En Allemagne, un tract se moquant d’Auschwitz remet en lumière la montée de l’antisémitisme
Posté : 30 août 2023 16:25
"L’influent Hubert Aiwanger, numéro 2 du gouvernement de Bavière, est accusé d’avoir écrit un pamphlet antisémite dans sa jeunesse, créant un tollé alors que le nombre d’actes anti-juifs augmente depuis plusieurs années."
"C’est une tempête politique comme il en existe peu en Allemagne. Hubert Aiwanger, vice-président de la région de Bavière, aurait écrit et distribué un tract antisémite lorsqu’il était en classe de première, durant l’année scolaire 1987-1988, selon des révélations, la semaine dernière, du journal Süddeutsche Zeitung.
Son lycée, dans la petite ville bavaroise de Mallersdorf-Pfaffenberg, participait alors à un concours national de mémoire. Hubert Aiwanger, âgé de 17 ans, aurait inventé sa propre compétition, récompensant "le plus gros traître à la patrie". Reproduit par le Süddeutsche Zeitung, ce pamphlet propose aux candidats de se retrouver pour un "entretien d’embauche à Dachau", ville connue pour son camp de concentration nazi. A gagner, une macabre série de prix faisant référence à la Shoah : "un vol libre dans la cheminée d’Auschwitz", "un séjour à vie dans une fosse commune", "un séjour d’un an à Dachau" ou encore "un ticket pour les terrains de chasse éternels", c’est-à-dire "le quartier des divertissements d’Auschwitz."
Appels à la démission
Aujourd’hui, Hubert Aiwanger est un responsable politique influent. Numéro 2 du gouvernement bavarois, chargé de l’Economie, il est aussi le chef du parti Electeurs libres, une organisation de droite très ancrée localement et composante indispensable de la coalition au pouvoir. Avant que ces révélations soient publiées, l’élu niait les faits auprès du journal et dénonçait une "campagne de diffamation", à quelques semaines des élections régionales en Bavière, pour lesquelles il est donné en deuxième position. Mais les accusations du Süddeutsche Zeitung sont étayées par plusieurs témoins de l’époque, qui se souviennent du pamphlet et affirment que le lycée avait reconnu Hubert Aiwanger coupable car des exemplaires du tract avaient été retrouvés dans son cartable. Un conseil disciplinaire l’avait réprimandé et puni en lui faisant faire un exposé sur le IIIe Reich.
Samedi 26 août, l’homme politique finit par reconnaître qu’il avait des copies du document en sa possession, mais réfute toujours en être l’auteur et dit ne plus se souvenir s’il en a distribué. Le soir, c’est son frère qui prend la parole et prétend l’avoir rédigé. Le mystère s’épaissit et de nombreuses questions restent sans réponse. Depuis samedi, silence radio. Un choix étonnant selon le Süddeutsche Zeitung, qui souligne que "ce n’est pas le genre d’Hubert Aiwanger de rester mutique lorsque critiqué". En effet, celui-ci s’est plutôt fait remarquer pour ses discours incisifs contre l’immigration ou la "majorité silencieuse" qui doit "reprendre" la démocratie. Même s’il n’a jamais tenu publiquement de propos antisémites.
L’opposition appelle à la démission de l’élu. "Il m’est inconcevable que Markus Söder [le président de la Bavière, du parti chrétien-social] continue à coopérer et à faire alliance avec quelqu’un qui a confirmé la possession et ne peut pas nier la distribution" de ce tract, martèle le chef du Parti social-démocrate bavarois. Mais depuis qu’il a demandé à son numéro 2 de "clarifier les choses publiquement", Markus Söder ne s’est plus exprimé sur le sujet. L’affaire prend une dimension nationale. "Celui qui se moque des victimes d’Auschwitz ne doit pas avoir de responsabilités dans notre pays", a écrit la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser sur X (ex-Twitter). Le délégué gouvernemental chargé de la lutte contre l’antisémitisme, Felix Klein, a lui aussi jugé inacceptable qu’Hubert Aiwanger conserve ses fonctions si les accusations étaient avérées.
