"Je me demande souvent si je serai heureuse un jour"
Posté : 20 décembre 2023 09:17
""Je me demande souvent si je serai heureuse un jour" : des femmes exilées racontent leurs parcours jusqu'en France"
Alors qu'elles fuient leur pays après avoir subi des abus ou de l'exploitation, les femmes migrantes continuent d'être exposées à des violences spécifiques liées à leur genre lors de leur trajet et dans leur pays d'arrivée.
Où sont leurs noms et leurs visages ? Les femmes représentent près de la moitié des personnes exilées dans le monde, selon le Réseau européen des migrations. Celles qui parviennent en Europe depuis l'Afrique ont parfois connu les prisons libyennes et ont, pour la plupart, été exposées à l'exploitation et aux violences sexuelles des hommes. Une fois dans leur pays d'arrivée, d'autres obstacles jalonnent leurs parcours. Elles doivent faire face à des démarches administratives longues pour espérer obtenir des papiers : en France, 29% des demandeurs d'asile ont obtenu une réponse positive en 2022. Elles doivent rechercher un logement, un emploi, se soigner et souvent s'occuper de leurs enfants.
Bien que ces difficultés soient partagées, la trajectoire de chaque femme est unique. Ce qui les caractérise, "ce n'est pas l'exceptionnalité de leur mouvement mais plutôt le fait qu'elles transgressent l'immobilité à laquelle elles ont été assignées", écrit la chercheuse Camille Schmoll dans Les Damnées de la mer (éd. La Découverte). Malgré leur vulnérabilité, leur expérience de la marge est aussi un endroit "de déploiement de nouvelles solidarités et de formes de lutte". Alors que le projet de loi immigration a été adopté par le Parlement, mardi 19 décembre, franceinfo a recueilli les témoignages de trois femmes exilées.
Maladho, 33 ans, Guinéenne : "Je me voyais mourir pendant la traversée"
Maladho a quitté la Guinée en 2018, après la mort de son mari. Elle a traversé la Méditerranée seule pour arriver en France, où elle a fait venir ses trois enfants. Tous sont en situation régulière. Après une formation en cuisine au sein de l'école du chef Thierry Marx, elle travaille pour la mairie de Villemomble (Seine-Saint-Denis) et habite un petit appartement fourni par une association.
"J'avais 28 ans quand mon mari est mort. Ma famille a voulu que je me remarie avec son grand frère, mais il avait déjà trois femmes et je ne l'aimais pas. Pour elle, je ne pouvais pas être seule avec mes trois enfants qui avaient à l'époque 1, 5 et 11 ans. Comme je refusais, mon beau-père nous a chassés de la maison. Il a pris tout ce que nous avions. Mais avant de partir, j'avais trouvé de l'argent que mon mari avait caché dans la maison.
Une amie m'a dit de venir chez elle à Dakar, au Sénégal. Je n'avais pas d'autre solution. Là-bas, c'était compliqué, il fallait que je trouve un travail, que les enfants aillent à l'école, que je leur trouve à manger. Un jour, un monsieur est venu me voir et m'a demandé où je logeais. J'ai compris qu'il connaissait ma famille. J'ai eu trop peur, alors je suis allée au Maroc où j'ai rejoint une connaissance, Fatou. J'ai fait le ménage et gardé le bébé d'une femme quelque temps.
Puis, Fatou m'a dit que j'étais belle, que je pourrais faire des soirées à Tanger et Marrakech avec elle. J'ai compris qu'elle voulait que je me prostitue. J'ai refusé et on a commencé à s'embrouiller. Son colocataire m'a dit qu'il pourrait me faire passer en bateau en Espagne. C'était un passeur. J'avais entendu dire que les gens qui traversaient la Méditerranée mouraient dans l'eau. Mais le passeur m'a montré des photos d'un gros ferry et m'a dit que tout irait bien. Il voulait que je le paye 2 800 euros, mais je n'avais que 850 euros sur moi. Il a pris mon passeport et m'a dit que je devrais lui envoyer le reste une fois en Europe. Je n'ai jamais retrouvé mon passeport.
