Pourquoi est on friand de fake ?
Posté : 03 décembre 2019 10:12
https://www.lepoint.fr/phebe/phebe-derr ... 0_3590.php
Derrière le succès des infox, plus de paresse que d'idéologie
Sciences cognitives
L'adhésion aux « fake news » est, selon deux chercheurs de Yale, déterminée par la psychologie plutôt que par l'idéologie des individus. Par Laurent Bègue-Shankland*
Publié le 03/12/2019 à 06:11 | Le Point.fr
Dans leur recent article publie dans la revue << Cognition >>, deux chercheurs de l'universite Yale examinent les conditions psychologiques qui favorisent l'adhesion a ces fausses nouvelles. Deux types principaux d'explications permettent de comprendre leur acceptation et leur diffusion.
© DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP
Les fake news, infox en français, sont définies comme des « informations fabriquées qui imitent dans leur forme les contenus médiatiques des nouvelles, mais non dans leur processus organisationnel ni dans leur intention ». Il s'agit de contenus construits de toutes pièces et diffusés notamment via les médias sociaux. L'adhésion aux infox et la participation à leur diffusion dans les réseaux sociaux constituent aujourd'hui un sujet de recherche particulièrement brûlant. Parfois considérée comme une véritable menace pour l'héritage politique et scientifique des Lumières, la prolifération de fausses nouvelles préoccupe d'autant plus que celles-ci mobilisent massivement l'attention médiatique. Par exemple, dans le contexte électoral américain ayant précédé l'accession au pouvoir de Donald Trump, une étude menée sur Facebook indiquait que le nombre de « j'aime », de commentaires et de partages des 20 infox ayant eu le plus de succès était supérieur aux 20 nouvelles véritables les plus virales du moment.
Lire aussi Sébastien Le Fol – « Fake news », la loi qui va enchanter les populistes
Dans leur récent article publié dans la revue Cognition, deux chercheurs de l'université Yale examinent les conditions psychologiques qui favorisent l'adhésion à ces fausses nouvelles. Deux types principaux d'explications permettent de comprendre leur acceptation et leur diffusion. Une première explication relève de ce que les psychologues appellent le « raisonnement motivé », autrement dit ce à quoi ressemble la pensée lorsqu'elle est entachée de biais partisans. Selon cette analyse, choisir d'endosser des infox n'est que le prolongement de l'adhésion à telle ou telle idéologie politique. L'individu adhérerait simplement aux croyances fausses qui confirment ses préférences en matière de valeurs et de vision du monde. Une seconde explication met en exergue la précarité cognitive dont témoignerait l'adhésion aux infox. Dans cette optique, leur accorder du crédit serait la conséquence d'un déficit de rationalité ou d'un manque d'efforts en matière de raisonnement analytique. Les chercheurs concluent à la validité de la seconde explication.
Pensée réflexive
Dans de nombreuses situations où une once de réflexion serait bénéfique à la résolution de problèmes, il apparaît que les êtres humains semblent en manquer et font preuve d'« avarice cognitive » (pour reprendre une expression popularisée par Susan Fiske, de l'université de Princeton). Chez certains d'entre nous, cependant, cette déficience est accentuée, et il existe des tests psychologiques permettant d'en évaluer l'ampleur. L'un des plus utilisés s'appelle le test de réflexion cognitive et se présente sous la forme d'une série de questions comme celle-ci : « Une batte de base-ball et une balle coûtent 1,10 dollar. La batte coûte 1 dollar de plus que la balle. Combien coûte la balle ? » Une réponse intuitive, très fréquente mais fausse, est 10 cents (*). À partir du nombre d'erreurs commises par des individus qui doivent répondre rapidement à des questions similaires, on peut déterminer leur niveau d'incapacité (ou leur faible motivation) à s'engager dans un processus de raisonnement réflexif.
Selon plusieurs études antérieures que les auteurs de cette recherche contestent, la pensée réflexive pourrait n'être d'aucune utilité pour se méfier des infox. Ainsi, lorsqu'elle est inféodée au mode de pensée confirmatoire si couramment adopté dans les débats d'opinion opposant des groupes différents, la pensée réflexive ne ferait qu'aggraver les biais partisans au lieu de les atténuer. Pour mettre en cause cette théorie à bien des égards paradoxale, les auteurs ont collecté dans un premier temps une série d'informations idéologiquement attractives pour les démocrates ou les républicains américains : 15 nouvelles authentiques et 15 infox. Un tiers des nouvelles retenues pour l'étude était favorable aux républicains, un autre tiers aux démocrates, et le dernier tiers était neutre. Près de 800 participants ont ensuite été invités à évaluer leur exactitude et à indiquer leur intention de les partager dans les réseaux sociaux. Ils ont ensuite été soumis aux fameuses questions du test de réflexion cognitive.
Camp politique
Les résultats apportent trois observations particulièrement intéressantes. Tout d'abord, les gens se montrent plus enclins à différencier avec exactitude les vraies nouvelles des infox lorsqu'elles concernent leur camp politique. Ensuite, la capacité à différencier les vraies nouvelles des fausses est significativement inférieure parmi les partisans de Donald Trump. Enfin, et de manière plus fondamentale pour la démonstration, il apparaît que les personnes qui ont une pensée analytique (ainsi diagnostiquée par le test de réflexion cognitive) parviennent davantage à distinguer les fausses des vraies nouvelles, que celles-ci concernent leur bord politique ou non.
