«Complément d’enquête» sur Cyril Hanouna : la dérive d’un clown devenu mi-gourou, mi-marlou
Posté : 01 décembre 2023 17:51
C 8 C Hanouna C Bolloré...
Un portrait riche d’enseignements sur les pratiques professionnelles douteuses d’Hanouna, sa propension à l’intimidation et son train de vie de nabab loin de son image d’animateur populaire. Mais le plus grave reste son rôle toxique dans la polarisation extrême du débat public.
Se contenter de le traiter de bouffon du roi Bolloré n’est plus suffisant depuis longtemps. Dans l’entreprise de polarisation du débat public où le clash, le buzz et les audiences sont les seules boussoles, Cyril Hanouna est beaucoup plus que cela. L’ancien bateleur potache de la chaîne Comédie, devenu la figure de proue de C8 où son influence semble sans limite, s’est imposé comme un acteur majeur de la vie médiatico-politique. Le portrait que lui a consacré jeudi soir l’émission Complément d’enquête, sur France 2, était censé lever le voile sur les parts d’ombre de celui que le magazine d’investigation qualifie de «nouveau parrain du PAF» mais dont le comportement se rapproche davantage de celui d’un marlou. Un document éclairant mais sans révélations suffisamment fracassantes pour le faire vaciller.
Hanouna est doué pour le job, c’est un fait. Et il est très rentable pour C8, à tel point que les 7,5 millions d’euros d’amendes que l’Arcom a infligés à la chaîne au fil des années pour les manquements de sa tête d’affiche sont quantité négligeable dans ce business model. Cette indéniable réussite commerciale a permis à Hanouna de se construire au fil des années une position singulière et un petit empire personnel qui rappelle celui des producteurs-animateurs du service public à l’époque de la présidence Elkabbach ou des stars de l’antenne à l’âge d’or de TF1. Benjamin Castaldi, qui fut son chroniqueur jusqu’à il y a quelques mois, flambait au casino et rejoignait les studios de Loft Story en hélicoptère. Vingt ans plus tard, le boss de TPMP s’est, lui, offert un yacht Lamborghini d’une valeur de 3 millions d’euros – le même modèle que celui de la légende du MMA, Conor Mc Gregor.
Emissions scénarisées et terreur chez les chroniqueurs
Au fond, Hanouna fait bien ce qu’il veut avec son argent. Libre à lui d’avoir un train de vie de nabab tendance nouveau riche, même si on peut noter qu’il se garde bien d’en faire état à l’antenne, lui qui raconte volontiers son dernier match de padel ou des anecdotes sur ses parents ou son fils. Ce qui est plus embêtant, c’est ce que Complément d’enquête montre de sa fabrique de l’info, souvent fort loin des canons du journalisme. Comme de vulgaires programmes de téléréalité, ses émissions sont largement scénarisées et certains témoignages – comme celui de ces soi-disant policiers de la Brav-M s’exprimant en pleine répression violente de la réforme des retraites – apparaissent largement bidonnés.
A TPMP, un bon débat, quel que soit le sujet, est celui qui oppose les deux positions les plus éloignées : la nuance est l’ennemie de l’audience, la mesure est un obstacle au buzz. L’enjeu est toujours d’électriser le plateau. Quant à ses chroniqueurs, dont il vante à l’antenne la liberté de parole qu’ils ne pourraient pas avoir ailleurs, l’enquête de France 2 illustre à quel point ils sont en fait tenus bride serrée par la production pour défendre tel ou tel avis jugé utile au déroulement de l’émission, jusqu’à recevoir des SMS avec les éléments de langage qu’ils doivent prononcer.