Je suis allée à Nador [nord du Maroc], où j'ai retrouvé d'autres groupes de migrants qui attendaient dans la forêt. On a dû marcher des heures avant d'atteindre le lieu d'où nous devions partir.
"Un monsieur tabassait les gens fatigués, surtout les hommes. Des femmes m'ont raconté que la nuit, elles avaient été violées."
Maladho
En arrivant près de la mer, on a réalisé que le bateau n'était pas un ferry, mais un petit Zodiac. Personne ne voulait monter, on avait trop peur. Mais les gardes nous menaçaient avec des couteaux, disaient qu'ils allaient nous violer. On devait être plus de 50 dans le bateau. Il y avait une Camerounaise avec un bébé de 2 mois. Je leur ai dit que je préférais mourir à terre, pour qu'on puisse au moins retrouver mon corps. Ils m'ont jetée dans le bateau.
Pendant la traversée, l'eau a commencé à monter. Elle ne s'arrêtait pas. Il pleuvait, il y avait du vent. On se noyait, je me voyais mourir. On pleurait tous et on priait. Un homme a dit qu'on devrait jeter les enfants dans l'eau pour s'alléger et puis qu'après ça serait le tour des femmes. Certains étaient pour, d'autres contre. Les gens étaient désespérés, se bagarraient. Ils jetaient tout, sacs, téléphones. Un bateau est finalement venu nous sauver. On a débarqué à Almeria, en Espagne. Je suis restée un mois l'hôpital. Quand je suis sortie, je ne parlais pas la langue. Quelqu'un m'a dit d'aller en France. J'ai pris le train et je suis arrivée gare de Lyon, à Paris."
https://www.francetvinfo.fr/monde/europ ... 45770.html
Quand on donne la parole aux migrants, on se rend compte que l'on est loin du discours de l'extrême-droite cherchant à nous faire croire que les migrants sont tous des profiteurs d'aides sociales.
Alors qu'elles fuient leur pays après avoir subi des abus ou de l'exploitation, les femmes migrantes continuent d'être exposées à des violences spécifiques liées à leur genre lors de leur trajet et dans leur pays d'arrivée.
Où sont leurs noms et leurs visages ? Les femmes représentent près de la moitié des personnes exilées dans le monde, selon le Réseau européen des migrations. Celles qui parviennent en Europe depuis l'Afrique ont parfois connu les prisons libyennes et ont, pour la plupart, été exposées à l'exploitation et aux violences sexuelles des hommes. Une fois dans leur pays d'arrivée, d'autres obstacles jalonnent leurs parcours. Elles doivent faire face à des démarches administratives longues pour espérer obtenir des papiers : en France, 29% des demandeurs d'asile ont obtenu une réponse positive en 2022. Elles doivent rechercher un logement, un emploi, se soigner et souvent s'occuper de leurs enfants.
Bien que ces difficultés soient partagées, la trajectoire de chaque femme est unique. Ce qui les caractérise, "ce n'est pas l'exceptionnalité de leur mouvement mais plutôt le fait qu'elles transgressent l'immobilité à laquelle elles ont été assignées", écrit la chercheuse Camille Schmoll dans Les Damnées de la mer (éd. La Découverte). Malgré leur vulnérabilité, leur expérience de la marge est aussi un endroit "de déploiement de nouvelles solidarités et de formes de lutte". Alors que le projet de loi immigration a été adopté par le Parlement, mardi 19 décembre, franceinfo a recueilli les témoignages de trois femmes exilées.
Maladho, 33 ans, Guinéenne : "Je me voyais mourir pendant la traversée"
Maladho a quitté la Guinée en 2018, après la mort de son mari. Elle a traversé la Méditerranée seule pour arriver en France, où elle a fait venir ses trois enfants. Tous sont en situation régulière. Après une formation en cuisine au sein de l'école du chef Thierry Marx, elle travaille pour la mairie de Villemomble (Seine-Saint-Denis) et habite un petit appartement fourni par une association.