Ces résultats suggèrent que la raison a toute sa place pour séparer le bon grain de l'ivraie en matière de nouvelles, et qu'il est probablement judicieux d'encourager une éducation à la pensée rationnelle afin de favoriser un usage plus éclairé des messages médiatiques
Derrière le succès des infox, plus de paresse que d'idéologie
Sciences cognitives
L'adhésion aux « fake news » est, selon deux chercheurs de Yale, déterminée par la psychologie plutôt que par l'idéologie des individus. Par Laurent Bègue-Shankland*
Publié le 03/12/2019 à 06:11 | Le Point.fr
Dans leur recent article publie dans la revue << Cognition >>, deux chercheurs de l'universite Yale examinent les conditions psychologiques qui favorisent l'adhesion a ces fausses nouvelles. Deux types principaux d'explications permettent de comprendre leur acceptation et leur diffusion.
© DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP
Les fake news, infox en français, sont définies comme des « informations fabriquées qui imitent dans leur forme les contenus médiatiques des nouvelles, mais non dans leur processus organisationnel ni dans leur intention ». Il s'agit de contenus construits de toutes pièces et diffusés notamment via les médias sociaux. L'adhésion aux infox et la participation à leur diffusion dans les réseaux sociaux constituent aujourd'hui un sujet de recherche particulièrement brûlant. Parfois considérée comme une véritable menace pour l'héritage politique et scientifique des Lumières, la prolifération de fausses nouvelles préoccupe d'autant plus que celles-ci mobilisent massivement l'attention médiatique. Par exemple, dans le contexte électoral américain ayant précédé l'accession au pouvoir de Donald Trump, une étude menée sur Facebook indiquait que le nombre de « j'aime », de commentaires et de partages des 20 infox ayant eu le plus de succès était supérieur aux 20 nouvelles véritables les plus virales du moment.
Lire aussi Sébastien Le Fol – « Fake news », la loi qui va enchanter les populistes
Dans leur récent article publié dans la revue Cognition, deux chercheurs de l'université Yale examinent les conditions psychologiques qui favorisent l'adhésion à ces fausses nouvelles. Deux types principaux d'explications permettent de comprendre leur acceptation et leur diffusion. Une première explication relève de ce que les psychologues appellent le « raisonnement motivé », autrement dit ce à quoi ressemble la pensée lorsqu'elle est entachée de biais partisans. Selon cette analyse, choisir d'endosser des infox n'est que le prolongement de l'adhésion à telle ou telle idéologie politique. L'individu adhérerait simplement aux croyances fausses qui confirment ses préférences en matière de valeurs et de vision du monde. Une seconde explication met en exergue la précarité cognitive dont témoignerait l'adhésion aux infox. Dans cette optique, leur accorder du crédit serait la conséquence d'un déficit de rationalité ou d'un manque d'efforts en matière de raisonnement analytique. Les chercheurs concluent à la validité de la seconde explication.
Pensée réflexive
Dans de nombreuses situations où une once de réflexion serait bénéfique à la résolution de problèmes, il apparaît que les êtres humains semblent en manquer et font preuve d'« avarice cognitive » (pour reprendre une expression popularisée par Susan Fiske, de l'université de Princeton). Chez certains d'entre nous, cependant, cette déficience est accentuée, et il existe des tests psychologiques permettant d'en évaluer l'ampleur. L'un des plus utilisés s'appelle le test de réflexion cognitive et se présente sous la forme d'une série de questions comme celle-ci : « Une batte de base-ball et une balle coûtent 1,10 dollar. La batte coûte 1 dollar de plus que la balle. Combien coûte la balle ? » Une réponse intuitive, très fréquente mais fausse, est 10 cents (*). À partir du nombre d'erreurs commises par des individus qui doivent répondre rapidement à des questions similaires, on peut déterminer leur niveau d'incapacité (ou leur faible motivation) à s'engager dans un processus de raisonnement réflexif.
Selon plusieurs études antérieures que les auteurs de cette recherche contestent, la pensée réflexive pourrait n'être d'aucune utilité pour se méfier des infox. Ainsi, lorsqu'elle est inféodée au mode de pensée confirmatoire si couramment adopté dans les débats d'opinion opposant des groupes différents, la pensée réflexive ne ferait qu'aggraver les biais partisans au lieu de les atténuer. Pour mettre en cause cette théorie à bien des égards paradoxale, les auteurs ont collecté dans un premier temps une série d'informations idéologiquement attractives pour les démocrates ou les républicains américains : 15 nouvelles authentiques et 15 infox. Un tiers des nouvelles retenues pour l'étude était favorable aux républicains, un autre tiers aux démocrates, et le dernier tiers était neutre. Près de 800 participants ont ensuite été invités à évaluer leur exactitude et à indiquer leur intention de les partager dans les réseaux sociaux. Ils ont ensuite été soumis aux fameuses questions du test de réflexion cognitive.
Camp politique
Les résultats apportent trois observations particulièrement intéressantes. Tout d'abord, les gens se montrent plus enclins à différencier avec exactitude les vraies nouvelles des infox lorsqu'elles concernent leur camp politique. Ensuite, la capacité à différencier les vraies nouvelles des fausses est significativement inférieure parmi les partisans de Donald Trump. Enfin, et de manière plus fondamentale pour la démonstration, il apparaît que les personnes qui ont une pensée analytique (ainsi diagnostiquée par le test de réflexion cognitive) parviennent davantage à distinguer les fausses des vraies nouvelles, que celles-ci concernent leur bord politique ou non.
Ces résultats suggèrent que la raison a toute sa place pour séparer le bon grain de l'ivraie en matière de nouvelles, et qu'il est probablement judicieux d'encourager une éducation à la pensée rationnelle afin de favoriser un usage plus éclairé des messages médiatiques