Hanouna est leur gourou, lui qui peut les éjecter aussi vite qu’il les a installés. Ce statut précaire est le lot des chroniqueurs dans quasiment toutes les émissions, mais à TPMP la pression et parfois les échanges violents semblent nettement supérieurs à la moyenne. Et cela vaut aussi pour les équipes de production. On peut certes parler de victimes consentantes, mais il est notable qu’aucun des chroniqueurs et des collaborateurs de Cyril Hanouna n’a été autorisé à répondre à Complément d’enquête, à l’exception de son amie Valérie Benaïm. Dans les enquêtes qui lui ont été consacrées, la plupart des témoins s’expriment anonymement. Tout cela en dit beaucoup sur la terreur qu’il inspire, même chez ses anciens salariés, alors que son goût très modéré pour la contradiction transparaît jusqu’à l’antenne. La journaliste chevronnée qui a mené l’enquête a dit avoir été surprise par les pressions qu’elle a subies.
Itinéraire en forme de dérive
En regardant régulièrement ses émissions, on a eu plusieurs fois l’occasion de constater combien Hanouna peut mal parler aux gens, en premier lieu ceux qui travaillent pour lui. Chacun se souvient de l’épisode Louis Boyard, ex-chroniqueur alors devenu député LFI. Il y a là une part de son personnage sans filtre (sincère, diront ses partisans). Mais Complément d’enquête montre combien l’ex-trublion use de la même violence ordurière dans certains de ses échanges privés, donc loin des caméras. Adepte du rapport de force, de l’insulte et parfois de l’intimidation, Hanouna a aujourd’hui les moyens de faire trembler nombre de ses interlocuteurs. Visiblement il ne s’en prive pas. Marlou, on vous dit. Et quand ce n’est pas lui, c’est sa mère, condamnée à une amende pour ces faits, qui harcèle d’appels anonymes un ancien collaborateur de son fils quand celui-ci affirme sur Facebook que son ex-boss est homophobe.
Le parcours d’Hanouna, c’est aussi un itinéraire en forme de dérive. Originellement à la tête d’une émission un peu potache commentant les médias, il attrape aujourd’hui le moindre sujet de société ou le dernier fait divers, dans une recherche permanente de conflictualité mais aussi d’exclusivité. Dans le Ciel mon mardi de Christophe Dechavanne, diffusé par TF1 en 2e partie de soirée au début des années 90, on pouvait déjà entendre un négationniste éructer face à un rescapé de la Shoah, Hanouna a fait de cette recette son pain quotidien en la remixant à la sauce des réseaux sociaux.
Ivresse du succès et du pouvoir
Il est loin le temps où on pouvait naïvement saluer sa volonté de donner la parole à tous et de s’adresser aux responsables politiques comme le ferait un téléspectateur lambda. Il fut ainsi un des premiers à ouvrir son plateau à des gilets jaunes et on y a vu témoigner des personnages auxquels les autres chaînes tendent moins souvent le micro. C’était l’époque de son livre avec l’ancien patron de l’Express, Christophe Barbier, censé l’installer comme un personnage certes atypique mais respectable. Au cœur du système Bolloré aux côtés de Pascal Praud, Jean-Marc Morandini et compagnie, Hanouna a perdu sa fraîcheur et gagné beaucoup d’argent. S’il semble moins s’inscrire dans la bataille idéologique que dans la recherche de l’audience à n’importe quel prix, il a laissé en chemin ce qui pouvait le rendre intrigant et même un temps attachant.
Il est aujourd’hui le symbole d’un cynisme qui ne s’encombre d’aucun sens des responsabilités. L’ivresse du succès et du pouvoir n’y sont pas pour rien. Le problème c’est qu’il ne semble avoir aucun garde-fou et que son influence – même si les audiences sont parfois moins flamboyantes depuis la rentrée – est plus importante que jamais grâce au bruit que les extraits de son émission génèrent sur Facebook ou X (ex-Twitter). On le savait avant de regarder Complément d’enquête, mais la démonstration est édifiante. Elle sera bien sûr au menu de TPMP ce vendredi après avoir été évoquée à de nombreuses reprises dans l’émission ces derniers mois. Dans une démarche de contre-attaque par le dénigrement, la minimisation et la moquerie, mais aussi dans une logique propre aux mégalomanes : qu’on parle de moi en bien ou en mal, l’important c’est qu’on en parle.
https://www.liberation.fr/politique/com ... Y2BLI2JIA/
Un portrait riche d’enseignements sur les pratiques professionnelles douteuses d’Hanouna, sa propension à l’intimidation et son train de vie de nabab loin de son image d’animateur populaire. Mais le plus grave reste son rôle toxique dans la polarisation extrême du débat public.
