Révolution chinoise
Posté : 28 mai 2009 13:46
La Chine poursuit sa révolution pour devenir le prochain pays maître du monde.
La fourmillière est en éternelle ébullition. Sauf que là, la crise précipite le mouvement.
Saurons-nous résister au prochain tsunami annoncé ? Rien n'est moins sûr !
Eric Leser est un des fondateurs de Slate.fr. Journaliste, ancien correspondant aux Etats-Unis et chef du service économique du journal Le Monde.
La révolution du yuan est en marche
Le yuan chinois peut-il devenir la nouvelle monnaie de réserve et d'échange internationale en lieu et place du dollar américain? La question aurait semblé au pire absurde et au mieux purement théorique il y a encore deux ans. Le plus grand choc subit par l'économie mondiale en 80 ans (à l'exception de la seconde guerre mondiale) né dans la finance américaine a changé la donne. Et cela même si les évolutions des rapports de force entre les monnaies sont lentes et s'apparentent à la tectonique des plaques. Il a fallu la première guerre mondiale, la grande dépression et le second conflit mondial pour que la livre sterling perde définitivement sa suprématie au détriment du dollar américain.
Ceci dit, Pékin se dote rapidement des outils pour faire du yuan une devise qui pèsera de plus en plus dans l'économie mondiale. Depuis deux mois, il n'y a plus le moindre doute sur les intentions chinoises.
D'abord, les dirigeants du pays se plaignent maintenant ouvertement de leur dépendance envers le dollar. Pékin détient plus de 2 mille milliards de dollars d'actifs accumulés au fil des années grâce aux excédents commerciaux recyclés en grande partie en Bons du Trésor américains. La crainte chinoise est de voir un effondrement de la valeur du dollar et des Bons du Trésor si Washington ne manifeste pas la moindre intention de contrôler et de limiter son déficit budgétaire. Alors Pékin menace? en espérant que cela soit suffisant pour inciter l'administration Obama à avoir d'autres priorités et objectifs que le sauvetage de ses établissements financiers et la relance de la croissance. Pour le Financial Times en date du 24 mai, Pékin est "pris au piège du dollar". Manifestement Pékin cherche activement à trouver une porte de sortie.
Reste à savoir si la menace agitée par les Chinois de laisser tomber le billet vert a une quelconque crédibilité. Le Premier ministre Wen Jiabao s'est plaint il y a deux mois du risque de voir les actifs en dollars du pays s'effondrer. Dix jours plus tard, le Gouverneur de la banque centrale chinoise Zhou Xiaochuan appelait à la création d'une nouvelle "super monnaie souveraine de réserve". Il évoquait alors l'idée de créer un panier de devises géré par le Fonds Monétaire International (FMI). Pratiquement, c'est une solution sans avenir tant elle serait complexe à mettre en œuvre techniquement et politiquement.
Si Pékin veut d'une alternative au dollar, la seule possibilité est de changer le statut et la nature du yuan, d'en faire une monnaie convertible. Il s'agira d'une révolution d'une ampleur considérable économique, financière et politique. Faire du yuan une devise convertible signifie que sa valeur ne sera plus fixée par le gouvernement chinois en fonction de ses considérations sociales, politiques et économiques mais dictée par les marchés, par des traders, des investisseurs, des sociétés et des gouvernements étrangers. Le 20 mai, un officiel chinois estimait que le yuan pourrait devenir une monnaie de réserve sérieuse d'ici 2020. Zhang Guangping, vice-président de la Commission de régulation bancaire chinoise à Shanghai ajoutait qu'à cette date la place financière de Shanghai devrait rivaliser avec celles de New York et de Londres.
Mais les choses pourraient aller nettement plus vite. Nicholas Lardy, spécialiste de la Chine au Peterson Institute, explique que l'idée de rendre le yuan convertible n'est pas vraiment nouvelle et remonte aux années 1990. Elle avait été mise à mal par la crise financière asiatique de 1997, mais d'après lui Pékin peut y parvenir en "deux ou trois ans". "Nous avons tendance à sous estimer l'ampleur des réformes menées dans leur système financier".
La révolution du yuan est déjà en marche. Au cours des dernières semaines, Pékin a conclu une série d'accords bilatéraux d'échanges de devises (swaps) avec les banques centrales d'Argentine, de Hong Kong, d'Indonésie, de Malaisie, de Corée du sud et dernièrement du Brésil. La Chine approvisionnera en yuans ces banques. Cela signifie que les pays en question n'ont plus besoin d'une devise intermédiaire, le dollar, pour commercer avec la Chine.
Mais il reste encore des obstacles sérieux à franchir pour le yuan devienne une monnaie internationale crédible. A commencer par l'absence d'un marché international d'obligations d'Etat chinoises. Jusqu'à aujourd'hui les obligations en yuan sont vendues uniquement en Chine, uniquement aux banques chinoises et uniquement à des institutions internationales comme la Banque de Développement Asiatique. Mais la semaine dernière, la HSBC et la Bank of East Asia ont annoncé devenir les premières étrangères autorisées à vendre des obligations en yuans en Chine.
Autre problème de taille pour Pékin, comment faire pour s'affranchir de sa dépendance vis-à-vis du dollar sans accélérer la perte de valeur de ses milliards de dollars d'actifs. Une façon pour les Chinois de réduire leur risque et de transférer progressivement leurs réserves d'obligations d'Etat américaines à long terme vers des titres à court terme. Cela rendra plus facile la vente progressive de ses actifs. La semaine dernière le New York Times écrivait dans un article que la Chine semble maintenir constant son niveau de détention d'actifs en dollars mais transfère ses avoirs vers des titres de maturité inférieure à un an, quelque chose qu'elle n'avait encore jamais fait...
