En Mauritanie, le divorce est une fête
Posté : 21 juillet 2023 16:57
"Dans cette République islamique, le divorce ne signifie pas la marginalisation ou la relégation sociale de la femme. Bien au contraire. Souvent à l’initiative de la séparation, les Mauritaniennes y voient l’occasion de s’autonomiser. Et elles le fêtent joyeusement.
"La tatoueuse au henné se penche sur la main de sa cliente, tout en jetant un coup d’œil à son smartphone pour reproduire au mieux les motifs choisis par la jeune femme.
Dans cette ancienne ville au cœur du désert mauritanien, Iselekhe Jeilaniy, assise sur une natte, veille à ce que le henné fraîchement appliqué ne bave pas. Elle connaît bien cette cérémonie du henné pour l’avoir déjà vécue à la veille de son mariage.
Mais elle ne se marie pas. Elle va divorcer. Le lendemain, elle organise une grande fête pour son divorce.
“Votre attention s’il vous plaît, ma fille Iselekhe est maintenant divorcée !” La mère d’Iselekhe Jeilaniy interpelle les habitants de la ville avec des youyous et un plateau en plastique sur lequel elle tambourine. Puis elle se montre rassurante, comme le veut la tradition, disant que le mariage s’est terminé plus ou moins à l’amiable.
Dans de nombreuses cultures, le divorce est considéré comme un échec et est parfois stigmatisé. Mais en Mauritanie, non seulement cet événement est banal, mais il est l’occasion de faire une grande fête, un moyen d’annoncer que la jeune divorcée est à nouveau libre.
Un record mondial
Depuis des siècles, les femmes se réunissent entre elles pour manger, chanter et danser à l’occasion des divorces. Aujourd’hui, cette tradition s’adapte à la génération selfie, avec des gâteaux aux glaçages élaborés et des stories sur les réseaux sociaux, en plus de la nourriture et de la musique traditionnelles.
Selon certains universitaires, la Mauritanie détient le record mondial du taux de divorce, même si les données ne sont pas très fiables puisque, très souvent, les procédures de divorce ont lieu oralement et non par écrit [Selon les chiffres de 2001, à Nouakchott, 39 % des femmes y avaient contracté au moins deux mariages. Mais les chiffres sont supérieurs depuis, on estime que le taux de divorce varie entre 42 % et 49 %].
La force du matriarcat
Si le divorce est tellement fréquent, estime Nejwa El-Kettab, une sociologue qui étudie la place des femmes dans la société mauritanienne, c’est en partie parce que la communauté maure a hérité de ses ancêtres berbères une forte “tendance au matriarcat.”
Les festivités à l’occasion d’un divorce étaient un moyen pour les communautés nomades du pays de diffuser la nouvelle du changement de statut d’une femme. Contrairement à d’autres pays musulmans, les femmes en Mauritanie jouissent de beaucoup de libertés, dit-elle, et elles peuvent même poursuivre ce qu’elle appelle une “carrière matrimoniale”.
“Une jeune femme divorcée n’est pas considérée comme une paria, assure El-Kettab, Au contraire, son expérience ne la rend que plus désirable, ajoute-t-elle. Le divorce peut même être un atout.”
Iselekhe Jeilaniy rajuste soigneusement sa melfha, un long voile qui la recouvre de la tête aux pieds, d’un blanc éclatant pour mettre en valeur son henné. Sa mère, Salka Bilale, de son côté, pose pour les photos de sa future campagne.
Salka Bilale a également divorcé très jeune, elle est devenue pharmacienne et ne s’est jamais remariée. Elle est aujourd’hui candidate aux élections pour devenir la première femme députée de Ouadane, une ville de quelques milliers d’habitants, qui vivent dans de simples maisons de pierre adossées aux ruines de la vieille ville presque millénaire [la Constitution de 2005 réserve aux femmes un quota minimal de 20 % dans les différentes assemblées].
Malgré ses problèmes d’argent, Salka Bilale a ouvert un commerce et a réussi à économiser suffisamment pour reprendre des études. L’année dernière, un nouvel hôpital a ouvert à Ouadane, et, à 60 ans, elle a enfin pu travailler dans le secteur médical.
L’expérience de ses filles est très différente. Iselekhe Jeilaniy a attendu d’avoir 29 ans pour se marier, et sa sœur Zaidouba, 28 ans, a pour l’instant refusé toutes les propositions de mariage pour se consacrer à ses études et travailler.
