L'intransigeance aveugle de Green Peace sur les OGM
Posté : 05 décembre 2013 10:58
http://www.lemonde.fr/planete/article/2 ... _3244.htmlLe cas du « riz doré » rebat les cartes du débat sur les OGM
La scène s’est déroulée le 8 août aux Philippines : 400 paysans piétinant une rizière où pousse du riz génétiquement modifié. Les images ont été largement relayées par les organisation non gouvernementale (ONG) anti-OGM, relançant la polémique autour du « riz doré ».
Lors de sa création, en 1999, le « golden rice » était promis à un avenir étincelant, au point que le magazine américain Time titrait en 2000 qu’il pourrait « sauver un million d’enfants par an ». Quinze ans plus tard, ce produit miracle se fait encore attendre. Les obstacles bureaucratiques, sanitaires et politiques se sont multipliés, retardant son avènement.
L’histoire commence en Suisse où deux biologistes, Ingo Potrykus, de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, et Peter Beyer, de l’Université de Fribourg-en-Brisgau, s’intéressent à un problème de santé publique majeur : la carence en vitamine A, qui peut conduire à la cécité, voire à la mort, en affaiblissant le système immunitaire. Selon l’OMS, 500 000 personnes, dont 350 000 enfants, deviennent aveugles chaque année par manque de vitamine A. Cette déficience tue entre 1,9 à 2,8 millions de personnes par an, presque autant que le sida et le paludisme réunis.
RISQUES POUR LA SANTÉ
La vitamine A se trouve dans les produits laitiers et les œufs. Elle peut aussi être synthétisée dans l’organisme à partir d’un nutriment, le bêtacarotène, contenu dans de nombreux fruits et légumes. Or les populations pauvres n’ont pas accès à ces vivres-là. Mais beaucoup se nourrissent de riz.
Les deux scientifiques insèrent alors trois gènes activant la production de bêtacarotène dans le code génétique du riz ce qui lui confère une couleur dorée. « Dès l’an 2000, le riz était prêt à être cultivé et testé », se souvient Adrian Dubock, directeur du projet Golden Rice. C’était compter sans la levée de boucliers des ONG opposées aux OGM, Greenpeace en tête.
L’organisation écologiste rétorque aux chercheurs qu’il faudrait manger plusieurs kilos de riz doré pour assurer les besoins quotidiens en vitamine A. Elle critique le fait que MM. Potrykus et Beyer, à court de financement, se soient tournés vers le groupe AstraZeneca (devenu Syngenta), quand bien même l’accord imposait au géant de l’agroalimentaire de mettre les graines de riz doré librement à disposition des paysans dans les pays en développement. Elle évoque enfin des risques pour la santé à consommer un riz génétiquement modifié. « Ce projet est un immense gâchis d’argent », estime Janet Cotter, scientifique de Greenpeace.
« DES COBAYES HUMAINS »
En 2009, l’American Journal of Clinical Nutrition publie une étude menée aux Etats-Unis chez des adultes qui ont ingéré ce riz et conclut que le bêtacarotène se retrouve facilement dans leur sang. Mais une seconde étude publiée dans la même revue à l’été 2012, par une équipe sino-américaine de l’Université Tufts (Massachusetts), va faire plus de bruit.
Ses auteurs ont servi à des groupes d’enfants chinois de 6 à 8 ans des portions de « riz doré » pour évaluer dans quelles proportions il était converti en vitamine A dans leur organisme. Greenpeace critique aussitôt ces recherches et révèle que les enfants ont servi de « cobayes humains ». Les parents, selon l’ONG, n’ont pas été avertis qu’ils mangeaient un OGM. La presse chinoise s’empare de l’affaire. Les autorités chinoises estiment que l’importation du riz en Chine a été réalisée sans approbation et que les chercheurs ont violé les règles éthiques. Les trois collaborateurs chinois de l’étude sont mutés. L’Université Tufts decide alors de lancer une investigation interne.
Le 18 septembre, cette dernière a rendu ses conclusions : les chercheurs impliqués dans l’essai chinois ont bien violé les règles protocolaires américaines sur la recherche sur l’être humain en n’indiquant pas explicitement que le riz ingéré par les enfants avait été modifié génétiquement ; ils ont été sanctionnés. Mais l’enquête souligne aussi que la santé des écoliers n’a pas été atteinte, et que « les résultats scientifiques restent valables, à savoir que le riz doré constitue effectivement une source de vitamine A », se réjouit Ingo Potrykus.
Ainsi, une portion de 100 à 120 g comblerait 60 % des besoins quotidiens. « Ce riz est sûr, peut remplacer les capsules de vitamine A, dont la distribution coûte très cher, ou d’autres de ses sources comme les épinards, et il sera mis à disposition des communautés sans dépendance envers l’industrie agroalimentaire », assure Adrian Dubock.
INNOCUITÉ PAS AVÉRÉE
Des conclusions auxquelles n’adhère pas Greenpeace. « L’innocuité totale du riz doré sur la santé n’a pas été complètement avérée. Il se peut que se créent, dans sa dégradation dans l’organisme, des nutriments nuisibles. On ne sait pas », dit Janet Cotter. « Plusieurs études ont montré que le bêtacarotène, aux doses physiologiques auxquelles il est consommé, n’a pas d’effet délétère », rétorque le directeur du projet.
Le 8 août, lorsque les 400 manifestants ont détruit l’un des cinq champs d’essai aux Philippines, l’ancien cofondateur de Greenpeace, Patrick Moore, qui s’en est retiré en 1986, a pris la défense des chercheurs : « Le fait d’empêcher le riz doré d’être distribué aux personnes qui en ont besoin est immoral et inhumain, et est un crime contre l’humanité ! » Selon lui, Greenpeace aurait même mandaté des jeunes citadins pour aller détruire ces champs avec les paysans. Une accusation réfutée par l’ONG.
L’ex-directeur de Greenpeace, dans la foulée d’une pétition de 6 278 scientifiques sur Internet, décide de lancer un site pour dénoncer l’attitude de Greenpeace et des ONG. Il demande à l’organisation d’« assouplir sa position sur les OGM et de faire une exception avec le riz doré. Devant l’efficacité de ce produit, sa position moraliste n’est plus tenable lorsque 6 000 vies d’enfants sont en jeu chaque jour ».
« Ce sont là de faux arguments, car le riz doré n’est simplement pas la solution, rétorque Janet Cotter. Nous pensons qu’il est erroné de se focaliser uniquement sur le riz, car cela peut au contraire exacerber le problème d’accès à la nourriture. Nous prônons une diversification des cultures et des ressources alimentaires. Nous ne ferons pas d’exception, car ce projet a pour seul but de faire progresser l’acceptation des OGM en général. » Une posture qui a fait sortir le ministre britannique de l’environnement, Owen Paterson, de ses gonds. Le 13 octobre, dans The Independant, il a estimé que cette opposition « portait une ombre noire sur les tentatives de nourrir la planète. Il est révoltant que des enfants deviennent aveugles ou meurent à cause de blocages à cette technologie, opérés par quelques personnes. »
Malgré ces polémiques, le projet continue aux Philippines, à l’Institut international de recherche sur le riz, qui gère les essais. Le gouvernement philippin doit désormais se prononcer sur la demande d’autorisation de mise en culture.
