« C’est de plus en plus difficile de gérer une commune » : la grande démission des maires
Posté : 09 février 2024 13:05
SOURCE : https://www.lefigaro.fr/actualite-franc ... 020%C2%BB.«C’est de plus en plus difficile de gérer une commune» : la grande démission des maires
40 maires démissionnent chaque mois d’après David Lisnard, maire de Cannes et président l'Association des maires de France.
EXCLUSIF - De nombreux élus locaux quittent leurs fonctions en cours de mandat. Le Figaro a enquêté sur les raisons d’un phénomène qui prend de l’ampleur.
«Une grande lassitude». C'est par ces mots que Didier Pilon justifiait en août dernier sa démission de son mandat de maire de Dizimieu (Isère). Le sexagénaire aura tenu un peu plus de trois ans à la tête de cette commune rurale de 800 habitants. Depuis 2018, le village a connu pas moins de cinq maires différents, dont Christine Bochet entre juillet 2018 et août 2019. Cette dernière a mis fin à ses jours juste après la réception d'un mail anonyme adressé à l'ensemble du conseil municipal, qui pointait notamment «son incompétence» et «sa bêtise». Des tensions aujourd'hui encore persistantes. Dirigé depuis octobre par Luc Nguyen, le nouveau conseil municipal a déjà enregistré le départ de deux de ses membres.
Une situation qui fait écho aux récents propos de David Lisnard. Durant le congrès annuel des maires, fin novembre, le maire LR de Cannes et président l'Association des maires de France (AMF) a relevé «une augmentation de 32% des agressions d'élus entre 2021 et 2022» et «40 démissions de maires par mois depuis le printemps 2020».
Pour mieux cerner ce phénomène, Le Figaro a dressé la cartographie des communes qui ont changé de maire au moins une fois depuis septembre 2020. Si les projecteurs médiatiques se braquent habituellement sur les cas les plus spectaculaires - impliquant des faits de violences notamment -, la problématique dans son ensemble se révèle moins sensationnelle, la résultante d’un quotidien usant, ponctué d'incompréhensions et de lourdeurs administratives. Avec, à l’arrivée, un sentiment grandissant d’isolement et d’impuissance chez beaucoup d'élus.
Les grandes villes, un cas à part
Avant de plonger plus avant, il convient d’évoquer le cas particulier des grandes villes. Si elles se révèlent tout autant concernées par le phénomène des démissions, les circonstances divergent assez largement du reste du territoire. Ce sont ici majoritairement des raisons politiques qui poussent les élus à délaisser leur mandat local : entrée au gouvernement (Christophe Béchu à Angers, Gérald Darmanin à Tourcoing), choix d’un mandat parlementaire depuis le non-cumul des mandats (Karl Olive à Poissy, Philippe Juvin à la Garennes-Colombes, ...) ou judiciaires (Hubert Falco à Toulon, Maryse Joissains à Aix-en-Provence).
Mais loin des considérations politiciennes, l’essentiel des maires français gère un territoire beaucoup plus modeste. Avec une moyenne inférieure à 2 000 habitants par commune, la granularité des communes en France n’a que peu d’équivalents en Europe, comme le note Martial Foucault, politologue et directeur du CEVIPOF, dans son ouvrage Maires au bord de la crise de nerfs.
Une particularité qui permet certes, une vraie proximité avec les administrés, mais à double tranchant lorsque la colère gronde comme se fut le cas récemment avec la fronde des «gilets jaunes» ou les émeutes de 2023. Un effet exacerbé dans les petites communes rurales, où la fermeture de certains services publics et «la baisse importante des effectifs de gendarmerie ces dernières années [ont] mécaniquement augmenté le nombre de contacts directs entre élus et auteurs de délits», observe Cédric Szabo, directeur de l'Association des maires ruraux de France (AMRF).
Les édiles sont désormais 55% à ne pas vouloir se représenter aux élections municipales de 2026, d'après un récent sondage de l'Ifop. Une opinion qui se vérifie d’ores et déjà dans les faits. D'après les calculs du Figaro, environ 2 000 communes - soit près de 6% - ont changé de maire au moins une fois depuis septembre 2020.