Un moyen d’autonomisation
De nombreuses femmes trouvent que le divorce leur octroie une liberté dont elles n’auraient jamais rêvé avant ou pendant leur mariage, surtout le premier. L’ouverture d’esprit des Mauritaniens en matière de divorce – qui est d’une grande modernité en apparence – coexiste avec des pratiques très traditionnelles concernant les premiers mariages. Les parents choisissent le marié et donnent leur fille en mariage quand elles sont encore très jeunes. Plus d’un tiers des femmes sont déjà mariées à l’âge de 18 ans. Et les femmes n’ont pas leur mot à dire dans le choix de leur époux.
Une autre habitante de Ouadane, Lakwailia Rweijil, a été mariée pour la première fois quand elle était adolescente. Son père avait organisé la cérémonie sans l’avertir et l’avait mise devant le fait accompli.
Elle n’a pas attendu longtemps pour divorcer. Elle a ensuite été mariée et divorcée plusieurs fois au cours des vingt années qui ont suivi.
Lakwailia Rweijil a beau avoir eu six maris, elle n’a pas pu en choisir un seul. Elle reconnaît qu’elle ne s’“attache pas vraiment”
Elle a quand même eu son mot à dire sur les séparations. Du point de vue du droit, et selon certaines circonstances, les femmes peuvent être à l’origine du divorce en Mauritanie, et même si techniquement ce sont les hommes qui demandent le divorce, il est souvent à l‘initiative des femmes.
Cérémonie de démariage
Iselekhe Jeilaniy a divorcé parce que son mari était trop jaloux et qu’il lui interdisait même parfois de sortir. Elle a dû attendre trois mois pour finaliser son divorce et organiser sa fête, un laps de temps minimum pour s’assurer que l’épouse n’est pas enceinte. Si c’est le cas, le couple doit attendre la naissance de l’enfant.
Pour sa fête de divorce, Iselekhe Jeilaniy s’est soigneusement maquillée et a souligné ses sourcils de poudre dorée, comme elle l’avait vu sur YouTube.
Enveloppée dans une melfha indigo, elle sort de chez elle et se dirige vers la fête, organisée par une amie de sa mère dans le salon de sa modeste maison en pierre.
D’autres femmes arrivent, et les chants peuvent commencer. Celles qui ont connu de nombreux divorces et ont déjà assisté à de nombreuses fêtes de ce genre entonnent des chansons qui parlent d’amour et ensuite du prophète Mahomet – une musique du désert rythmée, envoûtante et parfois tragique, accompagnée uniquement par des percussions et les battements des mains.
Source : Courrier international = https://kassataya.com/2023/06/29/en-mau ... -une-fete/
"La tatoueuse au henné se penche sur la main de sa cliente, tout en jetant un coup d’œil à son smartphone pour reproduire au mieux les motifs choisis par la jeune femme.
Dans cette ancienne ville au cœur du désert mauritanien, Iselekhe Jeilaniy, assise sur une natte, veille à ce que le henné fraîchement appliqué ne bave pas. Elle connaît bien cette cérémonie du henné pour l’avoir déjà vécue à la veille de son mariage.
Mais elle ne se marie pas. Elle va divorcer. Le lendemain, elle organise une grande fête pour son divorce.
“Votre attention s’il vous plaît, ma fille Iselekhe est maintenant divorcée !” La mère d’Iselekhe Jeilaniy interpelle les habitants de la ville avec des youyous et un plateau en plastique sur lequel elle tambourine. Puis elle se montre rassurante, comme le veut la tradition, disant que le mariage s’est terminé plus ou moins à l’amiable.
Dans de nombreuses cultures, le divorce est considéré comme un échec et est parfois stigmatisé. Mais en Mauritanie, non seulement cet événement est banal, mais il est l’occasion de faire une grande fête, un moyen d’annoncer que la jeune divorcée est à nouveau libre.
Un record mondial
Depuis des siècles, les femmes se réunissent entre elles pour manger, chanter et danser à l’occasion des divorces. Aujourd’hui, cette tradition s’adapte à la génération selfie, avec des gâteaux aux glaçages élaborés et des stories sur les réseaux sociaux, en plus de la nourriture et de la musique traditionnelles.
Selon certains universitaires, la Mauritanie détient le record mondial du taux de divorce, même si les données ne sont pas très fiables puisque, très souvent, les procédures de divorce ont lieu oralement et non par écrit [Selon les chiffres de 2001, à Nouakchott, 39 % des femmes y avaient contracté au moins deux mariages. Mais les chiffres sont supérieurs depuis, on estime que le taux de divorce varie entre 42 % et 49 %].
La force du matriarcat
Si le divorce est tellement fréquent, estime Nejwa El-Kettab, une sociologue qui étudie la place des femmes dans la société mauritanienne, c’est en partie parce que la communauté maure a hérité de ses ancêtres berbères une forte “tendance au matriarcat.”
