Certains d’entre vous se souviennent peut-être de l’expérience scientifique évoquée dans le film I comme Icare d’Henri Verneuil (1977). Yves Montand, qui incarne le rôle d’un procureur, enquête sur le meurtre du président d’un pays fictif et découvre que l’assassin présumé a participé quelques temps avant les faits à une expérience inspirée des travaux du psychologue américain Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité.
Le scénario est le suivant : des scientifiques recrutent un individu auquel ils expliquent qu’il va participer à des travaux d’étude sur la mémoire. Son rôle va consister à interroger un élève sur des associations de mots qu’il lui aura préalablement fait apprendre.
Soumission à l'autorité
A chaque mauvaise réponse, le maître est invité par les hommes en blouse blanche à infliger une décharge électrique à l’élève, sachant que chaque erreur est sanctionnée par une décharge plus forte que la précédente.
Très vite, l’élève souffre et demande d’arrêter. C’est alors que se déclenche chez le « maître » un conflit intérieur entre l’obéissance à l’autorité scientifique qui lui ordonne de poursuivre et la souffrance de l’élève qui devrait l’inciter en principe à arrêter.
Pensez vous que la télévision influence nos idées?
Dans le film, l’assassin présumé cède à l’autorité et va jusqu’au bout de l’exercice en infligeant une décharge électrique de…450 volts à l’élève qu’il laisse pour mort. A Yves Montand qui se révolte contre la barbarie de l’expérimentation, le scientifique répond que « l’élève » en réalité est un comédien et qu’il n’y a bien entendu aucune décharge électrique, avant de lui faire observer que lui-même ne s’est révolté qu’à …180 volts.
Pourquoi je vous raconte cela, vous demandez-vous ? Parce que la soumission à l’autorité est un sujet qui me passionne et qui n’est pas sans lien avec la pratique du journalisme, dès lors que celui-ci impose de développer un esprit critique et indépendant, voire une certaine capacité de révolte. Mais surtout parce que des chercheurs en psychologie sociale viennent de réaliser un test inspiré des travaux de Milgram, sous la forme d’un jeu télévisé.
Un totalitarisme tranquille
C’est L’Express de cette semaine qui en rend compte dans un article passionnant intitulé : « Comment la télé nous manipule ». L’expérience est la même que dans I comme Icare (questions de mémoire et punition par chocs électriques croissants jusqu’à 460 volts) à cette réserve près que l’autorité n’est pas celle de chercheurs en blouse blanche, mais d’une animatrice de télévision.
Les résultats sont glaçants : les 80 candidats recrutés ont tous accepté de participer à l’émission, c’est-à-dire d’infliger des décharges électriques à un individu qu’ils ne connaissent pas dans le cadre d’un simple show et plus de 8 sur 10 ont été jusqu’au bout de l’expérience malgré les cris de souffrance de « l’élève ».
Le chercheur qui a coordonné l’expérience, Jean-Léon Bauvois, observe que « 80% des gens se comportent comme de possibles tortionnaires si la télévision le leur demande, cela reflète un pouvoir terrifiant. Quand une masse est gérée au niveau de ses pensées et de ses comportements, j’appelle ça un totalitarisme. Un totalitarisme tranquille – on ne nous tape pas dessus et on ne nous met pas en prison. Mais un totalitarisme quand même ».
Un documentaire sera diffusé sur France 2 en mars (la date exacte n’est pas précisée dans l’article), par ailleurs, l’auteur du documentaire, Christophe Nick et le philosophe Michel Eltchaninoff publient le 4 mars un ouvrage intitulé L’expérience extrême aux éditions Don Quichotte.
Nous sommes en réalité de plus en plus obéissants
Je recommande à ceux que ce sujet intéresse l’excellent film « L’expérience » (2001). Celui-ci relate une autre expérience réelle menée par des scientifiques allemands. Cette fois il s’agissait d’observer le comportement d’une vingtaine de volontaires placés dans des conditions carcérales, 12 jouant les prisonniers et 8 les gardiens. L’expérience va bien évidemment tourner très mal, révélant chez des individus parfaitement ordinaires des comportements de tortionnaires.
Le film est un thriller haletant doublé d’une passionnante réflexion, là encore, sur le rapport à l’autorité. Au passage, l’un des « prisonniers » est un journaliste dont le profil psychologique est décrit avec une grande finesse d’analyse.
Et tant qu’on y est, je vous conseille également le film « La vague » (2008) inspiré d’une étude sur le fascisme. Un professeur à qui ses élèves expliquent qu’ils ont compris les dangers du fascisme et qu’il n’y a aucune chance que l’Allemagne connaisse un jour une autre dictature décide de créer dans sa classe un mouvement qu’il appelle La vague, doté d’un symbole, d’un uniforme, d’un statut et de règles. Et, petit à petit, le mécanisme diabolique du totalitarisme se met en marche.