Explosion de l’antisémitisme
Ce scandale dépasse les considérations politiques. C’est un énorme pavé dans la mare, alors que la société allemande connaît une forte montée de l’antisémitisme. Depuis plusieurs années, le nombre de délits ciblant les juifs a beaucoup augmenté en Allemagne, passant de 1 800 en 2018 à plus de 3 000 en 2021, selon le ministère de l’Intérieur. S’il a légèrement baissé l’année dernière, à 2 641, il reste élevé, d’autant plus que le nombre d’actes violents, lui, est en hausse. Des coups de feu tirés contre la synagogue d’Essen et un attentat déjoué contre celle de Dortmund, en novembre dernier, avaient déjà secoué l’Allemagne. Trois ans plus tôt, en 2019, un terroriste d’extrême droite avait tué deux personnes dans la rue à Halle, puis essayé d’entrer dans une synagogue lors d’un office de Yom Kippour.
La majeure partie de ces attaques vient de l’extrême droite, qui progresse outre-Rhin. Le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) gagne du terrain dans les sondages. Il arriverait en 2ᵉ position avec 23 % des voix aux élections fédérales, soit plus du double de son score de 2021. Si le programme de l’AfD ne comporte aucune référence antisémite, plusieurs de ses responsables ont tenu des propos relativisant la Shoah et le nazisme. L’ancien président du parti, Alexander Gauland, avait par exemple revendiqué "le droit d’être fier des performances des soldats allemands durant la Seconde Guerre mondiale", et son collègue Bjorn Hocke avait qualifié de "monument de la honte" un mémorial de la Shoah installé à Berlin. Un sondage de l’Institut Allensbach, publié en mai 2022, estime par ailleurs que 48 % des partisans de l’AfD sont convaincus que les juifs exploitent les expériences de la Shoah à leur avantage, soit 14 % de plus que la population totale.
La crise du Covid-19 est également passée par là. Des manifestations contre le confinement et les vaccins ont été le théâtre d’actes antisémites, comme en août 2020 à Berlin. Plus de 20 000 personnes demandaient la fin des restrictions sanitaires, un rassemblement soutenu par des groupes néo-nazis et lors duquel étaient brandies des pancartes antisémites. L’une d’entre elles représentait une croix gammée formée à partir d’un masque, d’une seringue de vaccin, d’une carte bancaire et d’une caméra de vidéosurveillance.
Pancarte antisémite Covid
Enfin, le ministère de l’Intérieur et plusieurs organisations luttant contre la haine anti-juifs notent une hausse de l’antisémitisme islamiste en Allemagne. Au premier semestre de 2021, 164 des 522 actes antisémites recensés par le Centre de recherche et d’information sur l’antisémitisme (RIAS) avaient un lien avec le conflit israélo-palestinien, alors que des tirs de roquettes opposaient Israël et le Hamas dans la bande de Gaza. Et selon le même sondage de l’Institut Allensbach, les musulmans d’Allemagne sont 22 % à avoir une mauvaise image des juifs, contre 6 % pour la population totale."
https://www.lexpress.fr/monde/europe/en ... ULL3JUUWQ/
En 2018, le fraîchement nommé délégué gouvernemental à la lutte contre l’antisémitisme, Felix Klein, disait vouloir agir contre ce fléau sur les réseaux sociaux, inciter les victimes à signaler les actes haineux, et renforcer l’étude de la Shoah à l’école. Mais le directeur du RIAS dénonce, lui, un manque de moyens pour mener à bien ce combat. "Cinq centres de signalement soutenus par des fonds régionaux ne disposent même pas de deux postes à temps plein, et trois prévoient des réductions l’année prochaine", a déclaré Benjamin Steinitz en juin dernier. Si l’on peut saluer les nombreuses condamnations du tract d’Hubert Aiwanger, il semble que le chemin vers un recul de l’antisémitisme en Allemagne est encore long à parcourir."
