Ceux qui confondent J-M et Marine Le Pen n’y comprennent rien, pourquoi les français juifs sont de + en + à droite
Posté : 15 mars 2025 22:59
«Ceux qui confondent Jean-Marie et Marine Le Pen n’y comprennent rien» : pourquoi les Français juifs sont de plus en plus à droite
Shabbat Shalom.
Voilà de quoi occuper le forum pendant un mois au moins. Mais voilà une explication claire du phénomène, ceux qui disent que le RN est antisémite et que l'EG n'est pas antisémite vont devoir disserter un peu.ENQUÊTE - Ces dernières années, les Français de confession juive ont opéré un virage politique. Un retournement d’autant plus spectaculaire, qu’historiquement, ils sont plutôt ancrés à gauche.
« Tenez. Lisez ça ! » Assis derrière son bureau, la mine défaite, l’historien Serge Klarsfeld nous tend une feuille imprimée avec l’e-mail d’une professeur qui liste des questions confectionnées avec ses élèves qui lui sont adressées. L’une d’entre elles porte sur les moyens d’« agir contre les partis d’extrême droite » qui continuent d’être « vecteurs d’antisémitisme ».
« Vous voyez bien : certaines personnes ne sont pas perspicaces ou lucides sur la situation », regrette-t-il, amer. « Un enseignant, s’il ouvre le journal, devrait comprendre qu’aujourd’hui, c’est l’extrême gauche qui attaque les juifs dans le débat politique et pas l’extrême droite , qui n’est plus d’extrême droite ! », insiste-t-il.
Une évolution radicale
Alors qu’il retombe dans ses pensées, le silence pèse dans son bureau surplombé d’un large plan d’Auschwitz cloué au mur. À 89 ans, Serge Klarsfeld travaille encore chaque jour dans cette pièce où s’amoncellent piles de dossiers, portraits de famille encadrés et journaux datés du jour en différentes langues. Historien de combat, militant dans l’âme, celui que l’on surnomme « le chasseur de nazis » a traversé l’histoire du XXe siècle avec pour boussole la défense de la mémoire juive, des juifs persécutés et d’Israël. Alors que l’antisémitisme est de retour en Europe comme jamais depuis la Shoah, il s’est engagé à dénoncer ce qu’il considère comme les nouveaux périls. « Si un jour il faut faire un choix entre le RN et LFI, je n’aurai pas d’hésitation, je voterai RN », déclarait-il il y a un an, provoquant une vague de stupéfaction au sein des organes communautaires où la question est encore taboue.
Je me suis toujours battu contre l’extrême droite quand elle était antisémite, mais aujourd’hui, l’époque est différente
Serge Klarsfeld
Une déclaration mûrement réfléchie, prise en concertation avec son épouse Beate, enfant de la guerre comme lui, après la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023, à laquelle Marine Le Pen avait décidé de participer, contrairement au président de la République et à Jean-Luc Mélenchon. « Je me suis toujours battu contre l’extrême droite quand elle était antisémite, mais aujourd’hui, l’époque est différente : j’ai pris acte des déclarations de Marine Le Pen au Vel’d’Hiv et à différentes occasions. L’extrême gauche a pris le relais de l’extrême droite comme vecteur de l’antisémitisme », explique-t-il. Mais alors, qu’en est-il des islamistes ? « Les juifs sont obligés de considérer les islamistes comme les successeurs du nazisme. Aujourd’hui, ils sont assassinés par des islamistes, et les islamistes qui tuent des juifs à petite échelle voudraient une destruction totale de l’État juif et de ses citoyens », juge-t-il.
Une évolution radicale pour les Klarsfeld qui, au temps de Jean-Marie Le Pen, avaient fait de l’antilepénisme une affaire de famille. Leur fils, Arno, alors jeune et fougueux militant, l’avait combattu avec la même vigueur. En 1987, au congrès du FN au Bourget, il avait bondi sur l’estrade avec un tee-shirt sur lequel était écrit « Le Pen nazi », ce qui lui avait valu d’être passé à tabac par des gardes du corps. Il gardera des séquelles physiques de cette séquence, notamment une légère perte de vision à l’œil gauche.
Retournement spectaculaire
En affirmant publiquement que l’antisémitisme a changé de camp, Serge Klarsfeld s’est retrouvé sous le feu de virulentes critiques, et l’œuvre de sa vie fut remise en question. Pourtant, cette opinion est largement majoritaire chez ses coreligionnaires : un sondage Ifop datant de juin 2024, commandé par l’American Jewish Committee, en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique, révèle que 92 % de Français de confession juive considèrent que le parti de Jean-Luc Mélenchon est responsable de la montée de l’antisémitisme.
