Page 1 sur 1

Vous avez dit "Chat noir" ???

Posté : 19 mars 2013 15:58
par sacamalix
Lorsque Marie Dolores Ribas a proposé de venir nous retrouver au Monde pour nous raconter son histoire, nous lui avons suggéré d'attendre que la neige ait disparu de la route reliant son village de montagne à Grenoble. La jeune quinquagénaire rieuse et expansive n'a déjà que trop tenté le diable. "En très peu de temps, on a essayé de me tuer trois fois", résume-t-elle, se reconnaissant bien "un petit peu chat noir". Tout du moins étonnante victime à répétition de ces drames qui ont fait l'actualité des derniers mois ou années. "Mais je suis contente, je suis encore là. Pas en bon état, mais là. J'ai eu de la chance à chaque fois."
La première fois qu'elle a "eu de la chance", c'était grâce à l'industrie pharmaceutique et au Mediator. En 2003, Marie Dolores rêve de se délester de deux ou trois kilos pour "mieux porter le jean". Elle s'en ouvre à son généraliste qui lui offre un miracle à coup sûr avec le Mediator. Au fil des mois, elle maigrit peu mais fatigue beaucoup, et devient sujette aux palpitations. A tel point qu'elle abandonne ses fantasmes de taille mannequin et le traitement, trois années après l'avoir démarré. En décembre 2010, un courrier de l'Agence française de sécurité sanitaire la met en garde : si aucune valvulopathie n'a encore été dépistée chez elle, cette pathologie peut apparaître plus tard. Contrôle du coeur recommandé tous les ans.

Deuxième inscription de la Grenobloise au registre des victimes de scandales sanitaires : la pilule de troisième génération. Alors qu'elle vient de stopper la prise de Mediator, Marie Dolores commence à souffrir de douleurs au ventre. Son généraliste propose de lui ôter son stérilet et de lui prescrire la pilule. Ce sera Melodia, pilule de troisième génération des laboratoires Bayer. Marie Dolores a 46 ans, elle fume, sa mère a connu des problèmes d'embolie, sa soeur aussi : le médecin, qui la suit depuis ses 16 ans ainsi que la famille, sait tout cela, il ne l'a pas pour autant freinée dans son élan. Deux mois plus tard, au printemps 2006, sa patiente est épuisée. Quand vient l'été, elle ressent des douleurs violentes dans les mollets. Un angiologue ne décèle rien de particulier. Le généraliste, lui, se contente de la soulager avec des antalgiques, de plus en plus forts, bientôt en injection, puis des patchs de morphine.

En décembre, pieds blancs et glacés, elle atterrit aux urgences : ischémie aiguë des membres inférieurs. Le sang n'y circule plus, ses jambes sont pleines de caillots. "On m'a dit que c'était comme si on m'avait coulé du ciment dans les artères. Que si je n'avais pas perdu mes jambes, c'était uniquement parce qu'un circuit sanguin secondaire s'était développé." Treize jours sous doses massives d'anticoagulants. A sa sortie, elle interroge le généraliste, l'angiologue. Un mauvais cocktail de cigarette, de stress, de quelques kilos en trop et de pilule, lui affirment-ils. "Je ne fume que trois cigarettes légères par jour, mais c'était de ma faute... Je me suis dit que j'avais foutu ma vie en l'air."

Jusqu'à ce que, tout récemment, elle entende parler à la télé des risques de thromboses liés aux pilules de 3e et 4e génération. "C'était bien la pilule qui m'avait empoisonnée !" Marie Dolores contacte l'avocat de Marion Larat, première plaignante contre la pilule, et porte plainte au pénal contre les laboratoires Bayer et l'Agence de sécurité du médicament. "Je suis très en colère. Nous sommes des cobayes. Tout cela pour une histoire de gros sous." Cadre dans l'immobilier, elle doit arrêter le travail, se contenter d'une pension d'invalidité. "Je ne peux plus marcher que très doucement, sinon le mollet se tétanise, ni courir, monter les escaliers, skier, alors que j'habite au pied des pistes." Elle consomme quotidiennement anticoagulants et vasodilatateurs, ainsi qu'un anticholestérol, le Tahor. "Ces statines qui viennent de faire polémique. Au fait, est-ce qu'il ne faudrait pas que j'arrête ?"

