LadyAnne a écrit : Si vous le voulez bien, lisez le petit texte que j'ai écrit il y a quelques années. Il est là
C'est une histoire vraie, celle qui dit " je" c'est moi. A l'origine, il était destiné à mes petits-enfants, mais j'ai pensé qu'il pourrait intéresser pas mal de monde.
Le voici :
Anna
J’avais 3 ans, elle, peut-être 4. Il nous arrivait de jouer sur le trottoir, devant notre immeuble. Curieusement, en 1942, c’était plutôt moins dangereux qu’aujourd’hui, de jouer dans la rue. Il n’y avait guère de voitures, et d’ailleurs nous n’aurions jamais traversé sans permission. Nous savions aussi qu’il ne fallait pas suivre des gens que nous ne connaissions pas, ni accepter de bonbons (d’ailleurs, les bonbons, on ne savait pas trop ce que c’était !). Nos mères nous surveillaient depuis leur fenêtre.
J’admirais beaucoup Anna, je la trouvais très élégante, parce qu’elle portait un bonnet multicolore, en laine tricotée, avec un pompon, j’aurais bien voulu avoir le même. Elle savait déjà très bien sauter à la corde, aussi.
Un jour, je n’ai plus revu Anna, et quand j’ai demandé où elle était, on m’a répondu qu’elle était partie, « qu’elle avait déménagé ». Je l’ai oubliée, et n’ai su la vérité que des années plus tard.
Ma maman, en rentrant de faire la queue chez je ne sais plus quel commerçant, a vu des voitures de police, des policiers français, qui embarquaient des gens, des Juifs. Parmi eux, il y avait Anna et sa maman (je n’ai jamais su son nom, c’était « la maman d’Anna » ) Elle a demandé où on les emmenait, et la maman d’Anna a répondu : « Nous allons rejoindre mon mari, c’est ce qu’on nous a dit, il a été emmené, il y a déjà longtemps ... ». Ma maman ne savait évidemment pas qu’il s’agissait de la grande rafle du Vel’ d’Hiv’, mais elle savait déjà qu’il allait se passer quelque chose d’épouvantable. Elle a demandé à un policier si elle pouvait garder la petite fille avec elle. Il ne savait pas trop, il hésitait, il n’aurait peut-être pas dit non...Mais la maman d’Anna ne voulait pas se séparer de sa fille, alors ma maman l’a suppliée : « Mais si, laissez la moi, je la garderai, j’en prendrai soin comme de la mienne ! », La maman d’Anna n’a rien voulu entendre
. Alors, ma maman s’est tournée vers les policiers, et leur a dit : « Mais vous embarquez les enfants ? Vous n’avez pas honte ? Vous vous rendez compte de ce que vous faites ? ». Ce à quoi un policier a répondu : « Vous, foutez moi le camp, ou on vous embarque aussi ... ! »
Bon, ma maman a ramassé son filet à provisions et est rentrée chez nous. On n’a plus jamais eu de nouvelles de la petite Anna, ni de ses parents, par contre, la concierge s’est octroyé le contenu de leur appartement, ainsi que celui de plusieurs autres, dont elle avait signalé les occupants à qui de droit.
En 1945, ma maman a soigné des déportés dans un Corps d’Auxiliaires Bénévoles, et a attrapé le typhus, dont elle a bien failli mourir.
En 1947, ma maman a reçu une décoration de la Résistance (non, pas pour avoir engueulé les policiers !), et on lui a reconnu le grade de sous –lieutenant . Mon papa aussi a été décoré, avec je ne sais plus quel grade. J’étais très fière d’eux, je lui suis toujours,. Ils m’ont quittée en 1992 et 1995.
Quant à la concierge, elle n’a guère été inquiétée.