.....................................A Marseille, fin de l'histoire pour Saint-Louis Sucre........................................
Lundi, les salariés de l'usine Saint-Louis Sucre au nord de Marseille se sont mobilisés contre la suppression de 53 postes sur les 58 de leur site et pour «le maintien de la filière sucre française». Jeudi, le groupe allemand Südzucker avait refusé des offres de reprise.
Les grévistes ont installé quelques chaises au soleil, derrière la grille d’entrée du site. Ce lundi matin, aucun camion n’entrera chez Saint-Louis Sucre. Comme la semaine dernière, les salariés de l’usine située dans le XIVe arrondissement, au nord de Marseille, ont décidé d’empêcher l’accès aux cylindres bleus géants où cuve le sucre liquide. Une façon de taper au portefeuille le groupe Südzucker, maison mère de Saint-Louis. Qui a tapé en premier : le 14 février, le groupe allemand, leader mondial du secteur, a annoncé des coupes drastiques dans ses activités en France, en réponse à la baisse des cours du sucre qui affecte le secteur depuis trois ans.
A l’horizon 2020, deux des quatre sucreries françaises de Saint-Louis Sucre vont fermer : l’une à Cagny (Calvados), l’autre à Eppeville (Somme). Pour les autres sites de l’Hexagone, c’est un dégraissage sévère des effectifs. Au total, sans compter l’impact sur les quelque 4 000 planteurs de betteraves qui travaillent avec Saint-Louis, sur les 770 emplois que compte la branche française de Südzucker, près de 130 sont supprimés. Dont 53 des 58 postes du site historique de Marseille, au cœur du quartier Saint-Louis, dont la marque a emprunté le nom.
Conditionnement:
Bruno, 47 ans, a grandi dans ce quartier populaire du nord de la ville, où l’activité sucrière est implantée depuis 1860. Les imposants bâtiments de pierre de l’usine, dont certains sont d’époque, c’était son terrain de jeu. «Mon grand-père travaillait ici, raconte-t-il depuis le piquet de grève. Quand j’étais enfant, Saint-Louis Sucre avait l’image d’une grande entreprise qui faisait vivre des générations, ça donnait de l’espoir…»
Lui est embauché en 1996, à l’âge de 24 ans. A l’époque, le site comptait près de 400 salariés et la raffinerie, «le cœur de l’entreprise», tournait plein pot. Quand Südzucker rachète le groupe Saint-Louis en 2001, ils étaient encore 330 à pointer sur place. «Depuis, chaque année, on a arrêté une machine, relève le gréviste. Ils ont rogné sur les effectifs petit à petit, sans forcément de plan social, mais en ne renouvelant pas les départs à la retraite. Jusqu’en 2015, où Südzucker décide d’arrêter la raffinerie.»
Les ouvriers marseillais devront désormais se contenter de l’activité de conditionnement des produits. «C’est sûr que ça posait déjà des questions pour l’avenir, relève Fabien Trujillo, délégué CGT au CSE, vingt ans de boîte au compteur. On n’était pas dupes, on savait qu’il allait y avoir des restructurations. Et en 2017, ils ont pris le prétexte de la libéralisation du marché du sucre mais ce mouvement aurait quand même eu lieu.»
La libéralisation du marché accélère effectivement les choses. Le 1er octobre, le Parlement européen vote la fin des quotas de production de sucre de betteraves dans l’Union, quotas que les gros producteurs mondiaux avaient attaqués devant l’OMC. Pour garder leur rang sur le marché international, la France et l’Allemagne décident d’augmenter leur production. Un surplus qui s’ajoute aux tonnages records enregistrés au même moment ailleurs sur la planète. Conséquence en 2018, les cours s’effondrent (-38%).
«Saint-Louis paye le plus fort»:
Si le marché du sucre est traditionnellement fluctuant, pour Südzucker, pas question de miser sur des lendemains meilleurs. En février, le groupe annonce une réduction de 700 000 tonnes de sa production, engendrant des conséquences sociales lourdes, particulièrement sur sa filiale française. «Sur les réductions annoncées, Saint-Louis Sucre paye le plus fort crédit avec 450 000 tonnes, souligne Rida Bouchelaghem, secrétaire (CGT) du CSE. Cela montre bien la volonté des Allemands de protéger leur industrie et pas la nôtre. Ce que la France ne sait pas faire.»
Mi-mars, le ministère de l’Agriculture français s’en mêle pourtant. «Il n’est pas acceptable que la France subisse une solution brutale et supporte l’essentiel de la restructuration envisagée par Südzucker», indiquait-il alors dans un communiqué, demandant au groupe allemand d’examiner d’éventuels projets de reprise. Dont un tout particulièrement, porté par les planteurs de betteraves français. Ces derniers ont présenté aux Allemands leur offre de reprise des sucreries de Cagny et Eppeville. Mais jeudi, la direction de Südzucker leur a opposé une fin de non-recevoir. «Nous n’arrêtons pas la production de sucre pour la proposer à d’autres acteurs, mais bien pour retirer des capacités du marché», a commenté le président du directoire de Südzucker.
«On nous a démantelés»:
A Marseille, on est un peu loin de ce bras de fer. «Le combat de chaque site est un peu différent, même si on est tous d’accord sur le fond, soutient Fabien Trujillo. Nous, on se bat plus globalement pour le maintien de la filière sucre française. Les économistes nous disent que les cours peuvent remonter, c’est pourquoi on demande à l’Etat français une mise sous tutelle temporaire de la filière, pour préserver l’outil de production et les emplois.»
Si l’intersyndicale de l’usine continue à ferrailler pour maintenir l’activité, du côté des troupes, on n’y croit plus trop. «On nous a démantelés, souffle Bruno, assis au milieu d’un groupe de grévistes. Qu’on parte au moins dignement…» Dignement, en bloquant le site au moins jusqu’à mercredi, date de la prochaine réunion paritaire entre les syndicats et la direction autour du plan de restructuration annoncé. Si Südzucker ne plie pas, il ne restera que cinq salariés à Saint-Louis Sucre Marseille, affectés au conditionnement du sucre liquide qui attend aujourd’hui dans les grosses cuves bleues.
«On va essayer de peser sur les mesures d’accompagnement, mais la solution miracle, on ne l’attend plus. Avant, on pouvait se battre, mais avec les lois Macron et autres, les procédures sociales ont été raccourcies à deux mois. Le 17 juin, ce sera la signature du plan social, puis la clôture en juillet. C’est plié…» souffle un gréviste, salarié ici depuis près de vingt ans. Comme Jean-Louis Bouchet, 57 ans, qui a fait grève lundi en bleu de travail. Avant Marseille, il travaillait déjà pour Saint-Louis Sucre, dans le site de Guignicourt, en Picardie. Quand le site a fermé, il a été reclassé dans le Sud. «En arrivant ici, la direction m’a dit Marseille, ça fermera jamais, vous allez pouvoir aller jusqu’à votre retraite, dit-il. Finalement, il me manquera trois ans.
Source:Libération.