Interview Rodéos urbains à Lyon. Le coup de gueule d'un CRS : "Ceux qui critiquent, qu'est ce qu'ils proposent ?"
Posté : 09 mai 2021 14:05
C'est pas inintéressant comme interview:
https://actu.fr/auvergne-rhone-alpes/ly ... 54025.html
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Interview Rodéos urbains à Lyon. Le coup de gueule d'un CRS : "Ceux qui critiquent, qu'est ce qu'ils proposent ?"
Au lendemain de la mise en ligne de vidéos de rodéos urbains places Bellecour et des Terreaux à Lyon (Rhône), un CRS, syndiqué Vigimi, pousse un coup de gueule.
Laurent Nguyen, CRS et délégué au syndicat Vigimi, pousse un coup de gueule ce jeudi 29 avril 2021 suite aux polémiques sur les rodéos urbains à Lyon (Rhône).
Par Nathan Lautier Publié le 29 Avr 21 à 20:29
On les voit faire du « wheeling » sur la place Bellecour, ou au pied de l’Hôtel de Ville, place des Terreaux. Ces rodéos urbains ont enflammé les réseaux sociaux ces derniers jours, attisés par les prises de parole de la droite et de l’extrême-droite, fustigeant au passage « l’inaction » de la mairie de Lyon (Rhône).
Des prises de position qui ont fait bondir Laurent Nguyen, référent des CRS auprès du syndicat Vigimi. Ce jeudi 29 avril 2021, le policier a confié sa colère à la rédaction d’Actu Lyon.
Douze ans de CRS
Actu : Bonjour Laurent Nguyen. Vous êtes CRS à Lyon et référent syndical à Vigimi. Pouvons-nous commencer par retracer votre parcours ?
Laurent Nguyen : Je suis CRS depuis 12 ans, un pur produit. Quand je suis rentré à l'école il y a 13 ans, j'avais des idées très sécuritaires. Je suis né à Vénissieux, j'ai grandi à Vaulx-en-Velin, j'ai travaillé dans les quartiers difficiles à Paris, Marseille, Grenoble, Lyon...
Je suis revenu sur ces idées de tout sécuritaire en faisant du terrain. Parce que tu te rends compte que ça ne fonctionne pas. C'est fatigant, mais en tant que policier, tu es en bout de chaîne, qu'est ce que tu veux faire ? Tu paies le prix de décennies de politiques désastreuse.
Justement, pour vous, ces histoires de rodéos, ne sont que l'arbre qui cache la forêt ?
LN : Quand on voit la déliquescence de la fonction publique que ce soit chez les gendarmes, les policiers, la justice... Oui, les rodéos se généralisent. Mais on n'a pas les moyens de les combattre.
Ce qui est énervant, c'est ce que c'est ceux qui ont créé cette situation qui maintenant parlent de tout-sécuritaire. Ils ont créé le chaos, puis rendent les victimes coupables !
Il y a quand même une augmentation de ces rodéos, de ces incivilités.
LN : Bien sûr. Les proportions sont de pires en pires. Dans ma jeunesse, je vivais chemin du Tabagnon à Vaulx-en-Velin. J'en garde de superbes souvenirs. Maintenant, si vous n'êtes pas connu là-bas, vous n'êtes pas tranquille. En 1979, lors des émeutes à Vaulx-en-Velin et Vénissieux (1981 aux Minguettes, les émeutes les plus médiatisées de l'époque, Ndlr), vous voyiez des jeunes expliquer au micro de journalistes leur ras-le-bol. Certains en parlaient bien...
Comment a-t-on pu passer de cela à ce que nous vivons aujourd'hui ? A des gamins qui viennent narguer l'autorité sur la place des Terreaux ?
Ce qui m'énerve, c'est qu'à chaque fait-divers, à chaque acte terroriste, j'ai l'impression de ressentir une atmosphère jubilatoire sur certains plateaux télé, dans une certaines sphères de la population. Il faut réussir à prendre du recul.
A Lyon, concernant les rodéos, beaucoup de critiques se sont dirigées contre le maire de Lyon, Grégory Doucet.
LN : C'est gros comme une maison, franchement. Attaquer Grégory Doucet qui est là depuis 10 mois, et surtout, ce n'est absolument pas de sa compétence ! Les seuls pouvant se saisir de ce genre d'affaire ce sont la police nationale et la gendarmerie. A Lyon, c'est donc la police nationale. J'invite ceux qui disent ça à lire le texte de loi relatif aux rodéos motorisés, datant de 2018*.
