L’entretien du dimanche. «Mélenchon fait clairement le jeu du RN»
Posté : 07 août 2023 08:37
N'en déplaise aux insoumis Jean Garrigues à raison.
Pour l’historien Jean Garrigues, la situation politique conflictuelle ouverte avec l’élection d’une assemblée aux contours inédits en 2022, tient beaucoup à l’attitude de Jean-Luc Mélenchon. En instaurant « une opposition de conflictualité », le patron de LFI fait le choix du désordre politique.
Illustré par l’attitude agressive de la Nupes à l’Assemblée, le débat politique français semble paralysé. Est-ce irréversible ?
La structure ternaire LREM-RN-Nupes est l’élément qui paralyse l’Assemblée actuelle. Nous sommes dans une situation qui ne correspond pas à l’esprit de la Ve République, avec une Assemblée nationale à majorité relative et modérée qui est encadrée par deux forces qui n’ont aucun intérêt à jouer le jeu de la convergence, du consensus, de la négociation ou de la coproduction législative. Que ce soit la Nupes d’un côté ou le Rassemblement national de l’autre, ces deux forces ne sont de plus pas en mesure d’incarner une alternative. Elles ne peuvent pas constituer une majorité et elles ne peuvent pas s’associer pour en obtenir une. Nous sommes donc dans une situation de blocage, très différente de tout ce que l’on a connu jusqu’à présent. Depuis 1962, nous avons eu des majorités pas forcément absolues, mais qui avaient face à elles une alternative politique. Ce qui n’empêchait pas le jeu de la convergence, au nom de l’intérêt du pays.
Vous pensez à quoi ?
Je pense aux socialistes qui votent en 1974 l’interruption volontaire de grossesse et inversement, en 1981, à une opposition de droite, incarnée par Jacques Chirac et d’autres, qui va s’abstenir ou voter pour l’abolition de la peine de mort. La configuration actuelle de l’Assemblée empêche ce genre de comportement. Mais la stratégie de la France insoumise a bien été définie comme une stratégie de conflictualité. Cela passe par une violence verbale, parfois physique, au sein de l’Assemblée et à l’extérieur, par un encouragement à la violence quelle qu’elle soit, notamment contre la police. C’est un type d’opposition qui a des objectifs purement électoraux. Il s’agit de rallier un électorat abstentionniste et sensible à la radicalité, ainsi qu’un électorat des banlieues issu de l’immigration.
A-t-on connu d’autres oppositions de ce type dans l’histoire politique républicaine ?
On pourrait par exemple rapprocher la stratégie de la France insoumise de la manière dont les bonapartistes s’opposaient aux républicains au début de la IIIe République, dans les années 1880. Dans les années 1900, au moment de l’affaire Dreyfus, il y avait une extrême droite très souvent antisémite qui, au fond, développait la même stratégie de conflictualité. C’est-à-dire une opposition systématique, une brutalisation du débat public sans avoir de perspective de prise du pouvoir. C’est également ce que l’on a connu dans l’Entre-deux-guerres avec l’Action française. Quand Léon Blum est devenu président du conseil en 1936, un de ses quelques députés a déclaré : « Ce vieux pays gallo-romain va être gouverné par un juif ! » On retrouve également cette stratégie dans les années 50 avec la virulence des propos des poujadistes au sein desquels figure alors un jeune député nommé Jean-Marie Le Pen. Mais jusqu’à maintenant, on n’avait jamais vu une telle stratégie développée par la gauche ou l’extrême gauche, avec la contestation systématique de la légitimité du pouvoir et la mise en scène de coups d’éclats médiatiques.
Quel rôle jouent les médias dans cette stratégie ?
Les médias jouent incontestablement un rôle d’amplification, voire d’exagération de ces opérations bruyantes. La stratégie de la France insoumise est médiatique. Les coups d’éclats du début du XIXe siècle ou de l’Entre-deux-guerres étaient eux aussi destinés aux journaux. Aujourd’hui, il y a en plus l’image et les réseaux sociaux, qui permettent des formes de radicalité nouvelle, comme l’écrasement d’un ballon à l’effigie d’un ministre, entraînant ainsi des résonances immédiates et universelles.
La personnalité d’Emmanuel Macron est-elle selon vous la cause de cette stratégie ?
Je pense qu’étant donné la structuration de l’électorat, cela aurait été la même chose avec un Édouard Philippe ou un Bernard Cazeneuve. Il suffit de lire la virulence des propos de Jean-Luc Mélenchon contre la gauche « traditionnelle ». N’oublions que, concernant François Hollande, il parlait de « capitaine de pédalo ». Il est sûr que la figure d’autorité d’Emmanuel Macron, ainsi que ses maladresses, ont alimenté la stratégie critique,
Cette posture radicale à l’Assemblée a-t-elle contribué à crédibiliser le RN ?
