Fausses évidences sur le djihadisme

Actualité hebdo, politique, économie, informations...
Verrouillé
jabar
Posteur Titanesque
Posteur Titanesque
Messages : 5664
Enregistré le : 22 août 2019 11:50

Fausses évidences sur le djihadisme

Message par jabar » 28 octobre 2020 10:06

Très bon article du diplo:

https://www.monde-diplomatique.fr/2020/03/BONELLI/61504
Fausses évidences sur le djihadisme

Le président Emmanuel Macron a mis en garde, le 18 février, contre le « séparatisme islamiste » qui menacerait des cités françaises. Il prétend y remédier en réduisant le nombre d’imams étrangers et en réglementant plus rigoureusement l’apprentissage de l’arabe. La crainte de l’intégrisme musulman et de ses liens supposés avec le djihadisme continue d’alimenter les polémiques.

par Laurent Bonelli & Fabien Carrié

Les grands médias adorent mettre en scène des querelles intellectuelles, dès lors qu’elles offrent des explications simples et globalisantes aux évolutions de la société. Celle qui entoure le djihadisme occupe une place privilégiée. Celui-ci pourrait s’expliquer par une « radicalisation de l’islam », comme le soutient le politologue Gilles Kepel, ou au contraire par une « islamisation de la radicalité », comme le laisse entendre le chercheur Olivier Roy.

Deux ouvrages récents (1) sont venus relancer ce débat aux allures de match de boxe, et marqueraient la « victoire » du premier sur le second (Le Figaro, 17 janvier 2020). À partir d’entretiens avec des djihadistes incarcérés et de monographies de plusieurs communes (dont Toulouse, Aubervilliers, Mantes-la-Jolie, Argenteuil, en France, et Molenbeek, en Belgique), ces essais décrivent la constitution d’« écosystèmes islamiques », composés de lieux de culte, de restaurants halal, de cybercafés, d’écoles confessionnelles, d’associations culturelles ou sportives. Entre les mains de « salafo-djihadistes », ces espaces de socialisation nourriraient une « logique de rupture avec la société globale et ses institutions », affirme le livre dirigé par Bernard Rougier. Ils constitueraient parfois l’antichambre de passages à l’acte violent ou susciteraient des velléités de rejoindre l’Organisation de l’État islamique (OEI). Quant aux prisons, elles seraient devenues des « phalanstères », des « incubateurs » utilisés par les djihadistes « pour diffuser leurs idées vers les villes et quartiers dont sont originaires et où s’en retourneront leurs codétenus », lit-on chez Hugo Micheron. Ces phénomènes auraient été ignorés par les autorités — les termes « cécité » et « aveuglement » reviennent régulièrement — et rendus possibles par la complicité d’élus locaux inconscients, ou motivés par des intérêts électoraux, ainsi que d’intellectuels et de militants préoccupés par l’« islamophobie ».

X aurait fréquenté telle mosquée...

Ces thèses ont suscité un fort engouement médiatique, à en juger par le nombre d’articles, d’entretiens, d’émissions de radio et de télévision qui leur ont été consacrés. Leur succès tient pourtant moins à leur justesse scientifique qu’à la grille de lecture idéologique qu’elles proposent. Négligeant les acquis de la sociologie politique, de celle des mouvements sociaux ou de l’histoire sociale, ces travaux réhabilitent une « histoire des idées », dans laquelle les individus agiraient principalement en vertu de la force propre de textes ou de discours. De même que les écrits de Karl Marx expliqueraient les expériences communistes, et ceux des Lumières la Révolution française, ceux d’Ahmad Ibn Hanbal (780-855), de Mohammed Ibn Abd Al-Wahhab (1703-1792) ou de Sayyed Qotb (1906-1966) permettraient d’analyser le djihadisme, affirme Rougier.

Kepel et Rougier sont des spécialistes de l’exégèse des querelles théologiques dans le monde musulman. Ils sont professionnellement portés à croire au pouvoir des mots et à indexer des expériences concrètes (du conflit en Afghanistan à la constitution de l’OEI en passant par les attentats du 11 septembre 2001) sur des évolutions doctrinales. Cette posture les rend peu sensibles aux raisons pour lesquelles l’idéologie réussit à s’imposer chez certains individus, et surtout aux bricolages que ces derniers opèrent pour l’acclimater à leur environnement social, culturel et politique. La démonstration recourt alors volontiers à un registre épidémiologique. Idées et virus se propageraient de la même manière. « Pour que la diffusion s’opère, écrivait André Siegfried, l’un des pères fondateurs de la science politique française, il faudra nécessairement un germe, un vecteur et un milieu réceptif (2). » Le travail de certains militants aguerris augmenterait ainsi la « probabilité de la contagion » (Rougier) ; et l’on observerait que des « cellules souches » ont pu « se scinder afin de croître parallèlement de part et d’autre de l’Europe et du Moyen-Orient » (Micheron).