« Je n’ai jamais vu ça, reconnaît le sondeur Frédéric Dabi, qui a participé à l’étude. C’est la première fois, plus encore que le FN à l’époque, que les Français de confession juive désignent de manière aussi massive une force politique comme une menace pour eux. » Selon ce même sondage, le Rassemblement national n’arrive qu’à la troisième position des partis jugés dangereux, avec 49 %, derrière le parti écologiste. Des résultats qui prouvent une allergie viscérale à la gauche radicale tout autant qu’une lente dédiabolisation du parti frontiste.
Un retournement d’autant plus spectaculaire qu’historiquement, les Français de confession juive sont plutôt ancrés à gauche de l’échiquier politique. Après la Seconde Guerre mondiale tout particulièrement : l’enjeu était de se démarquer des forces nationalistes qui les avaient exclus de la communauté nationale. En Mai 68, les jeunes Français laïcs d’ascendance ashkénaze étaient surreprésentés au sein des mouvements progressistes estudiantins, des maoïstes aux trotskistes en passant par les anarchistes. En 1981, l’électorat juif montrait une franche adhésion à François Mitterrand, dix ans avant l’enquête du journaliste Pierre Péan révélant son amitié avec René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy.
Sur le long terme, on observe un glissement à droite très prononcé autour de la personnalité de Nicolas Sarkozy
Étude de l’Ifop conduite par Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach
Comment s’est opéré ce changement d’ancrage ? La question est complexe, car les statistiques ethniques sont interdites en France, et le vote confessionnel, tabou. De plus, les personnes de confession juive constituent moins de 1 % de la population française – environ 400.000 personnes –, ce qui rend la méthode d’échantillonnage périlleuse pour les sondeurs. D’un point de vue officiel, le vote juif n’existe pas, mais officieusement, tout comme le vote chrétien ou musulman, il demeure pluriel et divers, même si certains indicateurs permettent d’en isoler les tendances et leurs évolutions. À ce jour, la plus solide étude sur le sujet demeure « L’an prochain à Jérusalem ? », conduite par Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach de l’Ifop. Dans le cadre d’un vaste programme de recherche sur l’impact de la variable religieuse sur les comportements électoraux, sur des bases déclaratives, l’institut de sondage a consacré une large enquête à cette sociologie électorale que les auteurs appellent à « dépassionner ».
Le tournant Sarkozy
Si l’ancrage à gauche est une donnée ancienne, actée par différents chercheurs, les sondeurs montrent un tournant avec la présidence de Nicolas Sarkozy. « Sur le long terme, on observe un glissement à droite très prononcé autour de la personnalité de Nicolas Sarkozy », notent-ils. Sur les questions moyen-orientales, ce dernier tranche avec son prédécesseur Jacques Chirac : si ce dernier est perçu comme un « héros arabe », le maire de Neuilly devenu président, qui revendique un grand-père juif, est décrit comme un « ami d’Israël ». Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2007, il engrange des voix de près de 50 % sur ce segment de population. Jérôme Fourquet note « un tropisme droitier » et balaye l’hypothèse qu’il soit dû à une variable comme la catégorie socio-professionnelle : l’impact reste fort, y compris quand l’effet est neutralisé.
Avant, les juifs français avaient honte d’être de droite, maintenant, ils ont honte d’être de gauche
René Taïeb, ancien vice-président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme
Cet effet perdure lors de sa seconde candidature, en 2012, tandis que l’étude de l’Ifop est clôturée en 2014. Dix ans plus tard, après deux mandats d’Emmanuel Macron qui se définit « ni de droite ni de gauche », après l’effondrement des partis traditionnels et l’alliance de toutes les forces de gauche à l’extrême gauche à travers la Nupes puis du NFP lors des élections, tout porte à croire que ce mouvement de droitisation n’a fait que se renforcer. « Avant, les juifs français avaient honte d’être de droite, maintenant, ils ont honte d’être de gauche », raille René Taïeb, ancien vice-président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme.
Une partie de sa vie, Taïeb fut encarté au Parti socialiste et maire adjoint aux affaires économiques et à l’emploi de la ville de Montmagny, dans le Val-d’Oise. « Pour moi, à l’époque, être au PS, c’était être républicain. J’avais adhéré à ce parti pour sa fibre sociale et humaniste : mes parents viennent de Tunis, et grâce à l’école de la République, j’ai obtenu un diplôme d’ingénieur. C’était ma façon à moi de remercier la France. » En 2014, il se présente sous l’étiquette du parti de la rose pour devenir maire, mais le matin du premier tour des élections, des drapeaux israéliens sont dessinés sur ses affiches publicitaires et des tracts l’accusant de « sionisme » sont déposés devant les bureaux de vote. « Ma plainte a été classée sans suite et la fédération PS du Val-d’Oise ne m’a apporté aucun soutien », regrette-t-il.
