancer des anathèmes aussi sommaires que le « laxisme programmé des institutions »...
Quant aux « carences des classes populaires », c’est aussi une question sérieuse : il est avéré que le bagage des enfants en matière de langage (et aussi en termes d’outils cognitifs tels que la latéralisation ou le repérage dans le temps) est inégal selon le niveau socioculturel des familles ; on sait aussi que la préscolarisation ne suffit pas à combler ces inégalités, qui tendent à s’accroitre ensuite. Il faut prendre à bras le corps ce problème, qui n’a rien de fatal, puisque là encore, les études comparatives internationales montrent que certains systèmes éducatifs parviennent, mieux que d’autres, à limiter ces inégalités ; en tous cas, rien ne permet d’établir que ces carences ont augmenté et que cela constituerait un facteur expliquant la présupposée « baisse » de niveau...
Puisque j’écarte ainsi deux pistes explicatives à cette baisse concernant avant tout l’orthographe, ou plus générale mais récente, il faut chercher ailleurs... Il convient alors de s’intéresser à la manière dont l’institution gère le temps scolaire, sachant que le temps consacré aux apprentissages est, avec les maitres qui l’organisent, le principal ingrédient de ce que les élèves acquièrent. Or le temps scolaire a littéralement fondu (de 1338 heures en primaire au début du siècle, à 850 heures en 2007), tandis qu’on introduisait dans le même temps de nouveaux enseignements (de l’éducation artistique à l’éducation routière)... Les enseignants sont donc contraints, au quotidien, de s’adapter à un temps devenu (encore) plus compté. Que s’est-il passé, par exemple quand ont été lancées les premières expérimentations en matière d’initiation aux langues étrangères ? Une enquête menée à l’IREDU par S. Génelot et A. Mingat [3]
Les Cahiers de l’IREDU, « L’enseignement des langues à l’école… a montré (entre autres) que les instituteurs « prenaient » le temps requis pour la langue sur le français ce qui nuisait avant tout aux élèves les plus lents, les plus faibles... Pour en revenir à la question du niveau, il est certain que l’évolution du rapport entre temps disponible et contenus de formation prescrit est un paramètre fondamental.
Votre analyse de l’école comme lieu de compétition ou de « lutte » entre classes sociales, tranche avec un discours dominant qui tend à discréditer cette notion. Quelles analyses peuvent en renouveler l’approche ?
Ce qui confirme que l’école (et les diplômes qu’elle délivre) est un espace de compétition, c’est le déplacement et le renouvèlement des inégalités sociales au fur et à mesure que l’accès à l’éducation s’élargit. On aurait en effet pu s’attendre à ce que, avec l’élévation du niveau socioéconomique et d’éducation des parents, les chances devant l’école s’égalisent peu à peu.
Or, ce qu’on observe, c’est que les inégalités se manifestent toujours : non seulement il y a toujours des inégalités de résultats, mais les inégalités de choix scolaires (choix d’options, choix d’orientation) sont de plus en plus importantes, tant le système est devenu complexe. Chaque fois que l’accès à un niveau se démocratise (le collège par exemple), les inégalités se déplacent et/ou prennent une forme plus qualitative. C’est très net avec le bac, aujourd’hui « démocratisé » au sens où un pourcentage bien plus élevé (plus de 65 % d’une classe d’âge) l’obtient ; mais il subsiste des inégalités « quantitatives » et « qualitatives », avec un écart de 1 à 2 entre les groupes sociaux les plus/les moins favorisés pour ce qui est de l’accès au bac en général, et des écarts cette fois de 1 à 10 pour ce qui est de l’accès à une série S notamment. Dans le supérieur, bien plus d’étudiants accèdent aux universités, mais l’accès aux grandes écoles (qui limitent leurs effectifs) ne bouge quasiment pas malgré des réformes symboliques...
Avez-vous d’autres exemples qui peuvent expliquer l’évolution de la discipline français au sein du système scolaire ? Ces évolutions ont-elles eu des conséquences en termes de démocratisation ?
On a, dans les années 1960-70, cherché à donner plus de poids aux disciplines scientifiques pour des raisons de nature différente. On entendait tout d’abord initier les élèves à ces sciences en plein développement, qui allaient, pensait-on, nourrir le progrès : dans le secondaire (au niveau collège), le volume horaire alloué aux différentes disciplines scientifiques passe de 3h40 dans la première moitié du vingtième siècle à 6h30 en 1989 ; dans le même temps, les heures affectées au français et aux langues vivantes et anciennes passent d’environ 13 heures à 7h50. Sont augmentés les enseignements artistiques et l’éducation physique. Au terme de ces évolutions, qui font tendre vers une parité des horaires entre sciences et lettres (alors que le rapport était de 1 à 3,6 en 1926), la France a un profil assez proche des autres pays européens.
Un autre objectif plus ou moins implicite de cette évolution, était, espérait-on, une certaine démocratisation. Les analyses de P. Bourdieu et J.-C. Passeron, publiées dans la seconde moitié des années 1960, avaient convaincu du caractère « élitiste » socialement des enseignements littéraires : on pensait alors qu’en équilibrer les poids par rapport à d’autres disciplines perçues comme moins connotées socialement, pouvait contribuer à égaliser les réussites des élèves. Peine perdue : la recherche a montré que les inégalités se manifestaient avec autant de force en calcul qu’en lecture, dès l’école primaire, et dans toutes les disciplines ensuite.
Selon vous quelles réformes, globales ou locales, générales ou disciplinaires, seraient souhaitables ?
C’est une vaste question, qui plus est qui dépasse le champ de compétence du chercheur. Je dirai simplement deux choses. D’abord, établir des priorités claires dans la définition de ce dont on entend doter tous les élèves au terme de la scolarité obligatoire – le Socle commun – et tout faire pour enrayer précocement, dès qu’on les observe, toutes les inégalités à cet égard.
Deuxièmement, tenir compte – égaliser, moduler si besoin – de ce que l’institution offre aux élèves. Nous en avons peu parlé, mais un des ressorts des inégalités sociales, c’est que les élèves bénéficient de conditions de travail inégales : dans les contextes populaires, ils font face à des enseignants débutants, à un environnement global moins stimulant. Ainsi, être dans une classe où les camarades sont en grande majorité de milieu populaire fait qu’au total, l’enseignement étant plus difficile au quotidien, les programmes sont moins bien couverts. La mixité sociale n’est pas une mode mais bien une source d’efficacité plus grande, dès lors que les apprentissages des plus favorisés n’en sont guère affectés et que ceux des moins favorisés en bénéficient de manière significative. Mais c’est là une question délicate à gérer sur le plan politique, comme c’est de fait le cas pour toutes les questions d’éducation.
"Etre de gauche c'est d'abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi; être de droite c'est l'inverse" Gilles Deleuze