Poils au GUD...
Reportage
Nervis violents et saluts nazis :
l’extrême droite a défilé dans Paris ce samedi
Un millier de militants ultra-radicaux ont défilé samedi dans le VIe arrondissement à l’appel du «C9M». Une manifestation que les autorités avaient en vain tenté d’interdire,
et qui s’est conclue sur des saluts nazis.
Beaucoup de passants n’en croyaient pas leurs yeux. Un défilé d’extrême droite aux allures miliciennes a vu marcher un millier de militants sous de grandes bannières noires à croix celtique, ce samedi 10 mai à Paris. A l’issue de ce défilé annuel du «Comité du 9 Mai» (C9M), quelques figures de la mouvance se sont retrouvées dans la cour privée d’un immeuble de la rue des Chartreux (VIe arrondissement). A l’abri des regards, les participants y ont successivement tendu le bras, selon des images des faits obtenues par Libération.
Les badauds avaient vu juste, qui s’indignaient quelques minutes plus tôt de ce défilé «nazi» en plein Paris.
Vers 15 heures, dans le quartier chic de Port-Royal, sur une place bordant la rue d’Assas, des centaines de militants d’extrême droite avaient commencé à serrer les rangs, encadrés de loin par la police mais surtout par un service d’ordre de gros bras pour la plupart cagoulés. Se trouvait là le gotha de la mouvance, à l’image de
Marc de Cacqueray-Valménier, 26 ans et ultraviolent, leader des «nationalistes-révolutionnaires» français et de leur groupe phare historique, le GUD. Mais aussi
Jean-Eudes Gannat, venu d’Angers,
Raphaël Ayma (ex-collaborateur de député RN) venu de Provence, des Clermontois, des Lyonnais, des Bordelais… et même étrangers, d’Espagne, d’Allemagne ou d’Italie.
Certains visages ne sont pas inconnus au Rassemblement national, à l’image de ce militant du groupuscule Novelum Carcassonne, aperçu par Libération au premier rassemblement organisé le 1er mai par le parti à Narbonne.
Et de l’inévitable Axel Loustau, ex-conseiller régional RN et proche de Marine Le Pen :
une ancienne figure du GUD dont le fils, Gabriel, a repris le flambeau.
L’ambiance se tend rapidement, ce samedi après-midi. Sur les trottoirs, des passants s’arrêtent et observent, interdits. Certains pressent le pas pour quitter les lieux, d’autres crient leur dégoût ou leur «honte». Une dame d’un certain âge s‘emporte lorsqu’elle subit les railleries d’hommes d’âge mûr qui participent au défilé : «Mamie elle t’emmerde ! Facho va !» Elle quitte les lieux en criant «Paris antifa !» Deux jeunes qui lancent des doigts d’honneur au cortège sont saisis par les policiers pour un contrôle d’identité.
Un groupe lance des slogans antifascistes : les nervis se tendent, forçant leur service d’ordre à hausser le ton pour leur interdire de répondre. La police débarque, pousse, éloigne. «
Il y a deux jours, on a commémoré le 8 mai 1945… et on voit aujourd’hui défiler les néonazis dans Paris, ça me choque», dénonce Arthur, 25 ans, qui habite le quartier. Plus loin, un groupe de jeunes de 18-19 ans qui étaient venus pour la contre-manif antifasciste interdite par les autorités, lancent : «
Le plus choquant, c’est le fait que la police les défende.» Il montre les CRS du menton : «
Ils nous font face et leur tournent le dos…»
Le millier de nervis qui a défilé, pour une grande partie masqués et vêtus de noir, arborant tatouages néonazis et symboles néofascistes, en rang, presque au pas, a été très mal accueilli par les badauds. Les cris «nazis !» «cassez-vous !» ont ponctué le parcours de la manifestation, lancés par des passants choqués ou des riverains à leur fenêtre.
Quand, depuis son appartement, un homme lance «racistes !» au passage de cette troupe, un participant se tourne vers son voisin, l’air de dire «bah oui». Les deux se marrent.