La fourmillière est en éternelle ébullition. Sauf que là, la crise précipite le mouvement.
Saurons-nous résister au prochain tsunami annoncé ? Rien n'est moins sûr !
Eric Leser est un des fondateurs de Slate.fr. Journaliste, ancien correspondant aux Etats-Unis et chef du service économique du journal Le Monde.
La révolution du yuan est en marche
Le yuan chinois peut-il devenir la nouvelle monnaie de réserve et d'échange internationale en lieu et place du dollar américain? La question aurait semblé au pire absurde et au mieux purement théorique il y a encore deux ans. Le plus grand choc subit par l'économie mondiale en 80 ans (à l'exception de la seconde guerre mondiale) né dans la finance américaine a changé la donne. Et cela même si les évolutions des rapports de force entre les monnaies sont lentes et s'apparentent à la tectonique des plaques. Il a fallu la première guerre mondiale, la grande dépression et le second conflit mondial pour que la livre sterling perde définitivement sa suprématie au détriment du dollar américain.
Ceci dit, Pékin se dote rapidement des outils pour faire du yuan une devise qui pèsera de plus en plus dans l'économie mondiale. Depuis deux mois, il n'y a plus le moindre doute sur les intentions chinoises.
D'abord, les dirigeants du pays se plaignent maintenant ouvertement de leur dépendance envers le dollar. Pékin détient plus de 2 mille milliards de dollars d'actifs accumulés au fil des années grâce aux excédents commerciaux recyclés en grande partie en Bons du Trésor américains. La crainte chinoise est de voir un effondrement de la valeur du dollar et des Bons du Trésor si Washington ne manifeste pas la moindre intention de contrôler et de limiter son déficit budgétaire. Alors Pékin menace? en espérant que cela soit suffisant pour inciter l'administration Obama à avoir d'autres priorités et objectifs que le sauvetage de ses établissements financiers et la relance de la croissance. Pour le Financial Times en date du 24 mai, Pékin est "pris au piège du dollar". Manifestement Pékin cherche activement à trouver une porte de sortie.
Reste à savoir si la menace agitée par les Chinois de laisser tomber le billet vert a une quelconque crédibilité. Le Premier ministre Wen Jiabao s'est plaint il y a deux mois du risque de voir les actifs en dollars du pays s'effondrer. Dix jours plus tard, le Gouverneur de la banque centrale chinoise Zhou Xiaochuan appelait à la création d'une nouvelle "super monnaie souveraine de réserve". Il évoquait alors l'idée de créer un panier de devises géré par le Fonds Monétaire International (FMI). Pratiquement, c'est une solution sans avenir tant elle serait complexe à mettre en œuvre techniquement et politiquement.
Si Pékin veut d'une alternative au dollar, la seule possibilité est de changer le statut et la nature du yuan, d'en faire une monnaie convertible. Il s'agira d'une révolution d'une ampleur considérable économique, financière et politique. Faire du yuan une devise convertible signifie que sa valeur ne sera plus fixée par le gouvernement chinois en fonction de ses considérations sociales, politiques et économiques mais dictée par les marchés, par des traders, des investisseurs, des sociétés et des gouvernements étrangers. Le 20 mai, un officiel chinois estimait que le yuan pourrait devenir une monnaie de réserve sérieuse d'ici 2020. Zhang Guangping, vice-président de la Commission de régulation bancaire chinoise à Shanghai ajoutait qu'à cette date la place financière de Shanghai devrait rivaliser avec celles de New York et de Londres.
Mais les choses pourraient aller nettement plus vite. Nicholas Lardy, spécialiste de la Chine au Peterson Institute, explique que l'idée de rendre le yuan convertible n'est pas vraiment nouvelle et remonte aux années 1990. Elle avait été mise à mal par la crise financière asiatique de 1997, mais d'après lui Pékin peut y parvenir en "deux ou trois ans". "Nous avons tendance à sous estimer l'ampleur des réformes menées dans leur système financier".
La révolution du yuan est déjà en marche. Au cours des dernières semaines, Pékin a conclu une série d'accords bilatéraux d'échanges de devises (swaps) avec les banques centrales d'Argentine, de Hong Kong, d'Indonésie, de Malaisie, de Corée du sud et dernièrement du Brésil. La Chine approvisionnera en yuans ces banques. Cela signifie que les pays en question n'ont plus besoin d'une devise intermédiaire, le dollar, pour commercer avec la Chine.
Mais il reste encore des obstacles sérieux à franchir pour le yuan devienne une monnaie internationale crédible. A commencer par l'absence d'un marché international d'obligations d'Etat chinoises. Jusqu'à aujourd'hui les obligations en yuan sont vendues uniquement en Chine, uniquement aux banques chinoises et uniquement à des institutions internationales comme la Banque de Développement Asiatique. Mais la semaine dernière, la HSBC et la Bank of East Asia ont annoncé devenir les premières étrangères autorisées à vendre des obligations en yuans en Chine.
Autre problème de taille pour Pékin, comment faire pour s'affranchir de sa dépendance vis-à-vis du dollar sans accélérer la perte de valeur de ses milliards de dollars d'actifs. Une façon pour les Chinois de réduire leur risque et de transférer progressivement leurs réserves d'obligations d'Etat américaines à long terme vers des titres à court terme. Cela rendra plus facile la vente progressive de ses actifs. La semaine dernière le New York Times écrivait dans un article que la Chine semble maintenir constant son niveau de détention d'actifs en dollars mais transfère ses avoirs vers des titres de maturité inférieure à un an, quelque chose qu'elle n'avait encore jamais fait...