Dans leur ouvrage L’expérience extrême, les auteurs notent : « Nous nous imaginons autonomes, libérés, voire rebelles. Nous sommes en réalité de plus en plus obéissants, et de plus en plus seuls, face à de nouveaux pouvoirs ». A méditer…
Ça me fait pensez au livre d'Orwell, 1984.
Plus de bibliothèque, un grand écran qui vous parle
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 03 mars 2010 18:21
par Jarod1
Merci Max de me rappeler cet excellent film et cette inoubliable séquence.
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 03 mars 2010 18:24
par Alogos
Ton article, et ton fil, m'interressent bcp.
Les rapports à l'autorité ont un coté fascinant - d'une part.
D'autre part, notre discernement est modulable ; notre supposée liberté n'est que subjective. S'il n'y avait que les médias qui façonnent notre pensée, et par là nos comportements.
Déjà La servitude volontaire au XVI° posait la question de la soumission à un chef dictatorial.
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 03 mars 2010 18:33
par vieux singe
L'émission télé (France 2?) serait programmée pour le 17 mars à 20h30!
Mais l'autorité considérée peut prendre différentes formes, bien que l'expérience citée ait été "montée" par la télévision!
Signalons quand même que ce thème est traité et étudié depuis de nombreuses années; j'ai lu un bouquin la dessus , dont le titre est justement "la soumission à l'autorité" dont l'auteur était peut être Anna Freud, (sous toute réserve!)
Mais tout ceci est actualisé plus récemment par une autre approche, qui rejoint le même thème, dont le nom est significatif: " Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens ", écrit par deux psychologues, Robert-Vincent Joule, et Jean-Léon Beauvois! (PUG)
Cette approche , qui parait plus "moderne" n'est en fait que le même sujet qui est traité dans toutes les relations de pouvoir, politiques mais pas seulement, même dans le couple
On retrouve aussi des analogies dans beaucoup de sociétés animales :content2
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 03 mars 2010 18:42
par Alogos
Ah! merci pour l'info.
Déjà le sentiment de "pouvoir" , mais surtout de toute-puissance et d'impunité, est mis en place dans les émissions de télé réalité où il faut taper 1 pour "sortir un candidat" plutot qu'u autre - donnez un pzu de pouvoir à un petit chef, vous en ferez un dictateur.
Sans faire le faux derche, j'ai horreur de ces saletés d'émission ; j'en n'ai jamais regardé une seule
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 03 mars 2010 18:53
par max56
J'avais vu un reportage qui relatait une expérience scientifique sur le conditionnement mental.
C'est un peu l'esprit du mouton de Panurge. Il y avait dix participant et tout le monde était au courant sauf une personne, ils devaient répondre à des questions évidentes du genre 2+2 ?
Le "cobaye" était en 9ème position.
A la question 2+2 tout le monde disait 5 puis le cobaye en 9ème position disais 4. Tout le monde le regardait très intrigué mais il maintenait son opinion. Au bout de quelques questions le cobaye répondait systématiquement la même chose que ses 8 prédécesseurs .
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 03 mars 2010 19:38
par Alogos
l'effet de foule, bien connu et redouté lors des spectacles.
ça m'intêresse cette manipulation -
sans parler de tous les conditionnements auxquels nous obéissons sans réfléchir. Yeap, nous sommes "dressables".
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 03 mars 2010 20:02
par vieux singe
Alogos a écrit : l'effet de foule, bien connu et redouté lors des spectacles.
ça m'intêresse cette manipulation -
sans parler de tous les conditionnements auxquels nous obéissons sans réfléchir. Yeap, nous sommes "dressables".
L'effet de foule est un peu différent!
les réflex individuels de survie prime immédiatement avant tout mimétisme "intellectualisé , bien qu'il prolonge très vite la "première" vague!
C'est en tout cas comme ça que je l'ai perçu en plusieures occasions..on s'en ai parfois bien sortis en sécurisant très vite les premiers rangs, au plus près des individus de tête!
Quand le mouvement s'est amplifié, faut vite gérer les issues sans trop espérer canaliser le courant!
j'avais déjà vécu ça enfant pendant la guerre, ! J'ai retrouvé de fortes parentés en gérant ces "affaires" dans le spectacle !
C'est juste un témoignage, SGDG
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 04 mars 2010 00:33
par 95D
Des émissions télé où des types normaux se ridiculisent devant des millions de personnes, où des gens acceptent de se faire humilier pour le plaisir de millions de voyeurs, où des jeunes filles se foutent volontairement à poil, où des gens font les cons pour faire le beau, j'en connais des tas. Et en plus la dernière grande trouvaille de la télé, c'est de prendre des quidam pour faire çà en leur faisant croire à la célébrité pour éviter de les payer...
