Vingt ans plus tard, le nouveau patron, Henry de Lesquen, s’émerveillait «de la longévité des “rescapés de la Shoah” morts à plus de 90 ans. Ont-ils vécu les horreurs qu’ils ont racontées ?», et se proposait d’interdire la «musique nègre». Encore aujourd’hui, les locaux exigus du 61 boulevard Murat, dans le XVIe arrondissement de Paris, fleurent bon la faille spatio-temporelle. Une exquise octogénaire y accueille les intervenants. Les noms portent des particules, les vestes des coudières et des pellicules, on y fume la pipe en débattant des styles de Brasillach et de Morand avant d’écouter une fugue baroque ou un chant grégorien.
Cela convient bien aux douairières de l’Ouest parisien, dont les donations et héritages constituent le modèle économique de l’antenne, adossée depuis 2010 à un fonds de dotation, créé par Lesquen pour les recueillir. Mais cela peine à séduire la nouvelle génération plus attirée par les journalistes-influenceurs du magazine Frontières, sans culture ni orthographe, mais rompus aux codes des réseaux sociaux et du buzz. Le média d’Erik Tegner bénéficie en outre de l’exposition de l’empire Bolloré, de l’argent du député ciottiste Gérault Verny et de la forte connivence des élus RN qui garnissent son antenne et font la publicité de son trimestriel.
Comble de la mesure : Frontières a lancé depuis la rentrée de septembre sa matinale, piétinant les plates-bandes de la «doyenne», comme on la surnomme affectueusement dans la mouvance, qui a lancé la sienne il y a trois ans. Son audience sur internet n’est pas reluisante – 230 000 écoutes au mois de septembre, ce qui la place au 70e rang du classement ACPM, loin derrière Beur FM et Radio Orient. Mais Radio Courtoisie dispose d’un avantage de taille : sa fréquence hertzienne. «C’est un nain par rapport à Europe 1 mais un géant par rapport à Frontières», analyse un connaisseur de la mouvance.
Radicalité
Pour redresser la barre, Pierre-Alexandre Bouclay, président de l’association Radio Courtoisie depuis 2021, tente de réchauffer la grille des programmes et de décloisonner son antenne. Il embauche plusieurs jeunes journalistes, refait le studio à neuf et filme désormais certaines tranches retransmises en direct. Et depuis quelques semaines, tisse des partenariats avec les médias Boulevard Voltaire, l’Incorrect et Valeurs actuelles, dont les journalistes animent à tour de rôle l’émission quotidienne Restons courtois.
Parallèlement, il s’aventure sur le terrain de Frontières, en allant filmer des actions de la mouvance, comme le défilé du 9 Mai, où la journaliste Liselotte Dutreuil (de son vrai nom Dungelhoeff) a le privilège d’être embarquée dans le cortège, mené par son époux, le néonazi Marc de Cacqueray, aujourd’hui employé de Bolloré. La fusion avec le militantisme ne s’arrête pas là : pour assister au procès de l’assassine de Lola, l’activiste Alice Cordier, du collectif identitaire Nemesis, se fait accréditer via Radio Courtoisie. Lorsqu’une petite structure antifasciste s’indigne du fait que l’avocat Pierre Gentillet, ex-candidat RN, dispense des cours à la Sorbonne, c’est Bouclay qui organise le buzz permettant de crier au stalinisme.
C’est encore ce dernier qui exécute les basses œuvres du RN avec Malika Sorel. Selon les informations de Libé, le canular a été communiqué à Marine Le Pen et Jordan Bardella avant sa publication. L’ex-frontiste a subi un sévère harcèlement raciste sur les réseaux sociaux et Bouclay a gagné la sympathie du parti d’extrême droite, dont les cadres repeuplent son antenne. Comme Louis Aliot, en octobre. La radicalité est pourtant loin d’y avoir disparu : le néofasciste Jean-Eudes Gannat y tient une chronique régulière dans laquelle il a par exemple expliqué à un Juif et une musulmane, pourtant tous deux d’extrême droite, qu’ils ne sont pas Français ; tout comme Raphaël Ayma (alias de Ferron-Lagier) patron d’un groupuscule et viré du RN en raison de sa participation à une conférence organisée par un cercle néonazi.
Le complotiste Mike Borowski possède son émission et invite dans Géopolitique profonde la crème des antisémites, comme le patron de Rivarol, Jérôme Bourbon. Habitué de l’onde dans les années 2010, où il conversait par exemple en 2016 avec Charlotte d’Ornellas, aujourd’hui au JDD, ce dernier est devenu persona non grata après le départ de Lesquen en 2017, avant de se revoir invité, plus rarement, sous l’ère Bouclay. Du RN à Rivarol : maison de toutes les extrêmes droites, Radio Courtoisie reprend des couleurs.