Insécurité
Les années 2000 marquent le renouveau de l’antisémitisme en France. Les attentats de la rue Copernic ou de la rue des Rosiers et la profanation du cimetière de Carpentras montraient que la haine antijuive n’avait jamais cessé depuis la Shoah, mais la résurgence de l’antisémitisme du quotidien a lieu lors de la seconde Intifada en Israël. Synagogue détruite à Trappes, école confessionnelle incendiée à Marseille, violences, menaces, agressions. Daniel Vaillant, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Jospin, est accusé de minimiser les faits. « Au début des années 2000, la gauche a commencé à défendre les victimes palestiniennes plutôt que les juifs attaqués en France, regrette René Taïeb. Depuis, c’est un vase communicant : plus il y a des actes antisémites et de l’hostilité à gauche à l’égard d’Israël, plus il y a de l’insécurité, plus ils se droitisent. » En bref, comme pour l’ensemble de la communauté nationale, c’est l’insécurité qui fait pencher la balance, autant que l’aveuglement de ceux qui la nient.
Il y a une responsabilité de certains élus de LFI dans la montée de l’antisémitisme, notamment lorsqu’ils véhiculent l’idée qu’Israël serait un État génocidaire
Muriel Ouaknin-Melki, avocate et présidente de l’Organisation juive européenne
Avec le pogrom du 7 octobre 2023, ces dynamiques s’amplifient : si par le passé, une partie de la gauche restait muette face à la croissance des actes antijuifs, aujourd’hui des élus de La France insoumise tels qu’Aymeric Caron, David Guiraud ou Rima Hassan l’alimentent. « Il y a une responsabilité de certains élus de LFI dans la montée de l’antisémitisme, notamment lorsqu’ils véhiculent, ceints d’une écharpe tricolore, l’idée qu’Israël serait un État génocidaire, juge Muriel Ouaknin-Melki, avocate et présidente de l’Organisation juive européenne. Ce type de propos, qui pour certains relèverait du débat d’idées ou politique, peuvent inciter à la violence et provoquer la haine d’une façon très concrète. »
Le 7 octobre, filtre révélateur
Pour preuve : ces éléments de langage qui se retrouvent lors des passages à l’acte. Le 15 juin 2024, une jeune fille de confession juive de 12 ans est violentée, humiliée, battue et violée à Courbevoie par un groupe de « jeunes » qui reprennent à leur compte les termes des élus. « Elle a beau expliquer qu’elle ne soutient ni Israël ni la Palestine, qu’elle est pour la paix, ses agresseurs l’accusent de soutenir des génocidaires et leurs coups, à ce moment-là, redoublent », explique l’avocate de la famille. « On peut dire aujourd’hui que certains députés de La France insoumise sont les porte-voix de l’antisémitisme à l’Assemblée nationale et dans l’espace public », conclut-elle.
L’événement du 7 octobre 2023 éclate en Israël, mais agit comme un filtre révélateur en France et clarifie les positions des partis vis-à-vis du nouvel antisémitisme. Si l’extrême gauche ferme les yeux sur les conséquences de l’importation du conflit, le parti de Marine Le Pen dénonce systématiquement la haine antijuive. Là encore advient un retournement de l’histoire puisque c’est son père, Jean-Marie Le Pen, qui avait réveillé en son temps des craintes que l’on pensait éteintes. « Adolescent, j’avais presque oublié que j’étais juif, la question de la religion ou d’Israël ne se posait pas tant que ça », se souvient Paul Amar, ex-journaliste vedette d’Antenne 2 (future France 2). « Pour moi, c’est Jean-Marie Le Pen qui a remis l’antisémitisme pour la première fois sur la table après la Shoah. La communauté était vent debout contre lui car elle le considérait comme un danger », se souvient-il.
Le RN dans l’arc républicain
Dans les mémoires électorales restera cette séquence du débat entre Bernard Tapie et le Menhir, qu’il anima le 1erjuin 1994 et au cours duquel l’intervieweur sortit des gants de boxe pour illustrer l’affrontement rhétorique à venir. Trois décennies plus tard, c’est une autre menace qui l’inquiète. « Aujourd’hui, on se sent encore plus en danger qu’à l’époque de Jean-Marie Le Pen, de façon existentielle. Mais le danger n’est pas Marine Le Pen, mais Jean-Luc Mélenchon. Et cela ne date pas du 7 octobre : souvenez-vous en 2018, Mélenchon était venu à la marche blanche en hommage à Mireille Knoll, et il s’est fait chasser par les gens, se remémore-t-il. Ceux qui confondent Jean-Marie Le Pen et sa fille n’y comprennent rien. Ils continuent de penser que c’est du copier-coller et il faut le dire : ils se trompent. »
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Shabbat Shalom.