Le propos de Jean-Luc Mélenchon consiste à dire que c’est Emmanuel Macron qui l’a fait monter. Mais la réalité est toute autre. Ce qui s’est passé depuis l’élection de l’an passé, c’est que cette stratégie de conflictualité, assumée par la France insoumise, a validé la dédiabolisation du RN. Alors même que la tradition de violence politique était assumée par l’extrême droite jusqu’à Jean-Marie Le Pen, elle est aujourd’hui incarnée par Jean-Luc Mélenchon. Marine Le Pen est débordée sur le thème de l’immigration par Éric Zemmour et le sur terrain de la violence par Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier fait donc clairement le jeu du RN.
Au vu de l’histoire, peut-on dire que ces postures violentes n’ont jamais débouché sur rien ?
C’est une certitude. La stratégie à long terme de Jean-Luc Mélenchon, après ses deux échecs à la présidentielle et quoi qu’il en dise, est de revenir dans une sorte d’orthodoxie trotskyste, de susciter une forme de chaos et de désordre politique, avec en perspective une situation très révolutionnaire. Je crois qu’il y a de sa part une renonciation à la prise de pouvoir par des moyens traditionnels. On voit bien aujourd’hui que cette stratégie « révolutionnaire » est inefficace. L’évolution de l’opinion vers la droite est à l’opposé de la stratégie de la France insoumise, et les partenaires de la Nupes eux-mêmes prennent de plus en plus leurs distances.
La réforme des institutions constitue-t-elle une urgence selon vous ?
Les institutions de la Ve République sont suffisamment souples pour s’adapter à toutes les situations, y compris à celle de la cohabitation, souhaitée par beaucoup de Français. Revenir au septennat en découplant la présidentielle et les législatives permettrait à l’évidence un apaisement, de même qu’un développement de la démocratie participative. Mais si on reste avec cette tripartition à l’Assemblée, rien ne changera d’ici la fin de la mandature. À mon sens, la renaissance d’un vrai débat démocratique passe aujourd’hui par un vrai contrat de gouvernement avec Les Républicains. Cela entraînerait forcément une recomposition de la droite comme de la gauche, qui seraient obligées de se redéfinir par rapport au macronisme. Je ne formule pas là un choix politique, mais cela me paraît une solution souhaitable pour retrouver de l’efficacité et assurer une respiration démocratique.
https://www.lunion.fr/id508026/article/ ... -jeu-du-rn#
Pour l’historien Jean Garrigues, la situation politique conflictuelle ouverte avec l’élection d’une assemblée aux contours inédits en 2022, tient beaucoup à l’attitude de Jean-Luc Mélenchon. En instaurant « une opposition de conflictualité », le patron de LFI fait le choix du désordre politique.
Illustré par l’attitude agressive de la Nupes à l’Assemblée, le débat politique français semble paralysé. Est-ce irréversible ?
La structure ternaire LREM-RN-Nupes est l’élément qui paralyse l’Assemblée actuelle. Nous sommes dans une situation qui ne correspond pas à l’esprit de la Ve République, avec une Assemblée nationale à majorité relative et modérée qui est encadrée par deux forces qui n’ont aucun intérêt à jouer le jeu de la convergence, du consensus, de la négociation ou de la coproduction législative. Que ce soit la Nupes d’un côté ou le Rassemblement national de l’autre, ces deux forces ne sont de plus pas en mesure d’incarner une alternative. Elles ne peuvent pas constituer une majorité et elles ne peuvent pas s’associer pour en obtenir une. Nous sommes donc dans une situation de blocage, très différente de tout ce que l’on a connu jusqu’à présent. Depuis 1962, nous avons eu des majorités pas forcément absolues, mais qui avaient face à elles une alternative politique. Ce qui n’empêchait pas le jeu de la convergence, au nom de l’intérêt du pays.
Vous pensez à quoi ?
Je pense aux socialistes qui votent en 1974 l’interruption volontaire de grossesse et inversement, en 1981, à une opposition de droite, incarnée par Jacques Chirac et d’autres, qui va s’abstenir ou voter pour l’abolition de la peine de mort. La configuration actuelle de l’Assemblée empêche ce genre de comportement. Mais la stratégie de la France insoumise a bien été définie comme une stratégie de conflictualité. Cela passe par une violence verbale, parfois physique, au sein de l’Assemblée et à l’extérieur, par un encouragement à la violence quelle qu’elle soit, notamment contre la police. C’est un type d’opposition qui a des objectifs purement électoraux. Il s’agit de rallier un électorat abstentionniste et sensible à la radicalité, ainsi qu’un électorat des banlieues issu de l’immigration.
A-t-on connu d’autres oppositions de ce type dans l’histoire politique républicaine ?