Se contenter de le traiter de bouffon du roi Bolloré n’est plus suffisant depuis longtemps. Dans l’entreprise de polarisation du débat public où le clash, le buzz et les audiences sont les seules boussoles, Cyril Hanouna est beaucoup plus que cela. L’ancien bateleur potache de la chaîne Comédie, devenu la figure de proue de C8 où son influence semble sans limite, s’est imposé comme un acteur majeur de la vie médiatico-politique. Le portrait que lui a consacré jeudi soir l’émission Complément d’enquête, sur France 2, était censé lever le voile sur les parts d’ombre de celui que le magazine d’investigation qualifie de «nouveau parrain du PAF» mais dont le comportement se rapproche davantage de celui d’un marlou. Un document éclairant mais sans révélations suffisamment fracassantes pour le faire vaciller.
Hanouna est doué pour le job, c’est un fait. Et il est très rentable pour C8, à tel point que les 7,5 millions d’euros d’amendes que l’Arcom a infligés à la chaîne au fil des années pour les manquements de sa tête d’affiche sont quantité négligeable dans ce business model. Cette indéniable réussite commerciale a permis à Hanouna de se construire au fil des années une position singulière et un petit empire personnel qui rappelle celui des producteurs-animateurs du service public à l’époque de la présidence Elkabbach ou des stars de l’antenne à l’âge d’or de TF1. Benjamin Castaldi, qui fut son chroniqueur jusqu’à il y a quelques mois, flambait au casino et rejoignait les studios de Loft Story en hélicoptère. Vingt ans plus tard, le boss de TPMP s’est, lui, offert un yacht Lamborghini d’une valeur de 3 millions d’euros – le même modèle que celui de la légende du MMA, Conor Mc Gregor.
Emissions scénarisées et terreur chez les chroniqueurs
Au fond, Hanouna fait bien ce qu’il veut avec son argent. Libre à lui d’avoir un train de vie de nabab tendance nouveau riche, même si on peut noter qu’il se garde bien d’en faire état à l’antenne, lui qui raconte volontiers son dernier match de padel ou des anecdotes sur ses parents ou son fils. Ce qui est plus embêtant, c’est ce que Complément d’enquête montre de sa fabrique de l’info, souvent fort loin des canons du journalisme. Comme de vulgaires programmes de téléréalité, ses émissions sont largement scénarisées et certains témoignages – comme celui de ces soi-disant policiers de la Brav-M s’exprimant en pleine répression violente de la réforme des retraites – apparaissent largement bidonnés.
A TPMP, un bon débat, quel que soit le sujet, est celui qui oppose les deux positions les plus éloignées : la nuance est l’ennemie de l’audience, la mesure est un obstacle au buzz. L’enjeu est toujours d’électriser le plateau. Quant à ses chroniqueurs, dont il vante à l’antenne la liberté de parole qu’ils ne pourraient pas avoir ailleurs, l’enquête de France 2 illustre à quel point ils sont en fait tenus bride serrée par la production pour défendre tel ou tel avis jugé utile au déroulement de l’émission, jusqu’à recevoir des SMS avec les éléments de langage qu’ils doivent prononcer.