"C’est une tempête politique comme il en existe peu en Allemagne. Hubert Aiwanger, vice-président de la région de Bavière, aurait écrit et distribué un tract antisémite lorsqu’il était en classe de première, durant l’année scolaire 1987-1988, selon des révélations, la semaine dernière, du journal Süddeutsche Zeitung.
Son lycée, dans la petite ville bavaroise de Mallersdorf-Pfaffenberg, participait alors à un concours national de mémoire. Hubert Aiwanger, âgé de 17 ans, aurait inventé sa propre compétition, récompensant "le plus gros traître à la patrie". Reproduit par le Süddeutsche Zeitung, ce pamphlet propose aux candidats de se retrouver pour un "entretien d’embauche à Dachau", ville connue pour son camp de concentration nazi. A gagner, une macabre série de prix faisant référence à la Shoah : "un vol libre dans la cheminée d’Auschwitz", "un séjour à vie dans une fosse commune", "un séjour d’un an à Dachau" ou encore "un ticket pour les terrains de chasse éternels", c’est-à-dire "le quartier des divertissements d’Auschwitz."
Appels à la démission
Aujourd’hui, Hubert Aiwanger est un responsable politique influent. Numéro 2 du gouvernement bavarois, chargé de l’Economie, il est aussi le chef du parti Electeurs libres, une organisation de droite très ancrée localement et composante indispensable de la coalition au pouvoir. Avant que ces révélations soient publiées, l’élu niait les faits auprès du journal et dénonçait une "campagne de diffamation", à quelques semaines des élections régionales en Bavière, pour lesquelles il est donné en deuxième position. Mais les accusations du Süddeutsche Zeitung sont étayées par plusieurs témoins de l’époque, qui se souviennent du pamphlet et affirment que le lycée avait reconnu Hubert Aiwanger coupable car des exemplaires du tract avaient été retrouvés dans son cartable. Un conseil disciplinaire l’avait réprimandé et puni en lui faisant faire un exposé sur le IIIe Reich.
Samedi 26 août, l’homme politique finit par reconnaître qu’il avait des copies du document en sa possession, mais réfute toujours en être l’auteur et dit ne plus se souvenir s’il en a distribué. Le soir, c’est son frère qui prend la parole et prétend l’avoir rédigé. Le mystère s’épaissit et de nombreuses questions restent sans réponse. Depuis samedi, silence radio. Un choix étonnant selon le Süddeutsche Zeitung, qui souligne que "ce n’est pas le genre d’Hubert Aiwanger de rester mutique lorsque critiqué". En effet, celui-ci s’est plutôt fait remarquer pour ses discours incisifs contre l’immigration ou la "majorité silencieuse" qui doit "reprendre" la démocratie. Même s’il n’a jamais tenu publiquement de propos antisémites.
L’opposition appelle à la démission de l’élu. "Il m’est inconcevable que Markus Söder [le président de la Bavière, du parti chrétien-social] continue à coopérer et à faire alliance avec quelqu’un qui a confirmé la possession et ne peut pas nier la distribution" de ce tract, martèle le chef du Parti social-démocrate bavarois. Mais depuis qu’il a demandé à son numéro 2 de "clarifier les choses publiquement", Markus Söder ne s’est plus exprimé sur le sujet. L’affaire prend une dimension nationale. "Celui qui se moque des victimes d’Auschwitz ne doit pas avoir de responsabilités dans notre pays", a écrit la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser sur X (ex-Twitter). Le délégué gouvernemental chargé de la lutte contre l’antisémitisme, Felix Klein, a lui aussi jugé inacceptable qu’Hubert Aiwanger conserve ses fonctions si les accusations étaient avérées.