Dans ce cadre, les agissements des activistes sont ramenés à une stratégie globale qui aurait été pensée ailleurs et par d’autres (Oussama Ben Laden, Abou Moussab Al-Zarkaoui ou Abou Bakr Al-Baghdadi, selon les moments), et à laquelle ils essaieraient de se conformer. Alors même que les cellules djihadistes ayant frappé en Europe depuis le début des années 2000 — à l’exception notable des auteurs des attentats du 13 novembre 2015 à Paris — semblent avoir été auto-organisées et autonomes, cette vision instrumentale prête à ces grandes figures du djihad un pouvoir quasi démiurgique sur des territoires où elles n’ont pourtant guère de relais. Les données de terrain présentées par Micheron et Rougier empruntent à une vision policière de l’histoire. X aurait fréquenté telle mosquée. Il y aurait rencontré Y, qui lui-même était en contact avec Z en Syrie, et ainsi de suite. Se tisse alors un fil de relations ramenant immanquablement au centre supposé de production idéologique.

Un tel mode de raisonnement est ancien. Dans les années 1970-1980, il faisait chercher la main de Moscou derrière l’action des Brigades rouges italiennes, de la Fraction armée rouge allemande ou d’Action directe en France. Pour l’historien Carlo Ginzburg, qui l’observe également dans les procès en sorcellerie, il constitue pourtant une « bourde logique », car il « signifie glisser tacitement (et indûment) du plan de la simple possibilité à celui de l’assertion de fait ; du conditionnel à l’indicatif » (3).

Cette pente stratégique s’observe également dans le rôle attribué aux « écosystèmes islamistes ». Ils fonctionneraient tantôt comme un accélérateur du passage à la violence, tantôt comme un projet autonome visant à constituer des « enclaves communautaires » dont la visée serait une « sécession à coloration religieuse », comme l’écrit Micheron.

Pourtant, en Europe, du moins, rien ne permet d’établir un lien de causalité entre la présence de certains groupes religieux sur un territoire et l’engagement violent. Lorsqu’on retrace les trajectoires des djihadistes, on constate que certains passent effectivement par ces organisations, dont ils se détachent ensuite, les trouvant trop modérées ; mais que d’autres n’entretiennent strictement aucun lien avec elles. Ce sont alors des formes d’émulation au sein de petits groupes de pairs ou de réseaux familiaux qui s’avèrent déterminantes (4). À l’inverse, Marseille, considérée par les services du ministère de l’intérieur comme le principal foyer salafiste français, a été largement épargnée par le djihadisme, accréditant la thèse selon laquelle ce type de structure peut aussi fonctionner comme un « tampon », limitant la violence politique.

De la même manière, la focalisation des auteurs sur les militants les plus convaincus les conduit à largement surestimer leur influence dans l’évolution des quartiers populaires et à adopter sans distance leur point de vue lorsqu’ils livrent leur analyse de la situation. En léninistes qui s’ignorent, ils croient au rôle des avant-gardes, qui, par la « conviction », la « pression » ou l’« intimidation », ne rencontreraient que « peu de contradictions à l’échelle locale et encore moins d’oppositions franches » (Rougier). Réduits au rôle peu valorisant de « proies », selon le terme de Micheron, les autres musulmans n’auraient d’autre choix que de soutenir les « djihado-salafistes ». Or ces analyses font peu de cas de la diversité de l’islam en France et des rapports de forces en son sein.

Si l’on en croit les services de renseignement, sur 2 600 lieux de culte musulmans, 130 étaient classés comme « radicaux » en 2018, soit 5 % (Le Figaro, 27 décembre 2018). Dans l’essentiel des salles de prière officient donc des imams aux inspirations doctrinales différentes et concurrentes. Certains sont envoyés par les pays d’émigration (l’Algérie et la Turquie, notamment). Plus fréquemment, ils sont choisis par la communauté locale des fidèles. Leur autorité dépend ainsi largement de leur capacité à répondre à des demandes variables, voire contradictoires, mais qui portent généralement moins sur le dogme que sur les dilemmes du quotidien au sujet du couple, de la famille ou de la vie professionnelle. Sommés de les résoudre, ils ont davantage tendance à rechercher des accommodements « religieusement acceptables » avec la société dans laquelle ils vivent qu’à prôner le séparatisme religieux (5). Bien entendu, il n’est pas rare qu’ils soient contestés sur ce terrain par des individus ou de petits groupes plus dogmatiques. Mais ceux-ci rencontrent alors l’hostilité — parfois musclée — de la majorité des fidèles, et il est rare qu’ils parviennent à retourner la situation à leur avantage. Les dossiers judiciaires de jeunes gens partis en Syrie foisonnent de ces rappels à l’ordre brutaux qui les poussent à chercher ailleurs ce qu’ils ne peuvent obtenir ici.