La télé a ré-inventé le "diner de cons" mais dans une version où chacun revendique l'honneur d'être le con de la soirée.
Si tu réussis à jeter ta fierté d'être humain aux orties et de passer pour la plus grande carpette, le pire trou duc et le plus gros débile aux yeux de tous les téléspectateurs-voyeurs, tu auras droit à ton chéquos. Et comme le respect de soi n'est plus une vertu à la mode, n'importe qui est prêt à se vendre pour 3 francs 6 sous !!!
Remarquez : si les français n'ont plus de fierté et aiment jouer les voyeurs, je ne vois pas pourquoi les nouveaux Jeux du Cirque télévisés ne leur donneraient pas ce qu'ils veulent. Panem et circenses !!!
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 04 mars 2010 00:42
par tisiphoné
ce voyeurisme ça les conforte dans l'idée qu'ils sont différents ?
cette Télé réalité est finalement faite pour satisfaire l'ego des spectateurs , ça flatte leur vanité ?
mais ceux qui passent devant la caméra , ils y gagnent quoi ? et comment on arrive à les conditionner ainsi , comment de personnes , "normales " dirons -nous , on en fait des phénomènes de foire ?
c'est une sorte d"émulation ? obtiendrait-on le même résultat si on ne faisait l'émission qu'avec une seule personne , filmée en permanence ?
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 04 mars 2010 00:53
par 95D
tisiphoné a écrit : mais ceux qui passent devant la caméra , ils y gagnent quoi ? et comment on arrive à les conditionner ainsi , comment de personnes , "normales " dirons -nous , on en fait des phénomènes de foire ?
Ils y gagnent leur "instant de gloire"...
Le problème c'est qu'il y a 30 ans, l'instant de gloire était réservé à des gens qui réussissaient quelque chose de méritoire : sportifs, héros, intellectuels, âmes charitables... Ce n'était pas forcément marrant, mais au moins c'était éducatif.
Maintenant, il suffit de faire le pitre ou de montrer son cul pour avoir son instant de gloire !!!
Mickael Youn et Lagaff' ont remplacé l'Abbé Pierre et Alain Decaux... Pas sur qu'on y ait gagné.
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 04 mars 2010 09:11
par Opaline
Pour une fois je suis d'accord avec toi 95D !
Sauf qu'il y a peut-être une raison à cet abêtissement télévisuel
Le principe de base de la censure moderne consiste à noyer les informations essentielles dans un déluge d'informations insignifiantes diffusées par une multitude de médias au contenu semblable. Cela permet à la nouvelle censure d'avoir toutes les apparences de la pluralité et de la démocratie. Même les évènements importants sont traités sous un angle "magazine", par le petit bout de la lorgnette. Ainsi, un sommet international donnera lieu à une interview du chef-cuistot chargé du repas, à des images de limousines officielles et de salutations devant un batiment, mais aucune information ni analyse à propos des sujets débattus par les chefs d'états. De même, un attentat sera traité par des micro-trottoirs sur les lieux du drame, avec les impressions et témoignages des passants, ou une interview d'un secouriste ou d'un policier.
Il existe un livre que l'on peut conseiller à tous ceux qui veulent mieux s'informer c'est : "Les nouveaux chiens de garde" de Serge Halimi
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 05 mars 2010 00:09
par 95D
Opaline a écrit : Pour une fois je suis d'accord avec toi 95D !
Sauf qu'il y a peut-être une raison à cet abêtissement télévisuel
Le principe de base de la censure moderne consiste à noyer les informations essentielles dans un déluge d'informations insignifiantes diffusées par une multitude de médias au contenu semblable. Cela permet à la nouvelle censure d'avoir toutes les apparences de la pluralité et de la démocratie. Même les évènements importants sont traités sous un angle "magazine", par le petit bout de la lorgnette. Ainsi, un sommet international donnera lieu à une interview du chef-cuistot chargé du repas, à des images de limousines officielles et de salutations devant un batiment, mais aucune information ni analyse à propos des sujets débattus par les chefs d'états. De même, un attentat sera traité par des micro-trottoirs sur les lieux du drame, avec les impressions et témoignages des passants, ou une interview d'un secouriste ou d'un policier.
Il existe un livre que l'on peut conseiller à tous ceux qui veulent mieux s'informer c'est : "Les nouveaux chiens de garde" de Serge Halimi
Vous avez peut-être raison. Le problème c'est qu'on ne sait jamais si les media suivent ou précédent les choix de l'opinion.
Re: Le pouvoir de la télévision
Posté : 05 mars 2010 15:21
par max56
95D a écrit :
Vous avez peut-être raison. Le problème c'est qu'on ne sait jamais si les media suivent ou précédent les choix de l'opinion.