Daft Punk cartonne, les politiques déconnent
Posté : 27 janvier 2014 21:50
http://www.lefigaro.fr/musique/2014/01/ ... -touch.phpDaft Punk : les chevaliers blancs de la French touch
En raflant cinq récompenses aux Grammy Awards, moment historique pour un groupe français, le duo versaillais entre dans la légende. Retour sur les vingt ans de carrière d'un tandem magistral.
Casqués, immaculés... et muets, les Daft Punk ont joué jusqu'au bout la carte de l'apparition fantomatique en venant récupérer leurs cinq trophées lors de la 56e édition des Grammys Awards, qui s'est déroulée cette nuit à Los Angeles.
Pourtant, loin d'être des ectoplasmes translucides, le groupe versaillais enchaîne les succès depuis vingt ans. D'où viennent-ils? Pourquoi portent-ils des casques? Comment sont-ils entrés dans la légende? Quelques éléments de réponse. Ils n'ont que 17 et 18 ans quand, en 1993, ils fondent Daft Punk. Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo (39 ans tous les deux) se sont rencontrés sur les bancs de l'école. Pour trouver le nom de leur formation, ils reprennent la critique d'un magazine anglais faite à leur égard: «Daft punk» se traduit en français par «punk idiot». En vingt ans de carrière, ils ont réussi à imposer leur French touch, mélange subtil d'électro et de pop.
Dans les années 1990, la musique électronique prend un nouvel essor avec l'arrivée de matériels permettant d'enregistrer chez soi à moindre frais. Les Daft Punk, comme Air ou encore Cassius, s'emparent de cette nouvelle technologie et en font leur force. En 1997, le duo publie son premier album, Homework, très inspiré de la house et de la techno. Le disque comporte notamment leur premier tube, Around the World, qui leur donnera accès à une reconnaissance mondiale.
Daft Punk entre dans la légende
Cinq ans plus tard sort leur deuxième album pop et disco, Discovery (2001), inspiré des années 1980. Une réussite totale qui regroupe des tubes inoubliables, comme One More Time, Digital Love ou encore Harder, Better, Faster, Stronger. Le duo Daft Punk rentre dans la légende. En plus de sa musique, sa stratégie marketing joue un rôle important. En cherchant à préserver la rareté et le mystère, les deux Français s'érigent au rang d'icône. Dans leurs clips, soit ils se montrent casqués soit ils se cachent derrière des personnages de dessin animé. Ainsi, les clips de Discovery sont des morceaux du film d'animation muet Interstella 5555: The 5tory of the 5ecret 5tar 5ystem réalisé par Leiji Matsumoto, le créateur d'Albator.
En dehors de cet univers futuriste qu'ils se plaisent à exploiter, les Daft Punk ne montrent jamais leurs visages en public. Quand ils passent sous le feu des projecteurs, ils enfilent leurs costumes de super-héros et gardent leur casque sur la tête, moyen ingénieux qui leur a permis de garder l'anonymat malgré leur immense notoriété. Ils sortent peu de disques et vont rarement à la télévision. Leur prestation aux Grammy était une première depuis 2008. Quoi de mieux pour créer l'événement? Chacun de leurs faits et gestes est surmédiatisé. Les fans suffisent à eux seuls à faire la promotion du tandem. Ils se sont même payé le luxe de refuser de participer aux Victoires de la musique, alors qu'ils étaient sélectionnés.
Pour leur dernier album, Random Access Memories , publié en mai dernier, ils ont poussé à l'extrême cet art du marketing, suscitant une attente planétaire à coup de teasers et de rumeurs amplifiées par Internet... dont eux-mêmes se tiennent soigneusement à l'écart. Enregistré pour la première fois dans un vrai studio avec des musiciens, comme Nile Rodgers et Julian Casablancas, ce quatrième disque s'est écoulé à quelque 3 millions d'exemplaires dans le monde en 2013. Pour ce projet, les Daft Punk, jusqu'alors liés à une maison de disques française, ont signé directement avec le label Columbia (Sony) aux États-Unis.
