DSK, Cahuzac et Tapie détériorent l'image de la vie publique
Posté : 29 juin 2013 15:09
Michèle Cotta comprend qu'Alain Duhamel, lassé des petites histoires d'argent ou de moeurs, abandonne sa chronique politique du matin.
Au bout de quarante ans, Alain Duhamel raccroche. Il assure depuis près de 40 ans, sur Europe 1 ou sur RTL, la chronique politique du matin. Il a connu depuis 1965 tous les présidents de la République, a eu avec eux des relations parfois difficiles, le plus souvent, comme avec François Mitterrand, bien vite pacifiées, en 1981. Il n'ignore rien des antichambres du pouvoir, a tout entendu des hommes politiques et tout vu de leurs ambiguïtés. Voilà pourtant qu'il tire sa révérence au petit matin. Raison ? La lassitude. Celle, explique-t-il, d'avoir désormais à commenter, jour après jour, les petites histoires d'argent ou de moeurs. "Les hommes publics obéissent à trois puissants mobiles, disait il y a quelques années Marie-France Garaud, conseillère avisée de Georges Pompidou et Jacques Chirac : l'argent, les femmes ou le pouvoir." Ou les trois à la fois.
S'interroger sur la réalité du pouvoir, les difficultés de sa conquête, la fragilité des régimes, leurs marges exactes de manœuvre ; se pencher sur le choc, inévitable, entre les idées et leur mise en œuvre, entre la réflexion et l'action, l'idéologie et le pragmatisme, l'histoire passée et celle du temps présent, c'est le travail quotidien des commentateurs politiques. Se préoccuper en revanche de ce qui s'est passé une nuit du 15 mai 2011 à New York ou si un compte a été ouvert ou non à Genève et sur quelle banque, c'est une autre affaire : ce qui est pain bénit pour les journaux "people" est surtout, pour ceux qui croient encore, aussi peu que ce soit, à l'intérêt général, le degré zéro de l'action publique.
Le cas Tapie
De ce ras-le-bol, dont Alain Duhamel se fait à sa manière l'écho, la journée de mercredi offre cette semaine une hélas parfaite illustration. À quelques minutes d'intervalle, ce 26 juin, Dominique Strauss-Kahn faisait son entrée au Sénat où l'avaient invité les membres de la commission d'enquête sur le rôle des banques dans l'évasion des capitaux. Peu soucieux de s'épancher auprès des journalistes qui l'attendaient de pied ferme devant l'entrée du Palais du Luxembourg, il a gagné la salle où l'attendaient les élus en passant par les sous-sols. Il en est sorti par la grande porte, l'oeil triomphant, une heure plus tard.
Jérôme Cahuzac, lui, n'a pas hésité à fendre la foule des caméras qui l'attendaient, devant l'annexe de l'Assemblée nationale. Au guidon de son scooter, sourire un peu forcé aux lèvres, l'ancien ministre délégué au Budget a gagné sans s'attarder la salle de réunion où il devait être auditionné par la commission d'enquête parlementaire mise en place après sa démission du gouvernement, et ses aveux, certes tardifs, sur sa détention d'un compte bancaire à l'étranger. Que savaient exactement le président de la République et le Premier ministre sur les trésors cachés du ministre du Budget, à partir de quand se sont-ils mis à douter, au terme de quels dysfonctionnements Jérôme Cahuzac a-t-il pu rester en poste jusqu'au moment où, acculé par Mediapart, il a été contraint de démissionner ? Toutes questions auxquelles les parlementaires attendaient qu'il réponde, alors que l'action judiciaire en cours lui interdisait précisément de le faire. Il n'empêche : l'audition a montré un homme les traits creusés, le visage tendu, se disant avant tout la victime de lui-même, parlant, avec une sorte de triste sincérité, de ses mensonges passés. Ce qui ne l'a pas empêché, début mai, d'envisager de se représenter au siège de député qu'il avait abandonné pour être ministre.
Pendant ce temps-là, Bernard Tapie voyait sa garde à vue prolongée dans l'enquête sur l'arbitrage du conflit qui l'a opposé pendant de longues années au Crédit lyonnais. Plus encore que les 408 millions qui lui avaient été accordés en 2008, c'est la quarantaine de millions rajoutés par les arbitres au titre de préjudice moral qui avait attiré l'attention de ses ennemis et attire aujourd'hui celle des juges. Escroquerie en bande organisée, diable !, les termes sont sévères, d'autant que trois autres personnes ont déjà été mises en examen pour avoir autorisé ou biaisé l'arbitrage au bénéfice de l'ancien ministre de François Mitterrand.
DSK et Cahuzac desservent la cause de la gauche
Bernard Tapie en garde à vue, Jérôme Cahuzac empêtré dans ses mensonges, Dominique Strauss-Kahn reprenant du service, difficile de savoir comment les Français prendront les choses, quelles seront leurs réactions devant ce condensé de la vie politique, qui en est aussi la caricature. Une chose certaine : le sentiment qu'ils ont de l'impunité réelle des politiques, au-delà des commissions d'enquête et autres instructions judiciaires, ne peut en être que renforcé. Certes, il n'y a pas mort d'homme. DSK, que l'on sache, quelles qu'aient été ses transgressions, n'a pas été condamné par la justice et a bénéficié de deux non-lieux en deux ans. Cahuzac a été à la fois menteur et naïf, puisqu'il a cru, avec une trop grande assurance, que son imposture ne serait jamais révélée. Quant à Tapie, c'est Tapie, grande gueule et flibustier, insupportable et sympathique, séducteur et provocateur.
Mais enfin les uns et les autres donnent de la vie publique une image détériorée, celle qui malheureusement s'installe dans l'esprit des Français. Avec deux conséquences graves. La première est de rendre inaudible la parole des politiques et des partis dits "de gouvernement" auxquels ils appartiennent. Et ce, au moment où, dans la crise, elle devrait être plus forte, donc mieux entendue. La seconde est de libérer, en revanche, l'expression des extrêmes. "Tous pourris", a répété récemment Marine Le Pen en déplacement à Forbach, que le Front national guigne à l'occasion des prochaines élections municipales tandis que Jean-Luc Mélenchon continue à condamner dans un même mouvement la majorité actuelle et ceux par qui le scandale public est arrivé.
Sans doute DSK et, dans un autre registre, Jérôme Cahuzac n'ont-ils pas pensé qu'au-delà de leurs actes personnels, ils desserviraient à ce point la cause de la gauche. Ils l'ont fait, en tout cas, et au-delà, en amenant les Français dans leur ensemble à douter de leurs dirigeants, des décisions qu'ils prennent et de leur sens du bien public. En ce sens, ils sont bien, vraiment, impardonnables.