Tout le folklore avait été mobilisé. Les grands drapeaux noirs à croix celtique, mais aussi une nouveauté dans ce défilé plus que trentenaire : des tambours battant le pas.
L’un d’eux est blanc avec des flammes rouges, le même modèle que celui des Jeunesses hitlériennes.
Sous le soleil, une fois le boulevard du Montparnasse dévalé par le cortège, des incidents éclatent au pied de la tour. Des antifascistes attendaient là pour lancer des slogans, encadrés par un important dispositif policier. Des détonations éclatent : des pétards et des feux d’artifice sont lancés en direction du défilé d’extrême droite, sans l’atteindre. Une fois encore la police charge. Tout comme une dizaine de membres du service d’ordre de la manifestation, dont Marc de Cacqueray-Valménier, qui regagnent ensuite le cortège sans être inquiétés.
Le folklore des «gudards» est omniprésent, par exemple avec des fumigènes allumés devant la fac d’Assas, pensé pour faire de belles images.
Une mise en scène finalement piteuse :
le micro du camion sono tombe en rade, et le chœur des militants scandant «Europe, jeunesse, révolution» peine à se faire entendre.
Autre raté :
vers la fin du parcours, le chef, Marc de Cacqueray, ne sait plus trop où est la rue des Chartreux, l’objectif final. Il sort son téléphone : c’est la prochaine à gauche.
Depuis une trentaine d’années pourtant, les radicaux suivent le même rituel et défilent jusqu’à ladite rue des Chartreux en souvenir du décès accidentel d’un des leurs, Sébastien Deyzieu. Le 9 mai 1994, le jeune homme participait à un rassemblement anti-américain organisé place Denfert-Rochereau à l’appel du GUD et des Jeunesses nationalistes révolutionnaires, le mouvement du skinhead Serge Ayoub. Le rassemblement avait été interdit par les autorités et les forces de l’ordre dispersent alors les individus présents. Poursuivi par des policiers, Sébastien Deyzieu est entré dans un immeuble de la rue des Chartreux. Là, il est tombé du toit et s’est tué. Dans la foulée, le Front national de la jeunesse (organisation de jeunesse du FN devenu RN) et le GUD fondaient conjointement le Comité du 9 mai, ou C9M, qui donne son nom à l’événement.
Quelques jours après cette fondation, une poignée de militants tentent, en vain, de s’introduire au domicile du ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua. Ils se reportent alors sur les locaux de Fun Radio et y pénètrent arme au poing, pour exiger à l’antenne la démission du locataire de Beauvau. Sept militants sont condamnés à des peines de privation des droits civiques d’une durée de deux à trois ans pour l’invasion de la station de radio. Parmi les trois avocats des prévenus, une certaine Marine Le Pen.
A partir de l’année suivante, une manifestation aux flambeaux se met en place et les militants d’extrême droite viennent se recueillir dans la petite cour où Sébastien Deyzieu a trouvé la mort, après une courte déambulation dans le quartier Port-Royal. Passé entre les mains de différentes organisations radicales depuis trente ans et tombé en désuétude au mitan des années 2000, l’organisation du rendez-vous est désormais prise en main par une nouvelle génération, qui en a fait une démonstration de force. Et notamment sous l’impulsion du Bastion social en 2018, puis des Zouaves Paris et enfin du GUD Paris. Trois mouvements dissous au fil des ans en raison de leur racisme et de leur violence.
A un kilomètre de la rue des Chartreux, devant le Panthéon où reposent des figures illustres de la Résistance, de Jean Moulin à Germaine Tillion en passant par Joséphine Baker ainsi que Missak et Mélinée Manouchian, les derniers panthéonisés, des militants de gauche avaient organisé un «village antifasciste» que les autorités ont également tenté d’interdire, avant que la justice ne l’autorise finalement. La seconde édition de cette initiative visait à «rappeler que les néonazis n’ont pas plus leur place dans nos rues que leurs ancêtres». Environ 3 000 personnes y sont passées, selon les organisateurs.
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