Extrême droite : une armée au service de la bataille culturelle
Posté : 07 décembre 2023 18:47
"Des identitaires aux « parents vigilants », des groupuscules aux partis politiques, les nationalistes de tout poil étendent leurs concepts et influence dans quasiment toutes les sphères de la société. Une diffusion des idées qui délie les langues et s’ancre dans les esprits.
Tous les acteurs de l’extrême droite mènent ensemble la même bataille culturelle. Des élus RN et Reconquête aux groupes identitaires, ils cherchent à faire entrer dans les esprits qu’un « enjeu civilisationnel » serait en train de se nouer. « Une vision de la société française qui oppose le « nous » à « eux » », résume le sociologue Samuel Bouron. Par des pressions, des événements médiatiques, des rassemblements ou des raids organisés, ils sont des centaines, voire des milliers de militants au service de la diffusion de cette idéologie.
Leur combat est désormais livré dans quasiment tous les secteurs de la société, aussi bien sur les plateaux télévisés, les réseaux sociaux, que dans les écoles, le monde de la culture et les syndicats, afin d’imposer leur agenda et leur vision du monde.
L’arrivée en séance publique de la loi Darmanin à l’Assemblée nationale, ce lundi 11 décembre, sur fond de diabolisation de l’immigration, intervient trois semaines après le meurtre du jeune Thomas Perotto à Crépol (Drôme), le 18 novembre. Un fait divers tragique que l’extrême droite est parvenue à placer au centre de l’actualité, en plus d’imposer son propre récit des événements. Celui de « racailles venues pour planter du Blanc », dixit Éric Zemmour, de « razzias » pour Marine Le Pen ou de « pogroms », selon la chroniqueuse de BFMTV Juliette Briens.
Une vision qui ne résiste pas à l’épreuve des faits : les éléments de l’enquête révélés par le Parisien, mercredi, ont démontré que « rien n’accrédite la thèse d’un raid prémédité ». Mais, sur CNews, Pascal Praud y voit un coup monté : « La réécriture est en marche : vous n’avez pas vu ce que vous avez vu. Le système va vous expliquer. »
Les groupuscules d’extrême droite, eux, défilent de plus en plus, jusqu’à préparer des expéditions punitives, comme à Lyon début novembre ou à Romans-sur-Isère, le 1er décembre, quand 80 néonazis ont déferlé dans le quartier de la Monnaie, avec les noms et adresses des suspects du drame de Crépol. Selon le Canard enchaîné, ces informations leur avaient été communiquées par des membres de la police ou des services de renseignements. Preuve que l’extrême droite tisse partout sa toile et étend ses réseaux.
École : les raids idéologiques de Parents vigilants
L’école est particulièrement ciblée depuis plus d’un an. Dès l’été 2022, Éric Zemmour monte le réseau Parents vigilants pour « combattre la détestation de la France » ou encore l’« idéologie LGBT » et « woke » qui seraient enseignées dans une éducation nationale « islamisée ». Des termes relayés par des tracts diffusés jusqu’au portail des établissements scolaires.
Le réseau revendique aujourd’hui plus de 20 000 membres lui permettant de repérer et relayer tout ce qui lui pose problème à l’école. Sur ses réseaux, massivement repris, Parents vigilants chasse les « livres de propagande immigrationniste et progressiste », les sorties scolaires ou rencontres « faites pour endoctriner », avec des associations, des réfugiés, des imams.
Jusqu’à intimider professeurs et élus, comme à Castelnaudary (Haute-Garonne), dans l’objectif de faire interdire une réunion d’information « sur les questions liées aux spécificités LGBTI + ». À Valenciennes (Pas-de-Calais), une enseignante a même reçu des menaces de mort pour un projet de rencontre entre ses élèves et des migrants. Le rectorat a alors annulé la sortie, Parents vigilants s’en est félicité.
« Les parents sont livrés à des campagnes politiques malsaines, constate quotidiennement Nageate Belahcen, ancienne présidente de la FCPE. Sur les groupes WhatsApp ou Facebook, de fausses informations, sur l’éducation à la sexualité par exemple, ou des messages désignant les familles étrangères comme responsables des maux de l’école, comme le manque de moyens, circulent beaucoup. Ce n’est pas toujours signé Parents vigilants, mais la démarche politique est claire. »
En outre, Nageate Belahcen dénonce un entrisme des Parents vigilants au sein des syndicats, alors qu’Éric Zemmour assure que le réseau a obtenu 3 500 sièges aux dernières élections de représentants des parents d’élèves. Avec le risque qu’il puisse influencer les projets pédagogiques des établissements.