On pourrait par exemple rapprocher la stratégie de la France insoumise de la manière dont les bonapartistes s’opposaient aux républicains au début de la IIIe République, dans les années 1880. Dans les années 1900, au moment de l’affaire Dreyfus, il y avait une extrême droite très souvent antisémite qui, au fond, développait la même stratégie de conflictualité. C’est-à-dire une opposition systématique, une brutalisation du débat public sans avoir de perspective de prise du pouvoir. C’est également ce que l’on a connu dans l’Entre-deux-guerres avec l’Action française. Quand Léon Blum est devenu président du conseil en 1936, un de ses quelques députés a déclaré : « Ce vieux pays gallo-romain va être gouverné par un juif ! » On retrouve également cette stratégie dans les années 50 avec la virulence des propos des poujadistes au sein desquels figure alors un jeune député nommé Jean-Marie Le Pen. Mais jusqu’à maintenant, on n’avait jamais vu une telle stratégie développée par la gauche ou l’extrême gauche, avec la contestation systématique de la légitimité du pouvoir et la mise en scène de coups d’éclats médiatiques.
Quel rôle jouent les médias dans cette stratégie ?
Les médias jouent incontestablement un rôle d’amplification, voire d’exagération de ces opérations bruyantes. La stratégie de la France insoumise est médiatique. Les coups d’éclats du début du XIXe siècle ou de l’Entre-deux-guerres étaient eux aussi destinés aux journaux. Aujourd’hui, il y a en plus l’image et les réseaux sociaux, qui permettent des formes de radicalité nouvelle, comme l’écrasement d’un ballon à l’effigie d’un ministre, entraînant ainsi des résonances immédiates et universelles.
La personnalité d’Emmanuel Macron est-elle selon vous la cause de cette stratégie ?
Je pense qu’étant donné la structuration de l’électorat, cela aurait été la même chose avec un Édouard Philippe ou un Bernard Cazeneuve. Il suffit de lire la virulence des propos de Jean-Luc Mélenchon contre la gauche « traditionnelle ». N’oublions que, concernant François Hollande, il parlait de « capitaine de pédalo ». Il est sûr que la figure d’autorité d’Emmanuel Macron, ainsi que ses maladresses, ont alimenté la stratégie critique,
Cette posture radicale à l’Assemblée a-t-elle contribué à crédibiliser le RN ?
Le propos de Jean-Luc Mélenchon consiste à dire que c’est Emmanuel Macron qui l’a fait monter. Mais la réalité est toute autre. Ce qui s’est passé depuis l’élection de l’an passé, c’est que cette stratégie de conflictualité, assumée par la France insoumise, a validé la dédiabolisation du RN. Alors même que la tradition de violence politique était assumée par l’extrême droite jusqu’à Jean-Marie Le Pen, elle est aujourd’hui incarnée par Jean-Luc Mélenchon. Marine Le Pen est débordée sur le thème de l’immigration par Éric Zemmour et le sur terrain de la violence par Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier fait donc clairement le jeu du RN.
Au vu de l’histoire, peut-on dire que ces postures violentes n’ont jamais débouché sur rien ?
C’est une certitude. La stratégie à long terme de Jean-Luc Mélenchon, après ses deux échecs à la présidentielle et quoi qu’il en dise, est de revenir dans une sorte d’orthodoxie trotskyste, de susciter une forme de chaos et de désordre politique, avec en perspective une situation très révolutionnaire. Je crois qu’il y a de sa part une renonciation à la prise de pouvoir par des moyens traditionnels. On voit bien aujourd’hui que cette stratégie « révolutionnaire » est inefficace. L’évolution de l’opinion vers la droite est à l’opposé de la stratégie de la France insoumise, et les partenaires de la Nupes eux-mêmes prennent de plus en plus leurs distances.
La réforme des institutions constitue-t-elle une urgence selon vous ?
Les institutions de la Ve République sont suffisamment souples pour s’adapter à toutes les situations, y compris à celle de la cohabitation, souhaitée par beaucoup de Français. Revenir au septennat en découplant la présidentielle et les législatives permettrait à l’évidence un apaisement, de même qu’un développement de la démocratie participative. Mais si on reste avec cette tripartition à l’Assemblée, rien ne changera d’ici la fin de la mandature. À mon sens, la renaissance d’un vrai débat démocratique passe aujourd’hui par un vrai contrat de gouvernement avec Les Républicains. Cela entraînerait forcément une recomposition de la droite comme de la gauche, qui seraient obligées de se redéfinir par rapport au macronisme. Je ne formule pas là un choix politique, mais cela me paraît une solution souhaitable pour retrouver de l’efficacité et assurer une respiration démocratique.
https://www.lunion.fr/id508026/article/ ... -jeu-du-rn#