C’est dire s’il est difficile de déduire le regain de religiosité musulmane observable dans certains milieux populaires du simple rôle d’avant-gardes militantes. Pour le comprendre, il faut au contraire revenir sur les profondes transformations qu’ont connues ces univers durant les quarante dernières années. La paupérisation, mais aussi la dégradation progressive des services publics, le déclin de l’encadrement associatif et politique, l’essoufflement des promesses collectives d’émancipation (la Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983) produisent des « socialisations générationnelles » différentes, observables à l’intérieur même des fratries (6). Ces évolutions permettent et rendent crédibles des identifications à l’islam qui offrent simultanément une respectabilité et un sentiment d’appartenance collective. Dans ce processus, des porte-parole ont émergé ou se sont renforcés, essayant de faire exister un « nous » musulman dans l’espace politique. Peu concluantes au niveau national (l’Union des démocrates musulmans français a par exemple obtenu son meilleur score aux élections européennes de 2019 avec 28 400 voix, soit 0,13 % des suffrages), ces mobilisations apparaissent avec une plus grande fréquence localement. Elles portent sur la construction ou la rénovation de lieux de culte, et souvent sur des questions scolaires (exclusion, accompagnement des sorties, menus dans les cantines) (7).

Voir dans ces initiatives un « projet idéologique vivant et cohérent, porteur d’une identification collective nouvelle, ayant pour fonction stratégique de regrouper des populations hétérogènes sous la seule autorité du référent islamique » (Rougier) revient à oublier un peu vite le caractère hautement concurrentiel de tout projet de représentation d’un groupe et les effets de cette compétition sur l’idéologie elle-même.

Pour que des idées comptent, il faut que des forces sociales nombreuses les endossent, parce qu’elles peuvent s’y reconnaître. L’exhibition dogmatique d’une pureté politique ou religieuse a un sens dans les luttes entre groupuscules d’avant-garde, qu’elle voue d’ailleurs à des scissions perpétuelles. En revanche, toute organisation soucieuse d’élargir sa base pour pouvoir compter est conduite à des transactions et à des concessions qui l’obligent à transiger avec l’intégrité de sa ligne (8). L’évolution vers un islam « consensuel et non vindicatif (9) » de certaines fractions de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), qui souhaitent se faire reconnaître comme des intermédiaires fréquentables par les autorités locales, va sans doute en ce sens, même si elle lui aliène certains fidèles.

Mais de tels ajustements ne suffisent pas à faire exister un groupe, tant les trajectoires et les expériences des musulmans sont diverses en France, même dans les milieux et les quartiers populaires. Malgré toutes les inégalités qui les frappent, ces derniers ne vivent pas en insularité par rapport au reste de la société française. Oublier les multiples relations qui les y relient (de l’éducation aux services publics en passant par le monde du travail) pour s’alarmer d’un présumé « séparatisme » revient à faire passer les désirs des plus minoritaires et des plus radicaux pour une description de la réalité. Ce qui constitue à la fois une erreur d’analyse et une maladresse politique.

Laurent Bonelli & Fabien Carrié

Respectivement maître de conférences en science politique à l’université Paris Nanterre et chargé de recherche au Fonds de la recherche scientifique (FRS-FNRS) belge. Auteurs de La Fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes français, Seuil, Paris, 2018.

Fonck1
Administrateur
Administrateur
Messages : 134024
Enregistré le : 02 mai 2006 16:22
Genre :

Re: Fausses évidences sur le djihadisme

Message par Fonck1 » 28 octobre 2020 10:18

Bonjour,
Éditez et faites un résumé RÉDIGÉ de votre sujet, un texte trop long est difficilement lisible pour les foromeurs.
je vous l'ai mis en spoiler pour ceux qui veulent le lire puissent, pour le reste, EXPOSEZ le sujet, sans quoi il sera fermé.

la modération
« Ainsi s'éteint la liberté, sous une pluie d'applaudissements. » Star Wars, épisode III
"nul bien sans peine".....

jabar
Posteur Titanesque
Posteur Titanesque
Messages : 5664
Enregistré le : 22 août 2019 11:50

Re: Fausses évidences sur le djihadisme

Message par jabar » 28 octobre 2020 10:49

Très bien, alors un petit résumé de l'article. Il s'agit de remettre en cause cette notion de séparatisme islamique, critiquer une supposée isolation des musulmans quand en fait leur présence est très intriquée dans la société française (éducation, politique etc).
Ce séparatisme, c'est faire passer pour une généralité le désir de quelques radicaux isolés. Un séparatisme qui n'existe pas au quotidien et dans les institutions islamiques.

capochef99
Posteur Giganovesque
Posteur Giganovesque
Messages : 4340
Enregistré le : 05 novembre 2018 10:38

Re: Fausses évidences sur le djihadisme

Message par capochef99 » 28 octobre 2020 11:56

Un petit exemple ???
- LA CONDAMINE, un village crée dans l'arrière pays de NICE, avec des petits immeubles dans lesquelles étaient loggés pour moitié des Niçois, et pour l'autre moitié des immigrés.
Il n'y reste plus que les immigrés !
Les raisons invoquées ?
Elles vous rappellent des propos de Chirac qui n'avaient pas été très appréciés !!!!

Verrouillé

Retourner vers « DISCUSSIONS POLITIQUE - ACTUALITÉ - DÉBATS »