Hanouna est leur gourou, lui qui peut les éjecter aussi vite qu’il les a installés. Ce statut précaire est le lot des chroniqueurs dans quasiment toutes les émissions, mais à TPMP la pression et parfois les échanges violents semblent nettement supérieurs à la moyenne. Et cela vaut aussi pour les équipes de production. On peut certes parler de victimes consentantes, mais il est notable qu’aucun des chroniqueurs et des collaborateurs de Cyril Hanouna n’a été autorisé à répondre à Complément d’enquête, à l’exception de son amie Valérie Benaïm. Dans les enquêtes qui lui ont été consacrées, la plupart des témoins s’expriment anonymement. Tout cela en dit beaucoup sur la terreur qu’il inspire, même chez ses anciens salariés, alors que son goût très modéré pour la contradiction transparaît jusqu’à l’antenne. La journaliste chevronnée qui a mené l’enquête a dit avoir été surprise par les pressions qu’elle a subies.
Itinéraire en forme de dérive
En regardant régulièrement ses émissions, on a eu plusieurs fois l’occasion de constater combien Hanouna peut mal parler aux gens, en premier lieu ceux qui travaillent pour lui. Chacun se souvient de l’épisode Louis Boyard, ex-chroniqueur alors devenu député LFI. Il y a là une part de son personnage sans filtre (sincère, diront ses partisans). Mais Complément d’enquête montre combien l’ex-trublion use de la même violence ordurière dans certains de ses échanges privés, donc loin des caméras. Adepte du rapport de force, de l’insulte et parfois de l’intimidation, Hanouna a aujourd’hui les moyens de faire trembler nombre de ses interlocuteurs. Visiblement il ne s’en prive pas. Marlou, on vous dit. Et quand ce n’est pas lui, c’est sa mère, condamnée à une amende pour ces faits, qui harcèle d’appels anonymes un ancien collaborateur de son fils quand celui-ci affirme sur Facebook que son ex-boss est homophobe.
Le parcours d’Hanouna, c’est aussi un itinéraire en forme de dérive. Originellement à la tête d’une émission un peu potache commentant les médias, il attrape aujourd’hui le moindre sujet de société ou le dernier fait divers, dans une recherche permanente de conflictualité mais aussi d’exclusivité. Dans le Ciel mon mardi de Christophe Dechavanne, diffusé par TF1 en 2e partie de soirée au début des années 90, on pouvait déjà entendre un négationniste éructer face à un rescapé de la Shoah, Hanouna a fait de cette recette son pain quotidien en la remixant à la sauce des réseaux sociaux.
Ivresse du succès et du pouvoir
Il est loin le temps où on pouvait naïvement saluer sa volonté de donner la parole à tous et de s’adresser aux responsables politiques comme le ferait un téléspectateur lambda. Il fut ainsi un des premiers à ouvrir son plateau à des gilets jaunes et on y a vu témoigner des personnages auxquels les autres chaînes tendent moins souvent le micro. C’était l’époque de son livre avec l’ancien patron de l’Express, Christophe Barbier, censé l’installer comme un personnage certes atypique mais respectable. Au cœur du système Bolloré aux côtés de Pascal Praud, Jean-Marc Morandini et compagnie, Hanouna a perdu sa fraîcheur et gagné beaucoup d’argent. S’il semble moins s’inscrire dans la bataille idéologique que dans la recherche de l’audience à n’importe quel prix, il a laissé en chemin ce qui pouvait le rendre intrigant et même un temps attachant.
Il est aujourd’hui le symbole d’un cynisme qui ne s’encombre d’aucun sens des responsabilités. L’ivresse du succès et du pouvoir n’y sont pas pour rien. Le problème c’est qu’il ne semble avoir aucun garde-fou et que son influence – même si les audiences sont parfois moins flamboyantes depuis la rentrée – est plus importante que jamais grâce au bruit que les extraits de son émission génèrent sur Facebook ou X (ex-Twitter). On le savait avant de regarder Complément d’enquête, mais la démonstration est édifiante. Elle sera bien sûr au menu de TPMP ce vendredi après avoir été évoquée à de nombreuses reprises dans l’émission ces derniers mois. Dans une démarche de contre-attaque par le dénigrement, la minimisation et la moquerie, mais aussi dans une logique propre aux mégalomanes : qu’on parle de moi en bien ou en mal, l’important c’est qu’on en parle.
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