En janvier 2012, après sept décès de proches en quelques mois, dont celui de sa mère, Marie Dolores a une formidable idée : s'offrir, pour souffler, un départ en croisière avec son mari. Une semaine garantie de dolce vita dans le bassin méditerranéen. "Et nous voilà partis sur le Costa-Concordia !" Elle explose d'un rire communicatif. "Heureusement que je suis d'une nature optimiste parce que sinon, j'aurais de quoi me payer une belle dépression !" Le vendredi 13 janvier, le couple dîne au restaurant lorsque, vers 21 heures, après un premier bruit de tôle froissée, se produit un énorme choc. L'arrière du bateau vient de heurter un rocher. A bord, c'est "l'apocalypse", tout s'effondre, les clients encore debout, la vaisselle, les tables, les chaises. Au micro, dans toutes les langues, il ne s'agit que "d'un problème de générateur". "On nous a dit de ne pas nous alarmer, de rester ou retourner dans notre chambre... Ceux qui ont obéi sont morts." Le couple parvient à sortir sur le pont, du côté du bateau incliné vers la mer. Les passagers affluent, dans l'angoisse totale malgré la succession de messages lénifiants. Tous se croient au large. "Durant deux heures trente, dans l'obscurité, laissés à nous-mêmes, nous avons pensé que nous allions mourir noyés dans l'eau glacée. C'était le Titanic sans la musique."

Quand enfin le signal d'évacuation est donné, c'est parfois le règne du chacun pour soi, se souvient-elle, encore interloquée. "Certains ont bousculé des gamins pour monter dans les chaloupes." En fréquentant l'association Le collectif des naufragés français du Concordia, avec lequel elle a porté plainte contre le commandant et la compagnie, Marie Dolores a d'ailleurs appris que bien des couples avaient volé en éclats après ce naufrage, qui avait révélé le caractère hautement altruiste de certaines natures profondes.

Cette nuit de panique, Marie Dolores et son époux finissent par monter dans la chaloupe numéro 13. Mais l'inclinaison du bateau est déjà trop forte. La chaloupe reste bloquée dans sa descente, puis atterrit sur un pont inférieur. Le couple traverse de nouveau le bateau en glissant tant bien que mal, au milieu des débris.

Arrivé sur le bord opposé, il découvre que la dernière chaloupe, pleine à craquer, s'apprête à larguer les amarres. "On ne voyait déjà plus que le toit. Plus qu'une solution : on a sauté dessus." Agrippés tant bien que mal jusqu'à l'île de Giglio, qu'envahissent les rescapés. "Alors que j'étais en pleine nuit, pieds nus dans la rue, avec un petit haut en dentelle, c'est un serveur philippin du bateau qui m'a offert sa couverture, raconte la naufragée. Les petites mains ont été grandes. Tous les responsables, eux, se sont défilés."

Un peu en état de choc, tout de même, Marie Dolores. Mais, une fois encore, survivante. Depuis lors, elle a tenté de se délivrer du cauchemar dans un livre paru en mars (Le Concordia, une nuit pour la vie, éditions Mélibée), perdu son papa, appris le divorce de l'un de ses trois fils. "Mais depuis le 1er janvier 2013, tout va bien. J'évite de penser à cette succession d'ennuis, sinon je ne ferais plus rien." Avant sa venue à Paris, sa petite-fille, l'air de rien, lui a tout de même conseillé de faire attention à ne pas se perdre.

Re: Vous avez dit "Chat noir" ???

Posté : 19 mars 2013 19:51
par Eve
Elle devrait se prendre un chat noir, pour conjurer le sort. :content79 :content85