"J'avais 28 ans quand mon mari est mort. Ma famille a voulu que je me remarie avec son grand frère, mais il avait déjà trois femmes et je ne l'aimais pas. Pour elle, je ne pouvais pas être seule avec mes trois enfants qui avaient à l'époque 1, 5 et 11 ans. Comme je refusais, mon beau-père nous a chassés de la maison. Il a pris tout ce que nous avions. Mais avant de partir, j'avais trouvé de l'argent que mon mari avait caché dans la maison.
Une amie m'a dit de venir chez elle à Dakar, au Sénégal. Je n'avais pas d'autre solution. Là-bas, c'était compliqué, il fallait que je trouve un travail, que les enfants aillent à l'école, que je leur trouve à manger. Un jour, un monsieur est venu me voir et m'a demandé où je logeais. J'ai compris qu'il connaissait ma famille. J'ai eu trop peur, alors je suis allée au Maroc où j'ai rejoint une connaissance, Fatou. J'ai fait le ménage et gardé le bébé d'une femme quelque temps.
Puis, Fatou m'a dit que j'étais belle, que je pourrais faire des soirées à Tanger et Marrakech avec elle. J'ai compris qu'elle voulait que je me prostitue. J'ai refusé et on a commencé à s'embrouiller. Son colocataire m'a dit qu'il pourrait me faire passer en bateau en Espagne. C'était un passeur. J'avais entendu dire que les gens qui traversaient la Méditerranée mouraient dans l'eau. Mais le passeur m'a montré des photos d'un gros ferry et m'a dit que tout irait bien. Il voulait que je le paye 2 800 euros, mais je n'avais que 850 euros sur moi. Il a pris mon passeport et m'a dit que je devrais lui envoyer le reste une fois en Europe. Je n'ai jamais retrouvé mon passeport.
Je suis allée à Nador [nord du Maroc], où j'ai retrouvé d'autres groupes de migrants qui attendaient dans la forêt. On a dû marcher des heures avant d'atteindre le lieu d'où nous devions partir.
"Un monsieur tabassait les gens fatigués, surtout les hommes. Des femmes m'ont raconté que la nuit, elles avaient été violées."
Maladho
En arrivant près de la mer, on a réalisé que le bateau n'était pas un ferry, mais un petit Zodiac. Personne ne voulait monter, on avait trop peur. Mais les gardes nous menaçaient avec des couteaux, disaient qu'ils allaient nous violer. On devait être plus de 50 dans le bateau. Il y avait une Camerounaise avec un bébé de 2 mois. Je leur ai dit que je préférais mourir à terre, pour qu'on puisse au moins retrouver mon corps. Ils m'ont jetée dans le bateau.
Pendant la traversée, l'eau a commencé à monter. Elle ne s'arrêtait pas. Il pleuvait, il y avait du vent. On se noyait, je me voyais mourir. On pleurait tous et on priait. Un homme a dit qu'on devrait jeter les enfants dans l'eau pour s'alléger et puis qu'après ça serait le tour des femmes. Certains étaient pour, d'autres contre. Les gens étaient désespérés, se bagarraient. Ils jetaient tout, sacs, téléphones. Un bateau est finalement venu nous sauver. On a débarqué à Almeria, en Espagne. Je suis restée un mois l'hôpital. Quand je suis sortie, je ne parlais pas la langue. Quelqu'un m'a dit d'aller en France. J'ai pris le train et je suis arrivée gare de Lyon, à Paris."
https://www.francetvinfo.fr/monde/europ ... 45770.html
Quand on donne la parole aux migrants, on se rend compte que l'on est loin du discours de l'extrême-droite cherchant à nous faire croire que les migrants sont tous des profiteurs d'aides sociales.