Les festivités à l’occasion d’un divorce étaient un moyen pour les communautés nomades du pays de diffuser la nouvelle du changement de statut d’une femme. Contrairement à d’autres pays musulmans, les femmes en Mauritanie jouissent de beaucoup de libertés, dit-elle, et elles peuvent même poursuivre ce qu’elle appelle une “carrière matrimoniale”.
“Une jeune femme divorcée n’est pas considérée comme une paria, assure El-Kettab, Au contraire, son expérience ne la rend que plus désirable, ajoute-t-elle. Le divorce peut même être un atout.”
Iselekhe Jeilaniy rajuste soigneusement sa melfha, un long voile qui la recouvre de la tête aux pieds, d’un blanc éclatant pour mettre en valeur son henné. Sa mère, Salka Bilale, de son côté, pose pour les photos de sa future campagne.
Salka Bilale a également divorcé très jeune, elle est devenue pharmacienne et ne s’est jamais remariée. Elle est aujourd’hui candidate aux élections pour devenir la première femme députée de Ouadane, une ville de quelques milliers d’habitants, qui vivent dans de simples maisons de pierre adossées aux ruines de la vieille ville presque millénaire [la Constitution de 2005 réserve aux femmes un quota minimal de 20 % dans les différentes assemblées].
Malgré ses problèmes d’argent, Salka Bilale a ouvert un commerce et a réussi à économiser suffisamment pour reprendre des études. L’année dernière, un nouvel hôpital a ouvert à Ouadane, et, à 60 ans, elle a enfin pu travailler dans le secteur médical.
L’expérience de ses filles est très différente. Iselekhe Jeilaniy a attendu d’avoir 29 ans pour se marier, et sa sœur Zaidouba, 28 ans, a pour l’instant refusé toutes les propositions de mariage pour se consacrer à ses études et travailler.
Un moyen d’autonomisation
De nombreuses femmes trouvent que le divorce leur octroie une liberté dont elles n’auraient jamais rêvé avant ou pendant leur mariage, surtout le premier. L’ouverture d’esprit des Mauritaniens en matière de divorce – qui est d’une grande modernité en apparence – coexiste avec des pratiques très traditionnelles concernant les premiers mariages. Les parents choisissent le marié et donnent leur fille en mariage quand elles sont encore très jeunes. Plus d’un tiers des femmes sont déjà mariées à l’âge de 18 ans. Et les femmes n’ont pas leur mot à dire dans le choix de leur époux.
Une autre habitante de Ouadane, Lakwailia Rweijil, a été mariée pour la première fois quand elle était adolescente. Son père avait organisé la cérémonie sans l’avertir et l’avait mise devant le fait accompli.
Elle n’a pas attendu longtemps pour divorcer. Elle a ensuite été mariée et divorcée plusieurs fois au cours des vingt années qui ont suivi.
Lakwailia Rweijil a beau avoir eu six maris, elle n’a pas pu en choisir un seul. Elle reconnaît qu’elle ne s’“attache pas vraiment”
Elle a quand même eu son mot à dire sur les séparations. Du point de vue du droit, et selon certaines circonstances, les femmes peuvent être à l’origine du divorce en Mauritanie, et même si techniquement ce sont les hommes qui demandent le divorce, il est souvent à l‘initiative des femmes.
Cérémonie de démariage
Iselekhe Jeilaniy a divorcé parce que son mari était trop jaloux et qu’il lui interdisait même parfois de sortir. Elle a dû attendre trois mois pour finaliser son divorce et organiser sa fête, un laps de temps minimum pour s’assurer que l’épouse n’est pas enceinte. Si c’est le cas, le couple doit attendre la naissance de l’enfant.
Pour sa fête de divorce, Iselekhe Jeilaniy s’est soigneusement maquillée et a souligné ses sourcils de poudre dorée, comme elle l’avait vu sur YouTube.
Enveloppée dans une melfha indigo, elle sort de chez elle et se dirige vers la fête, organisée par une amie de sa mère dans le salon de sa modeste maison en pierre.
D’autres femmes arrivent, et les chants peuvent commencer. Celles qui ont connu de nombreux divorces et ont déjà assisté à de nombreuses fêtes de ce genre entonnent des chansons qui parlent d’amour et ensuite du prophète Mahomet – une musique du désert rythmée, envoûtante et parfois tragique, accompagnée uniquement par des percussions et les battements des mains.
Source : Courrier international = https://kassataya.com/2023/06/29/en-mau ... -une-fete/