Daft Punk - Get Lucky (live aux Grammy Awards 2014)
http://www.lefigaro.fr/musique/2014/01/ ... ssante.phpÀ Daft Punk, la France reconnaissante
Après son coup d'éclat historique aux Grammy Awards, la classe politique s'enthousiasme pour le duo versallais. Le critique musical du Figaro analyse non sans ironie ce chauvinisme de circonstance.
«Je parie que la France est fière est vraiment fière de ces gars-là, en ce moment», déclarait la superstar américaine Pharell Williams, collaborateur du duo, alors que Daft Punk recevait une des cinq récompenses reçues lors de la cérémonie des Grammy Awards, à Los Angeles, dimanche.
Le pays natal des deux musiciens n'a pas tardé à féliciter le groupe, par un Tweet de son premier ministre, posté lundi à 10 heures. «La France est fière de vous!» s'exclamait Jean-Marc Ayrault sur le réseau social, reprenant les termes de Pharell Williams quelques heures auparavant. Son coup de chapeau précéda d'une poignée d'heures le communiqué officiel de la rue de Valois.
La ministre de la Culture Aurélie Filippetti aurait-elle été prise de vitesse par le chef du gouvernement? Les quelques mots qu'elle a adressés à la presse à l'heure du déjeuner avaient quelque chose de bâclé. «Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo sont les fers de lance de la ‘‘french touch'' appréciée du monde entier. Daft Punk incarne l'essor de la musique électronique à la française», écrit-elle, reprenant une terminologie (la French Touch) qui date déjà d'une quinzaine d'années.
La palme du grotesque revient sans contexte à Henri Guaino
Mais la palme du grotesque revient sans contexte à Henri Guaino, ironisant sur le fait que c'était François Hollande lui-même qui avait assuré la promotion du groupe avec ses photos en casque intégral. Le député est-il conscient que Daft Punk a sorti l'un des disques les plus acclamés de l'an passé, faisant de Get Lucky un tube mondial sur lequel ont dansé des millions de gens ignorant le nom du président de la république française?
Il est par ailleurs amusant que ces incontestables ambassadeurs de la musique électronique aient été récompensés pour le premier de leur disque à ne pas avoir été conçu sur ordinateur. Sur le site du New York Times, le blogueur Jon Caramanica remarquait, avec une bonne dose de moquerie, «pour gagner un tas de Grammys, il suffit de dépenser quelques millions de dollars pour être sûr que votre album sonne comme un disque enregistré en 1977».
Loin des premiers pas futuristes du duo, dans les années 1990, leur dernier album rendait hommage au son qui a bercé leur enfance et leur adolescence. Enregistré dans un studio professionnel, et non à domicile, Random Access Memories mettait à l'honneur des musiciens de séances très employés à la fin des années 1970 et dans les années 1980, alors que le soul et le funk se dotaient de nouveaux atours discoïdes.
Thomas Bangalter, l'un des Daft Punk est le fils de Daniel Vangarde
Il faut d'ailleurs remonter à la fin des années 1970, pour retrouver des musiciens français célébrés par l'industrie musicale américaine. Jean-Michel Jarre et Cerrone firent partie de ces pionniers, et René Ameline, leur ingénieur du son, fut le premier Français à recevoir un trophée dans cette catégorie. Thomas Bangalter est lui-même le fils de Daniel Vangarde, qui fit partie de l'aventure Ottawan, dont le tube D.I.S.C.O. se classa numéro un en Angleterre en 1979. Le New-Yorkais Nile Rodgers, qui accompagnait Daft Punk pendant leur prestation, sa somptueuse Stratocaster à la main, avait baptisé son groupe Chic en hommage à la culture et au raffinement hexagonal.
En ces temps moroses, il est réjouissant de voir des artistes salués par leur pays avec les honneurs que l'on réserve habituellement aux grands sportifs. Sans tout à fait égaler la frénésie de la coupe du monde de football de 1998, le triomphe de Daft Punk en Amérique met du baume au cœur. À moins que cela encourage définitivement la jeunesse de ce pays de s'exiler pour réussir…