Explosion de l’antisémitisme
Ce scandale dépasse les considérations politiques. C’est un énorme pavé dans la mare, alors que la société allemande connaît une forte montée de l’antisémitisme. Depuis plusieurs années, le nombre de délits ciblant les juifs a beaucoup augmenté en Allemagne, passant de 1 800 en 2018 à plus de 3 000 en 2021, selon le ministère de l’Intérieur. S’il a légèrement baissé l’année dernière, à 2 641, il reste élevé, d’autant plus que le nombre d’actes violents, lui, est en hausse. Des coups de feu tirés contre la synagogue d’Essen et un attentat déjoué contre celle de Dortmund, en novembre dernier, avaient déjà secoué l’Allemagne. Trois ans plus tôt, en 2019, un terroriste d’extrême droite avait tué deux personnes dans la rue à Halle, puis essayé d’entrer dans une synagogue lors d’un office de Yom Kippour.
La majeure partie de ces attaques vient de l’extrême droite, qui progresse outre-Rhin. Le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) gagne du terrain dans les sondages. Il arriverait en 2ᵉ position avec 23 % des voix aux élections fédérales, soit plus du double de son score de 2021. Si le programme de l’AfD ne comporte aucune référence antisémite, plusieurs de ses responsables ont tenu des propos relativisant la Shoah et le nazisme. L’ancien président du parti, Alexander Gauland, avait par exemple revendiqué "le droit d’être fier des performances des soldats allemands durant la Seconde Guerre mondiale", et son collègue Bjorn Hocke avait qualifié de "monument de la honte" un mémorial de la Shoah installé à Berlin. Un sondage de l’Institut Allensbach, publié en mai 2022, estime par ailleurs que 48 % des partisans de l’AfD sont convaincus que les juifs exploitent les expériences de la Shoah à leur avantage, soit 14 % de plus que la population totale.
La crise du Covid-19 est également passée par là. Des manifestations contre le confinement et les vaccins ont été le théâtre d’actes antisémites, comme en août 2020 à Berlin. Plus de 20 000 personnes demandaient la fin des restrictions sanitaires, un rassemblement soutenu par des groupes néo-nazis et lors duquel étaient brandies des pancartes antisémites. L’une d’entre elles représentait une croix gammée formée à partir d’un masque, d’une seringue de vaccin, d’une carte bancaire et d’une caméra de vidéosurveillance.
Pancarte antisémite Covid
Enfin, le ministère de l’Intérieur et plusieurs organisations luttant contre la haine anti-juifs notent une hausse de l’antisémitisme islamiste en Allemagne. Au premier semestre de 2021, 164 des 522 actes antisémites recensés par le Centre de recherche et d’information sur l’antisémitisme (RIAS) avaient un lien avec le conflit israélo-palestinien, alors que des tirs de roquettes opposaient Israël et le Hamas dans la bande de Gaza. Et selon le même sondage de l’Institut Allensbach, les musulmans d’Allemagne sont 22 % à avoir une mauvaise image des juifs, contre 6 % pour la population totale."
https://www.lexpress.fr/monde/europe/en ... ULL3JUUWQ/
En 2018, le fraîchement nommé délégué gouvernemental à la lutte contre l’antisémitisme, Felix Klein, disait vouloir agir contre ce fléau sur les réseaux sociaux, inciter les victimes à signaler les actes haineux, et renforcer l’étude de la Shoah à l’école. Mais le directeur du RIAS dénonce, lui, un manque de moyens pour mener à bien ce combat. "Cinq centres de signalement soutenus par des fonds régionaux ne disposent même pas de deux postes à temps plein, et trois prévoient des réductions l’année prochaine", a déclaré Benjamin Steinitz en juin dernier. Si l’on peut saluer les nombreuses condamnations du tract d’Hubert Aiwanger, il semble que le chemin vers un recul de l’antisémitisme en Allemagne est encore long à parcourir."