Et justement, nous avons des consignes. La DDSP69 (Direction Départementale de la Sécurité Publique, Ndlr) nous a interdit d'intervenir sur les deux roues, pour éviter tout accident et tout incident après.
Je peux les comprendre, d'ailleurs, je ne leur jette pas la pierre. Les risques sont élevés.
Ce qui est vraiment fou, c'est ce que cinq petits cons font du rodéo sur la place des Terreaux, et nous, on est démunis.
Certains pensent qu'il y a justement une sorte d'impunité pour ces personnes, et cette interdiction d'agir n'aide pas, non ?
LN : Ceux qui parlent d'impunité de la délinquance face à la justice n'y connaissent rien. C'est facile à dire. Mais il faut se demander pourquoi. Soit ça veut dire que les juges sont des islamogauchistes, soit on pose la question aux magistrats. Et ils vous diront : il n'y a pas de place en prison. Et pour prendre un exemple, on va amener un gamin avec un bout de shit. Le substitut ne va pas en vouloir. Pourquoi ? On ne condamne pas les gros traficants, on ne va pas condamner un gamin avec 10 grammes de shit ! Il y a toujours ce problème de places.
Ce qui est vraiment fou, c'est ce que cinq petits cons font du rodéo sur la place des Terreaux, et nous, on est démunis. Si j'avais été en patrouille ce soir-là, je suis sûr que je n'aurais rien pu faire. Mais le problème de toutes ces personnes qui prônent le tout-sécuritaire, c'est qu'ils se trompent de réflexion.
« On ne peut pas résoudre le problème de la délinquance par la force »
Quelles sont les réflexions à mener alors selon vous ?
LN : Pourquoi les jeunes font ça ? Il faut essayer de comprendre pourquoi ils en arrivent à ces provocations, déjà.
Ensuite, dans certains quartiers, tu as l'impression d'être une force d'occupation. Tu ne peux plus y rentrer. On est même interdits de rentrer dans certains secteurs par nos supérieurs. Bien sûr, les ministres de l'Intérieur disent à chaque fois qu'il n'y a jamais eu ces ordres. MAis on a des notes écrites le prouvant, comme pour la politique des chiffres.
Qu'est ce qu'il s'est passé pour en arriver là, pour arriver à un tel délitement ?
Il faut identifier la source du rejet. On ne peut pas résoudre le problème de la délinquance par la force.
Tenez, un exemple. Emmanuel Macron voulait mettre "du bleu" de partout [Le président a dit, lors d'un déplacement à Montpellier, « Chaque Français verra plus de bleu », NdlR]. A Lyon, nous avons une compagnie permanente de CRS, avec cinq sections dedans. Nous patrouillons avec une section à la Guillotière, une section à la Duchère...
Au mieux, ça ne sert à rien et le gamin qui veut dealer il se décale de 50 mètres. Au pire on se fait tirer dessus au mortier d'artifice, avec des cailloux... Comme récemment à Vaulx-en-Velin, des collègues se sont fait attaquer.
Si c'est pour mener une politique du tout sécuritaire comme il y a eu aux Etats-Unis, alors il faudra aussi mettre 2 millions de personnes en prison. Mais un, ça ne fonctionne pas. Deux, il faut le financer.
Il y a peut-être un juste milieu entre mettre 2 millions de personnes en prison et réclamer plus de sécurité ?
LN : Oui, mais ceux qui critiquent, qu'est ce qu'ils proposent ? Ils demande plus de flics, mais comment tu les paies ? Et surtout, plus personne ne veut devenir flic. On n'arrive pas à recruter ! A Lyon, 330 policiers municipaux sont budgétisés. Il en manque encore, parce qu'on n'arrive pas à recruter. Ce n'est pas un phénomène propre à la ville, c'est dans toute la France.
Et certaines communes, comme Lyon et autour de Lyon, sont la cible de ces tenants du tout-sécuritaire. C'est révoltant, parce que c'est un déni total des problématiques qu'on rencontre sur le terrain. Nous, on hérite des scissions de la France, mais quand on arrive, il est trop tard pour faire la médiation. Ces rodéos, ce n'est pas réfléchi, ce n'est pas un plan. C'est juste pour montrer qu'ils n'en ont rien à foutre.
Ces gens qui réclament plus de policiers, de la sécurité à tout prix, si un jour je me fais tuer en service, ils instrumentaliseront ma mort pour leurs propos, alors que je suis contre eux.