N'en déplaise à Reconquête, la menace de l'ultradroite existe bel et bien en France
Posté : 10 décembre 2023 05:19
Ben oui !...
Les chiffres sont formels: contrairement à ce qu'affirment les leaders du parti d'extrême droite Marion Maréchal et Éric Zemmour, l'ultradroite représente un danger dans le pays.
«Tout le temps qu'on passe à parler de ça, c'est donner du crédit à une menace dérisoire, une menace qui n'existe pas. [...] Oui, qui n'existe pas.» Reçue par la matinale de France Info mardi 5 décembre, Marion Maréchal a été affirmative: «ça», l'ultradroite en l'occurrence, n'est pas dangereuse. Dix jours après le coup de force de militants extrémistes à Romans-sur-Isère (Drôme), qui s'est produit pile une semaine après le meurtre du jeune Thomas P. lors d'une fête à Crépol, la tête de liste de Reconquête aux élections européennes 2024 ne voulait pas accorder une quelconque importance à cette actualité.
Ce discours est également celui du président de son parti, Éric Zemmour. «Ce que je condamne c'est la mort de Thomas, c'est l'ultraracaille, l'ultraimmigration», a martelé de son côté l'ancien polémiste sur les ondes de RMC, le jeudi 30 novembre. Circulez, il n'y a rien à voir: la descente de l'ultradroite dans la Drôme est une «histoire ridicule», que le chef de fil de Reconquête résume à un «écran de fumée» entretenu par le gouvernement et les médias.
La dénonciation de ce danger venu de l'ultradroite n'est pourtant pas l'apanage de l'exécutif et du quatrième pouvoir. Dans une interview accordée au Monde en juillet 2023, Nicolas Lerner, le patron du renseignement intérieur, ne manquait pas de souligner que si les attaques djihadistes représentent la principale menace pour la sécurité du territoire, l'ultradroite n'est pas en reste. «Le risque terroriste qu'elle engendre est allé croissant ces dernières années au sein des démocraties occidentales, en France en particulier», précisait le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI).
Pour Nicolas Lerner, l'année 2015 «a constitué un tournant, avec la survenance d'attentats terroristes sans précédent sur le sol européen et l'exposition de notre continent à d'importants flux migratoires. Une partie de l'extrême droite s'est alors radicalisée et a basculé dans la conviction que, pour protéger l'Europe du risque terroriste et de ce qu'elle désigne comme le “grand remplacement”, face à l'“incurie”, évidemment présumée, de l'État, il était nécessaire de se substituer à lui.» Un constat faisant écho à l'expédition punitive de Romans-sur-Isère, mais pas seulement.
Des projets d'attentats déjoués
Comme Nicolas Lerner le soulignait, le djihadisme reste de très loin la première menace planant sur la sécurité intérieure. Entre 2017 et 2021, onze enquêtes sur l'ultradroite ont été ouvertes par le parquet anti-terroriste, contre quarante-huit rien qu'en 2021 pour le terrorisme islamiste. Pour autant, le danger que représente cette population radicalisée très à droite est bien réel.
Sur les 3.000 à 3.300 militants de l'ultradroite comptabilisés par les services de renseignement, 1.300 sont fichés S. Ces effectifs sont relativement stables ces dernières années compte tenu de la croissance démographique, mais aux yeux de certains spécialistes de l'extrême droite, ce chiffre pourrait être sous-estimé.
La France serait même davantage concernée par le problème que ses voisins. En 2022, la moitié des projets européens d'attaques terroristes de l'ultradroite était tricolore, selon les derniers chiffres de l'agence Europol.Et au total, d'après le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, ce sont ainsi treize projets d'attentats d'ultradroite qui ont été déjoués depuis 2017. Un phénomène qui croît à mesure que la théorie accélérationniste se propage: cette idée selon laquelle il faut précipiter une guerre civile entre deux camps perçus comme irréconciliables.
Le procès Waffenkraft qui s'est tenu en juin dernier rappelait la persistance de la menace. Derrière ce nom (littéralement «puissance des armes» en allemand) tiré du groupe de messagerie Discord de jeunes néonazis, se cachaient quatre hommes soupçonnés de projets criminels. Le principal accusé, un ancien gendarme volontaire condamné à dix-huit ans de prison, avait même rédigé un manifeste d'ultradroite, dans lequel il précisait différents scénarios d'attentats.
Et les enquêteurs avaient retrouvé trois fusils d'assaut, des ustensiles de chimie et des précurseurs d'explosifs dans son appartement. Leur cibles potentielles: des mosquées, des personnalités politico-médiatiques, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), des meetings de Jean-Luc Mélenchon ou encore un concert du rappeur Médine.