Un entrisme qui inquiète des syndicats d’autres secteurs, alors que les votes en faveur de Marine Le Pen ont augmenté parmi les salariés syndiqués entre 2017 et 2022, pour atteindre au premier tour de la présidentielle, selon une étude de l’Ifop, respectivement 29 et 21 % chez les « sympathisants » FO et CGT. Autre exemple, à Perpignan (Pyrénées-Orientales), Bénédicte Vincent, secrétaire départementale de SUD collectivités locales, alerte régulièrement sur les « accointances entre la FO et le RN » qui « favorisent la politique d’extrême droite de la mairie ».
La culture ciblée
Dans la culture, historiquement visée, les pressions et attaques contre des œuvres qui déplaisent à l’extrême droite se multiplient. Avec les mêmes mécanismes que pour l’école : les représentants politiques du RN et de Reconquête s’insurgent, des militants harcèlent sur les réseaux sociaux et, parfois, certains vont jusqu’aux menaces ou à l’agression.
Les chanteurs Bilal Hassani et Médine en font régulièrement les frais, au même titre que de nombreuses drag-queens, jusqu’à voir certaines de leurs représentations annulées sous la pression et les menaces. L’été dernier, à Avignon, des comédiennes de la pièce Carte noire nommée désir, qui traite de l’hypersexualisation des femmes noires, ont même subi des violences, tandis que le RN, dont la députée Caroline Colombier, s’est saisi du sujet à l’Assemblée. Depuis le 28 novembre, la pièce est rejouée à Paris, avec une sécurité renforcée, alors que sur les réseaux sociaux, les insultes et les menaces perdurent.
Idem pour l’actrice Camélia Jordana, qui a pris position contre les violences policières, une des thématiques du film de Mehdi Fikri, Avant que les flammes ne s’éteignent, visé par les identitaires depuis sa sortie, le 15 novembre. « Des commentaires de haine d’une violence inouïe », relate le distributeur, David Grumbach. Sur le site Allociné, un raid de militants a aussi fait chuter les notes du long-métrage. Et de fausses informations, selon lesquelles le film aurait reçu 900 000 euros de subvention publique (410 000 euros en réalité) circulent via des comptes locaux de Reconquête, de pseudo-spécialistes du cinéma, ou sur le plateau de Pascal Praud."
https://www.humanite.fr/politique/eric- ... culturelle
Tous les acteurs de l’extrême droite mènent ensemble la même bataille culturelle. Des élus RN et Reconquête aux groupes identitaires, ils cherchent à faire entrer dans les esprits qu’un « enjeu civilisationnel » serait en train de se nouer. « Une vision de la société française qui oppose le « nous » à « eux » », résume le sociologue Samuel Bouron. Par des pressions, des événements médiatiques, des rassemblements ou des raids organisés, ils sont des centaines, voire des milliers de militants au service de la diffusion de cette idéologie.
Leur combat est désormais livré dans quasiment tous les secteurs de la société, aussi bien sur les plateaux télévisés, les réseaux sociaux, que dans les écoles, le monde de la culture et les syndicats, afin d’imposer leur agenda et leur vision du monde.
L’arrivée en séance publique de la loi Darmanin à l’Assemblée nationale, ce lundi 11 décembre, sur fond de diabolisation de l’immigration, intervient trois semaines après le meurtre du jeune Thomas Perotto à Crépol (Drôme), le 18 novembre. Un fait divers tragique que l’extrême droite est parvenue à placer au centre de l’actualité, en plus d’imposer son propre récit des événements. Celui de « racailles venues pour planter du Blanc », dixit Éric Zemmour, de « razzias » pour Marine Le Pen ou de « pogroms », selon la chroniqueuse de BFMTV Juliette Briens.
Une vision qui ne résiste pas à l’épreuve des faits : les éléments de l’enquête révélés par le Parisien, mercredi, ont démontré que « rien n’accrédite la thèse d’un raid prémédité ». Mais, sur CNews, Pascal Praud y voit un coup monté : « La réécriture est en marche : vous n’avez pas vu ce que vous avez vu. Le système va vous expliquer. »
Les groupuscules d’extrême droite, eux, défilent de plus en plus, jusqu’à préparer des expéditions punitives, comme à Lyon début novembre ou à Romans-sur-Isère, le 1er décembre, quand 80 néonazis ont déferlé dans le quartier de la Monnaie, avec les noms et adresses des suspects du drame de Crépol. Selon le Canard enchaîné, ces informations leur avaient été communiquées par des membres de la police ou des services de renseignements. Preuve que l’extrême droite tisse partout sa toile et étend ses réseaux.
