Éric de Montgolfier : la justice pour tous, surtout pour moi
Posté : 24 janvier 2014 08:30
Le magistrat revient sur cette ambiguïté française, qui consiste à vouloir une justice indépendante tout en critiquant systématiquement ses décisions.
Étrange pays que le nôtre, qui manifeste notamment sa singularité dans les rapports qu'il entretient avec la justice. La plupart de nos concitoyens la souhaitent indépendante, mais n'ont de cesse de la critiquer quand ses décisions leur déplaisent. Ils la veulent juste, ou plutôt égalitaire, mais ne répugnent pas à lui réclamer de préserver d'abord leurs intérêts, souvent au détriment de ceux d'autrui. Ainsi chacun prétend incarner l'idéal commun à l'aune de ses préférences, les érigeant en autant de lois qui devraient s'imposer au monde. De l'institution judiciaire, on n'attend pas qu'elle exprime ce qui est juste, mais ce que l'on croit juste.
Sur le territoire national, les exemples ne manquent pas. Trop souvent sous la conduite d'élus, toujours à leur profit dès lors qu'il s'agit de récupérer l'émotion populaire, les Français vitupèrent au gré de passions qui ne s'inscrivent guère dans la cohérence. Un jour les voici qui s'émeuvent de prisons trop pleines, le lendemain qu'on les vide. La Raison, à laquelle la Révolution voulut élever des autels, ne préside que rarement à ces balancements d'opinion. Tout est question de circonstance, voire de sympathie, ou pas, envers ceux qu'ils concernent.
Dans ce pays qui oppose la température ressentie à celle qui avait été mécaniquement mesurée, après que le sentiment d'insécurité l'ait résolument emporté sur l'amplitude constatée de la délinquance, il faudra peut-être accepter un jour que la justice ait moins d'importance que l'usage auquel nous prétendons la réduire. Heureux temps pour les tribunaux populaires qui déjà se dressent aux carrefours, sous l'étendard de la République, pour désigner aux juges la voie qu'ils doivent suivre. Alors l'innocence ou la culpabilité ne sera plus affaire de preuves, mais de cris. Et l'on ne sait que trop que les plus vigoureux l'emportent, quand même ils ne sont pas les plus nombreux.
Des leçons au reste du monde
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les décisions judiciaires qui frappent nos compatriotes hors de nos frontières fassent, si souvent, l'objet de critiques immodérées. Ce peut être la condamnation elle-même dont on dénie le fondement, mais aussi, quand les faits semblent modérément contestés, les modalités d'exécution de la peine. Ainsi, curieusement, quand ici l'opinion dominante, doutant de l'opportunité des libérations conditionnelles, s'émeut de ce que les peines prononcées ne soient pas entièrement exécutées, la même s'inquiète ouvertement qu'elles puissent l'être ailleurs. Sans doute l'opinion est-elle versatile et il n'est pas à exclure qu'elle se forge d'une autre manière quand le crime s'éloigne. Mais il serait grave qu'une telle volte-face trouve sa source, non dans une légitime approche critique de décisions judiciaires, si souhaitable en démocratie, mais dans un détestable sentiment de supériorité.
En une conjecture difficile qui révèle une régression sensible de notre influence au sein des nations, même si beaucoup ont largement progressé par rapport au temps où nous servions encore de référence, on nous serine à l'envi que notre pays reste grand. Il ne le serait pas moins, bien au contraire, s'il renonçait à donner des leçons au reste du monde. De tous les reproches adressés à l'institution judiciaire, le plus pertinent est sans doute de considérer qu'elle prétend exprimer la vérité, alors qu'il ne s'agit que d'une vérité, la sienne. Cette humilité nécessaire doit également trouver sa place dans nos relations avec les autres nations. Peut-être conviendrait-il de revoir plus souvent La planète des singes et d'en tirer les enseignements que nous offre le scénario.