la détestation du riche imprègne la culture française
Posté : 17 mai 2013 16:53
Pourquoi les responsables politiques sont-ils regardés avec méfiance dès qu'il s'agit d'argent? Pour l'historien Jean Garrigues, professeur à l'université d'Orléans, "la détestation du riche imprègne la culture française". Interview.
Peut-on être riche et homme politique en France?
Il y a une défiance très profonde à l'égard de l'argent, liée, en partie, à notre culture catholique. A cela s'ajoute celle de la gauche, pétrie de soupçons à l'égard des liens qu'entretiennent responsables politiques et monde de l'argent. Au fond, qu'on se vive comme un petit paysan contre les grands propriétaires, un rural contre l'urbain fantasmé comme riche ou comme ouvrier contre le patron, cette suspicion trouve un écho chez beaucoup d'électeurs.
Aujourd'hui encore?
Bien sûr. La nature bipolaire de l'affrontement présidentiel fait que le candidat de gauche est tenu d'exprimer une critique de l'argent s'il veut avoir une chance d'exister électoralement. C'est pour cela que François Hollandea, durant la campagne de 2012, repris les mots de François Mitterrand de 1981. Il y était d'autant plus contraint que Nicolas Sarkozy avait, depuis 2007, introduit une vraie innovation à droite sur ce terrain.
De quelle nature?
Il a vraiment été le premier à briser le tabou culturel de l'ensemble des Français - et pas seulement de la gauche - à l'égard de l'argent. Ce rapport décomplexé et ouvert à la richesse était, de sa part, une forte volonté idéologique. Cela lui a coûté très cher. Le succès de l'ouvrage Le Président des riches des Pinçon-Charlot, en 2010, montre qu'une part importante de la société française n'était pas prête à accepter cette évolution.
L'ère Mitterrand a pourtant marqué une rupture à gauche...
C'est là le paradoxe. Le tabou n'a jamais été vraiment levé. A partir de 1982-1983, les pratiques socialistes ont évolué. Le tournant de la rigueur s'accompagne d'une relation normalisée au monde de l'entreprise. Yvon Gattaz, le président du CNPF de 1981 à 1986, a été le patron des patrons le plus reçu à l'Elysée de tous les temps ! Les délits d'initié (affaires de la Société générale, Triangle...), qui impliquent des proches de François Mitterrand, montrent aussi qu'une barrière psychologique a sauté à gauche. Mais la rhétorique de défiance subsiste.
Le gouvernement a-t-il su tirer les leçons de l'affaire Cahuzac?
La publication des patrimoines va dans le sens du voyeurisme
Au contraire, les mesures présentées ne font qu'entretenir l'ambiguïté. Une partie des décisions (création d'une Haute Autorité, par exemple) exprime un besoin de contrôle et de régulation afin d'empêcher les dérives. Mais la publication des patrimoines va dans le sens du voyeurisme et réactive la détestation du riche qui imprègne la culture française. En mêlant les deux, on n'est pas dans la thérapie de la transparence, mais dans l'alimentation des rancoeurs et des jalousies.
Avec quelles conséquences?
Cela entretient la tentation de la dissimulation chez les hommes politiques. De même que laisser les lobbys dans une forme d'opacité est propice à toutes sortes de scandales. Au final, ce mépris français à l'égard de l'argent est facteur de dérives. Il alimente un "tous pourris" qui profite à l'extrême droite. Et ce depuis 1892, lorsque 150 députés étaient dénoncés comme des "chéquards" pour avoir touché de l'argent de la Compagnie du canal de Panama.
Après avoir été normal en 2012, l'homme politique devra-t-il être pauvre demain?
C'est le risque de l'affaire Cahuzac : faire renaître cette idée qui veut que le représentant du peuple en soit issu. Pourtant, historiquement, cela n'a jamais existé. C'est une pure fiction, mais qui trouve une résonance en chacun de nous.