École : les raids idéologiques de Parents vigilants
L’école est particulièrement ciblée depuis plus d’un an. Dès l’été 2022, Éric Zemmour monte le réseau Parents vigilants pour « combattre la détestation de la France » ou encore l’« idéologie LGBT » et « woke » qui seraient enseignées dans une éducation nationale « islamisée ». Des termes relayés par des tracts diffusés jusqu’au portail des établissements scolaires.
Le réseau revendique aujourd’hui plus de 20 000 membres lui permettant de repérer et relayer tout ce qui lui pose problème à l’école. Sur ses réseaux, massivement repris, Parents vigilants chasse les « livres de propagande immigrationniste et progressiste », les sorties scolaires ou rencontres « faites pour endoctriner », avec des associations, des réfugiés, des imams.
Jusqu’à intimider professeurs et élus, comme à Castelnaudary (Haute-Garonne), dans l’objectif de faire interdire une réunion d’information « sur les questions liées aux spécificités LGBTI + ». À Valenciennes (Pas-de-Calais), une enseignante a même reçu des menaces de mort pour un projet de rencontre entre ses élèves et des migrants. Le rectorat a alors annulé la sortie, Parents vigilants s’en est félicité.
« Les parents sont livrés à des campagnes politiques malsaines, constate quotidiennement Nageate Belahcen, ancienne présidente de la FCPE. Sur les groupes WhatsApp ou Facebook, de fausses informations, sur l’éducation à la sexualité par exemple, ou des messages désignant les familles étrangères comme responsables des maux de l’école, comme le manque de moyens, circulent beaucoup. Ce n’est pas toujours signé Parents vigilants, mais la démarche politique est claire. »
En outre, Nageate Belahcen dénonce un entrisme des Parents vigilants au sein des syndicats, alors qu’Éric Zemmour assure que le réseau a obtenu 3 500 sièges aux dernières élections de représentants des parents d’élèves. Avec le risque qu’il puisse influencer les projets pédagogiques des établissements.
Un entrisme qui inquiète des syndicats d’autres secteurs, alors que les votes en faveur de Marine Le Pen ont augmenté parmi les salariés syndiqués entre 2017 et 2022, pour atteindre au premier tour de la présidentielle, selon une étude de l’Ifop, respectivement 29 et 21 % chez les « sympathisants » FO et CGT. Autre exemple, à Perpignan (Pyrénées-Orientales), Bénédicte Vincent, secrétaire départementale de SUD collectivités locales, alerte régulièrement sur les « accointances entre la FO et le RN » qui « favorisent la politique d’extrême droite de la mairie ».
La culture ciblée
Dans la culture, historiquement visée, les pressions et attaques contre des œuvres qui déplaisent à l’extrême droite se multiplient. Avec les mêmes mécanismes que pour l’école : les représentants politiques du RN et de Reconquête s’insurgent, des militants harcèlent sur les réseaux sociaux et, parfois, certains vont jusqu’aux menaces ou à l’agression.
Les chanteurs Bilal Hassani et Médine en font régulièrement les frais, au même titre que de nombreuses drag-queens, jusqu’à voir certaines de leurs représentations annulées sous la pression et les menaces. L’été dernier, à Avignon, des comédiennes de la pièce Carte noire nommée désir, qui traite de l’hypersexualisation des femmes noires, ont même subi des violences, tandis que le RN, dont la députée Caroline Colombier, s’est saisi du sujet à l’Assemblée. Depuis le 28 novembre, la pièce est rejouée à Paris, avec une sécurité renforcée, alors que sur les réseaux sociaux, les insultes et les menaces perdurent.
Idem pour l’actrice Camélia Jordana, qui a pris position contre les violences policières, une des thématiques du film de Mehdi Fikri, Avant que les flammes ne s’éteignent, visé par les identitaires depuis sa sortie, le 15 novembre. « Des commentaires de haine d’une violence inouïe », relate le distributeur, David Grumbach. Sur le site Allociné, un raid de militants a aussi fait chuter les notes du long-métrage. Et de fausses informations, selon lesquelles le film aurait reçu 900 000 euros de subvention publique (410 000 euros en réalité) circulent via des comptes locaux de Reconquête, de pseudo-spécialistes du cinéma, ou sur le plateau de Pascal Praud."
https://www.humanite.fr/politique/eric- ... culturelle