Plusieurs drames d'ultradroite et des violences récurrentes
«Pardon, mais j'aimerais qu'on me donne un exemple en France de meurtre commis par l'ultradroite, d'attentat commis par l'ultradroite, de viol commis par l'ultradroite, d'agressions gratuites qui ont entraîné la mort ou des situations d'agression physique extrêmement grave à la sortie d'une boîte de nuit. [...] Combien [de tels actes] venant de l'ultradroite? Zéro.» En renchérissant de la sorte au micro de France Info, Marion Maréchal pensait tenir un argument massue pour minimiser la violence de l'ultradroite.
Quelques jours plus tôt, Éric Zemmour en avait fait de même face à Apolline de Malherbe sur RMC, en demandant à la journaliste si elle avait déjà vu des militants de l'ultradroite en prison.
C'est oublier le meurtre de Federico Martín Aramburú, ancien rugbyman argentin de 42 ans, tué par balles à la sortie d'un bar du VIe arrondissement de Paris le 19 mars 2022. Les deux principaux suspects, mis en examen pour assassinat, sont deux personnalités radicales: Loïk Le Priol et Romain Bouvier, militants de la mouvance nationaliste et identitaire du Groupe union défense (GUD).
La même année, le 14 mai 2022, le suprémaciste Martial Lanoir, admirateur d'Hitler, tue d'une balle dans la tête un homme de 27 ans d'origine hispano-maghrébine, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Plus loin encore, le 5 juin 2013, la mort de Clément Méric, jeune militant antifasciste tué après une rixe avec des skinheads nationalistes, avait fait couler beaucoup d'encre.
Si les leaders de Reconquête minimisent cette menace de l'extrême droite radicale, le parti a pu compter sur le soutien de certains groupuscules de la mouvance. Lors du lancement du mouvement d'Éric Zemmour le 5 décembre 2021 à Villepinte (Seine-Saint-Denis), les Zouaves, des militants hooligans et néonazis particulièrement violents, étaient soupçonnés d'être impliqués dans les violences commises à l'encontre de militants de l'association SOS Racisme.
Le groupe a depuis été dissous en conseil des ministres le 5 janvier 2022. Mais son ancien leader est soupçonné d'avoir voulu commettre des violences envers des supporters marocains à l'occasion de la demi-finale de la Coupe du monde de football entre la France et le Maroc, le 14 décembre 2022.
https://www.slate.fr/story/257485/ultra ... me-meurtre
Les chiffres sont formels: contrairement à ce qu'affirment les leaders du parti d'extrême droite Marion Maréchal et Éric Zemmour, l'ultradroite représente un danger dans le pays.
«Tout le temps qu'on passe à parler de ça, c'est donner du crédit à une menace dérisoire, une menace qui n'existe pas. [...] Oui, qui n'existe pas.» Reçue par la matinale de France Info mardi 5 décembre, Marion Maréchal a été affirmative: «ça», l'ultradroite en l'occurrence, n'est pas dangereuse. Dix jours après le coup de force de militants extrémistes à Romans-sur-Isère (Drôme), qui s'est produit pile une semaine après le meurtre du jeune Thomas P. lors d'une fête à Crépol, la tête de liste de Reconquête aux élections européennes 2024 ne voulait pas accorder une quelconque importance à cette actualité.
Ce discours est également celui du président de son parti, Éric Zemmour. «Ce que je condamne c'est la mort de Thomas, c'est l'ultraracaille, l'ultraimmigration», a martelé de son côté l'ancien polémiste sur les ondes de RMC, le jeudi 30 novembre. Circulez, il n'y a rien à voir: la descente de l'ultradroite dans la Drôme est une «histoire ridicule», que le chef de fil de Reconquête résume à un «écran de fumée» entretenu par le gouvernement et les médias.
La dénonciation de ce danger venu de l'ultradroite n'est pourtant pas l'apanage de l'exécutif et du quatrième pouvoir. Dans une interview accordée au Monde en juillet 2023, Nicolas Lerner, le patron du renseignement intérieur, ne manquait pas de souligner que si les attaques djihadistes représentent la principale menace pour la sécurité du territoire, l'ultradroite n'est pas en reste. «Le risque terroriste qu'elle engendre est allé croissant ces dernières années au sein des démocraties occidentales, en France en particulier», précisait le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI).
Pour Nicolas Lerner, l'année 2015 «a constitué un tournant, avec la survenance d'attentats terroristes sans précédent sur le sol européen et l'exposition de notre continent à d'importants flux migratoires. Une partie de l'extrême droite s'est alors radicalisée et a basculé dans la conviction que, pour protéger l'Europe du risque terroriste et de ce qu'elle désigne comme le “grand remplacement”, face à l'“incurie”, évidemment présumée, de l'État, il était nécessaire de se substituer à lui.» Un constat faisant écho à l'expédition punitive de Romans-sur-Isère, mais pas seulement.