La cartographie de ces municipalités souligne quelques points chauds : le Nord (59) et le Pas-de-Calais (62) en particulier, avec plus de 100 communes concernées à eux deux. L’Isère (38), la Haute-Garonne (31), le Maine-et-Loire (49) ou encore la Saône-et-Loire suivent de près.
De guerre lasse
Parcourir la presse quotidienne régionale permet de mieux cerner la nature de ces départs précipités, même si les partants s’y livrent souvent par euphémismes. Ils évoquent des «raisons personnelles» ou «de santé». S’agissant de la santé, on les croit volontiers au vu de l’échantillon analysé par Le Figaro. Sur une cinquantaine de départs, onze font suite à un décès : crises cardiaques, cancers mais aussi suicides comme Jean-Marie Trocchi, maire du Poët (Hautes-Alpes) ou Jacky Coll, maire de Bolquère (Pyrénées-Orientales). «C'est de l'ordre d'une fatigue générale», déclare quant à lui Patrick Lambilliote au moment de passer la main à la tête de Saint-Août, tout en concédant qu’il «devient de plus en plus difficile de gérer une commune».
«La principale cause de démission est liée à des dissensions au sein du conseil municipal. La démission de plusieurs conseillers entraîne de facto l'impossibilité pour le conseil municipal d'atteindre le quorum et provoque des élections anticipées», explique Martial Foucault au Figaro. Ces «démissions mécaniques» trouvent une partie de leur origine dans la rupture de la vie politique locale opérée en 2020. Avec d’abord, l'irruption du Covid, qui a décalé la prise de fonction de beaucoup d'élus. De longs mois de doute et d’inactions auxquels s’ajoute l’isolement du confinement. Le politiste voit également une autre cause à cette rupture : «il y a eu environ 40% de renouvellement des équipes municipales en 2020 et beaucoup de ces élus municipaux l’étaient pour la première fois». Chez ces novices, la difficulté à appréhender ou à s'approprier les codes et le fonctionnement d'une municipalité n’a fait qu’accroître les malentendus au sein de nombreux conseils municipaux.
Concilier vies professionnelle et personnelle avec la fonction d’élu
Autre difficulté, «60% des maires exercent un métier en parallèle», explique le chercheur en sciences politiques. Beaucoup de ceux qui se lancent dans un mandat local le font désormais, non par une volonté affirmée, mais car ils sont incités à le faire, faute de volontaires. Et pour cause, la France a besoin de plus de 500 000 conseillers municipaux pour fonctionner à plein. D'où la réflexion actuelle autour d'un nouveau statut d'élu local, alimentée par l'Association des maires ruraux de France (AMRF), qui en novembre a proposé 35 mesures pour améliorer l'attractivité de ces fonctions. «Elles visent notamment à répondre à la difficulté de conciliation de vies professionnelles, personnelles et d'élu. Le monde de l'entreprise n'est pas sensibilisé au fait d'avoir un élu dans son effectif», développe Cédric Szabo, directeur de l'association qui milite pour un label «entreprise citoyenne».
Les annonces du gouvernement se concentrent davantage sur les violences, avec la mise en place d’un centre d'analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (CALAE), d’un plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus ou encore d’un «pack sécurité», «visant à assurer de manière effective la sécurité des élus faisant l'objet de menaces ou de violences». Derrière cette appellation nébuleuse se cache notamment la désignation de 3 400 référents «atteintes aux élus» parmi les forces de l’ordre. Peut-être une façon de faire oublier que l’État fait lui aussi partie du problème. La faute à une décentralisation par laquelle il se décharge de plus en plus sur les élus locaux, tout en limitant leur capacité d’action par la suppression de certaines taxes locales.
Le fait est qu'il y a de moins en moins de candidats au poste de maire, et que parmi ceux qui sont en poste, il y a de plus en plus de démissions. Les raisons sont multiples, l'article le montre bien. Mais c'est inquiétant pour l'avenir de notre pays.