Librairie révisionniste
Il faut s’attarder sur l’artificier de ce renouveau : Pierre-Alexandre Bouclay. Aussi radical que bien introduit, cultivé, bon vivant, presque toujours en trois pièces, le jeune quinqua fait partie de ces personnages hauts en couleurs de la mouvance, à mi-chemin entre la gouape et l’entrepreneur, qui traînent un passé sulfureux et de multiples pseudonymes (Bouclay en est un), à remonter comme une rivière jusqu’à l’inévitable source de Vichy et de la collaboration.
L’homme, qui n’a pas voulu répondre à Libé, sauf pour tout nier en bloc au mépris de l’évidence, n’est pourtant pas du sérail. Né à Boulogne-sur-Mer, de parents hippies, il devient d’extrême droite, milite au FN et chez Mégret et se passionne pour les écrivains collaborationnistes. Son mémoire de maîtrise sur l’écrivain collabo Brasillach, en 2001, obtient le prix éponyme décerné chaque année par l’association des amis de Robert Brasillach. Ce goût ne le quittera plus : avant de s’appeler Bouclay, il a écrit pour Minute sous le pseudo Patrick Cousteau, en hommage à Pierre-Antoine, le frère du commandant, rédacteur en chef du très antisémite Je suis partout en 1943. Il préface d’ailleurs un ouvrage posthume du scribe pronazi en 2023.
Sous un autre nom, Jean-Jacques Matringhem, Bouclay chante en 2008 la gloire de Saint-Loup, un autre fan de lettres et de SS pour en avoir porté l’uniforme, sur le site du groupuscule Terre et Peuple de Pierre Vial.
Citons-le un peu : «
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A cette époque, Bouclay rencontre la crème du milieu, traîne à la Licorne Bleue, une librairie parisienne pleine de livres révisionnistes, fermée pour cause, où il rencontre le libraire négationniste et leveur de fonds Tristan Mordrelle qui le fait participer à sa lettre, l’Autre histoire, comme le note le site Réflexes, en 2004. Des prises de position que Bouclay met sur le compte de sa fougueuse jeunesse et qu’il renie aujourd’hui. Il s’est, depuis, rapproché du catholicisme traditionaliste, et a participé à l’exclusion de Lesquen en raison de ses propos antisémites.
Raouts du RN et colloque de Marion Maréchal
Des marges, Bouclay navigue tant bien que mal vers le centre de l’extrême droite, et se met à piger pour Valeurs actuelles où il se rend coupable de la fameuse une, «Roms : l’overdose», ainsi que d’hagiographies de Bachar al-Assad. Cette inclination pour le boucher de Damas le rapproche de l’association caritative SOS Chrétien d’Orient (SosCO), dont il dirige la communication, dans l’ombre toujours, jusqu’en 2024. Il profite de ses multiples casquettes pour mêler les plaisirs : papiers pour VA, magouilles politiques et coup de pouce à des entreprises françaises pour s’implanter dans des pays à risques, comme la Syrie, l’Ukraine ou la Russie. Tout en usant de méthodes crapuleuses : pour se venger de la publication d’une série d’enquêtes par Mediapart sur SosCo, Bouclay fait fuiter le téléphone de la journaliste Ariane Lavrilleux sur un site d’escortes. A la même époque, il trouve dans la mouvance un éditeur pour les mémoires de Jean-Marie Le Pen, dont il participe à la relecture et au travail d’édition.
Ses activités entrepreneuriales l’amènent à investir en 2019 dans une société d’élevage bovin, au côté du gratin de la Gud Connexion, ces néo-fascistes reconvertis dans le business et proches de Marine Le Pen : Frédéric Chatillon, Axel Loustau et Paul-Alexandre Martin. L’aventure se termine en eau de boudin, avec le dépôt de bilan en 2022. Désormais à la tête de Radio Courtoisie, Bouclay cherche à profiter de cet entregent pour financer ses programmes.
On le croise partout : au cocktail de rentrée de l’ESJ Paris, l’école de journalisme financée notamment par Bolloré, aux universités d’été de l’UPR, aux raouts du RN et au colloque de Marion Maréchal sur le «racisme antiblancs». Il a même un temps relancé les «soupers de la réaction», ces pots parisiens créés après la Manif pour tous, où droite dure et extrême droite sociabilisent à l’abri des regards. Rebaptisés «soupers de la doyenne», on pouvait y croiser le néonazi Marc de Cacqueray, des collaborateurs frontistes et des journalistes de Valeurs actuelles, avant que la mailing list ne fuite dans Libé et n’effraie trop les personnalités mainstream susceptibles d’y participer.
Bouclay tient désormais des dîners en appartement en petits formats, où il tente de séduire les hommes d’affaires proches de la mouvance. Et de les convaincre, sans doute, que, sous sa peau rafraîchie, sa doyenne de Radio Courtoisie est bien toujours le même caïman radical.
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