Des projets d'attentats déjoués
Comme Nicolas Lerner le soulignait, le djihadisme reste de très loin la première menace planant sur la sécurité intérieure. Entre 2017 et 2021, onze enquêtes sur l'ultradroite ont été ouvertes par le parquet anti-terroriste, contre quarante-huit rien qu'en 2021 pour le terrorisme islamiste. Pour autant, le danger que représente cette population radicalisée très à droite est bien réel.
Sur les 3.000 à 3.300 militants de l'ultradroite comptabilisés par les services de renseignement, 1.300 sont fichés S. Ces effectifs sont relativement stables ces dernières années compte tenu de la croissance démographique, mais aux yeux de certains spécialistes de l'extrême droite, ce chiffre pourrait être sous-estimé.
La France serait même davantage concernée par le problème que ses voisins. En 2022, la moitié des projets européens d'attaques terroristes de l'ultradroite était tricolore, selon les derniers chiffres de l'agence Europol.Et au total, d'après le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, ce sont ainsi treize projets d'attentats d'ultradroite qui ont été déjoués depuis 2017. Un phénomène qui croît à mesure que la théorie accélérationniste se propage: cette idée selon laquelle il faut précipiter une guerre civile entre deux camps perçus comme irréconciliables.
Le procès Waffenkraft qui s'est tenu en juin dernier rappelait la persistance de la menace. Derrière ce nom (littéralement «puissance des armes» en allemand) tiré du groupe de messagerie Discord de jeunes néonazis, se cachaient quatre hommes soupçonnés de projets criminels. Le principal accusé, un ancien gendarme volontaire condamné à dix-huit ans de prison, avait même rédigé un manifeste d'ultradroite, dans lequel il précisait différents scénarios d'attentats.
Et les enquêteurs avaient retrouvé trois fusils d'assaut, des ustensiles de chimie et des précurseurs d'explosifs dans son appartement. Leur cibles potentielles: des mosquées, des personnalités politico-médiatiques, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), des meetings de Jean-Luc Mélenchon ou encore un concert du rappeur Médine.
Plusieurs drames d'ultradroite et des violences récurrentes
«Pardon, mais j'aimerais qu'on me donne un exemple en France de meurtre commis par l'ultradroite, d'attentat commis par l'ultradroite, de viol commis par l'ultradroite, d'agressions gratuites qui ont entraîné la mort ou des situations d'agression physique extrêmement grave à la sortie d'une boîte de nuit. [...] Combien [de tels actes] venant de l'ultradroite? Zéro.» En renchérissant de la sorte au micro de France Info, Marion Maréchal pensait tenir un argument massue pour minimiser la violence de l'ultradroite.
Quelques jours plus tôt, Éric Zemmour en avait fait de même face à Apolline de Malherbe sur RMC, en demandant à la journaliste si elle avait déjà vu des militants de l'ultradroite en prison.
C'est oublier le meurtre de Federico Martín Aramburú, ancien rugbyman argentin de 42 ans, tué par balles à la sortie d'un bar du VIe arrondissement de Paris le 19 mars 2022. Les deux principaux suspects, mis en examen pour assassinat, sont deux personnalités radicales: Loïk Le Priol et Romain Bouvier, militants de la mouvance nationaliste et identitaire du Groupe union défense (GUD).
La même année, le 14 mai 2022, le suprémaciste Martial Lanoir, admirateur d'Hitler, tue d'une balle dans la tête un homme de 27 ans d'origine hispano-maghrébine, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Plus loin encore, le 5 juin 2013, la mort de Clément Méric, jeune militant antifasciste tué après une rixe avec des skinheads nationalistes, avait fait couler beaucoup d'encre.
Si les leaders de Reconquête minimisent cette menace de l'extrême droite radicale, le parti a pu compter sur le soutien de certains groupuscules de la mouvance. Lors du lancement du mouvement d'Éric Zemmour le 5 décembre 2021 à Villepinte (Seine-Saint-Denis), les Zouaves, des militants hooligans et néonazis particulièrement violents, étaient soupçonnés d'être impliqués dans les violences commises à l'encontre de militants de l'association SOS Racisme.
Le groupe a depuis été dissous en conseil des ministres le 5 janvier 2022. Mais son ancien leader est soupçonné d'avoir voulu commettre des violences envers des supporters marocains à l'occasion de la demi-finale de la Coupe du monde de football entre la France et le Maroc, le 14 décembre 2022.
https://www.slate.fr/story/257485/ultra ... me-meurtre