Départ des troupes américaines du Niger: «Un coup dur pour les deux parties»
Posté : 20 mars 2024 09:32
Après les troupes françaises, ce sont les troupes américaines qui sont mises à la porte sans délai par la junte au pouvoir au Niger.
Et pourtant les Américains ont tenté jusqu'au bout de garder de bonnes relations avec cette junte pour ne pas faire partie du même bateau que la France : et bien, cela n'aura pas suffi.
Et il est clair que ce vide ne tardera pas à être comblé toujours plus par les Russes
"Après les Français, c'est au tour des militaires américains d'être bientôt expulsés du Niger. C'est ce qu'a annoncé le porte-parole de la junte au pouvoir à Niamey, le 16 mars. Pourquoi le torchon brûle entre Niamey et Washington ? Et est-ce à dire que les Russes vont maintenant avoir le champ libre au Niger ? Entretien avec Paul-Simon Handy, directeur l'Institut d'études de sécurité (ISS) à Addis-Abeba."
- RFI : Avez-vous été surpris par la décision du Niger de rompre sa coopération militaire avec les Américains ?
- Paul-Simon Handy : J'ai été surtout surpris par le ton, par la forme et peut-être pas par la décision en elle-même qu'on voit poindre à l'horizon depuis un certain moment. Et le gouvernement du Niger n'étant pas à son premier coup d'éclat, disons que ce n'était pas une surprise totale. Mais la forme, il faut dire, est plutôt surprenante.
- Oui, puisque les Nigériens accusent les Américains de condescendance, voire d’arrogance ?
- Oui, ils n'ont pas eu la courtoisie de recevoir une délégation qui était dans leurs murs et ont utilisé un ton très peu diplomatique pour exprimer leur mécontentement, mais selon les dires des Nigériens, la condescendance de la partie américaine était à peine supportable.
- Sur le plan stratégique, est-ce que c'est un coup dur pour le dispositif américain AFRICOM ?
- Alors, il faut dire que c'est un coup dur, certainement pour les deux parties, parce que, même si le Niger décide de manière souveraine de renoncer à l'accord signé en 2012, le Niger perd énormément, déjà. Cet accord prévoyait de la formation, il prévoyait un appui en renseignements, un appui en équipements. L'armée nigérienne, au terme de cet accord, est dotée de transports aériens, d'avions C-130 qui sont importants dans toute opération. Pour la partie américaine, il y a de vraies pertes aussi. C'est un coup dur, définitivement, parce que la base américaine d'Agadez est certainement l'une des plus importantes bases américaines en Afrique, après celle de Djibouti. Cette base de drones permettait naturellement pour les Américains de recueillir du renseignement et des informations utiles à la lutte contre les groupes extrémistes violents, mais aussi certainement contre toute sorte de trafics illicites et les migrations aussi.
- Et vous pensez à la Libye ?
- On pense naturellement à la Libye. À la frontière du Niger avec la Libye, aussi, le Niger perd certainement un moyen important d'avoir des informations sur ce qui se passe à sa frontière avec la Libye. Et les Américains, à terme, perdront un énorme moyen de renseignement sur les mouvements en Libye et autour de la Libye.
- Depuis le putsch de juillet dernier au Niger, les Américains s'étaient désolidarisés des Français, afin de ménager la nouvelle junte de Niamey. Comment expliquez-vous que, malgré ces précautions, les Américains subissent aujourd'hui cet échec ?
- Disons que les Américains avaient peut-être mal apprécié la nature des militaires au pouvoir au Niger. On aurait pu penser au départ que c'est un coup stratégique de la part de la junte de vouloir diviser les Occidentaux, notamment la France et les États-Unis, s’aliéner la France pour mieux se rapprocher des États-Unis, c'est ce qu'on aurait pu penser. Mais, pour les États-Unis, c'est un pari difficile à tenir, avec une junte militaire qui est pratiquement en contradiction avec toutes les normes et les idéaux démocratiques que représentent les États-Unis. Donc, il était difficile pour les Américains de tenir cette position, sans entrer en contradiction avec leurs principes.
- Et justement, une des demandes des Américains, en échange de leur maintien à Agadez, c'était le retour du Niger à la démocratie et la libération du président Bazoum. Est-ce que cela a pu indisposer le général Tiani et la junte de Niamey ?
- Je pense qu'il y a plein de choses qui indisposaient le général Tiani, parce que les Américains avaient littéralement les mêmes demandes que les Français. Les seules différences étaient peut-être sur le ton, mais du moment où les Américains ont commencé à appuyer sur la demande jugée inacceptable de renoncer à la coopération avec la Russie et l'Iran, pour les militaires au pouvoir à Niamey, c'était certainement la ligne rouge qu'il ne fallait pas franchir.
- Selon le journal Le Monde, les militaires américains auraient exigé qu'à l'avenir, ils ne soient pas sur le même terrain que les militaires ou les paramilitaires russes. Est-ce que cette exigence vous paraît crédible ?
- Lorsqu’on entend les déclarations du porte-parole du gouvernement de transition au Niger qui dit à peu près la même chose, il est probable que les Américains, forts de qu'ils croyaient être le soutien de la junte, aient pu avoir des exigences que la junte estimait tout simplement inacceptable. Si c'est vraiment le cas, je pense que les Américains ont certainement fait un faux pas, parce qu’il ne faut pas prendre pour juste un coup de sang la perception, notamment par les juntes militaires, mais aussi par une frange des populations en Afrique de l'Ouest, de ce que l'ensemble des réponses nationales et multinationales à la crise multiforme au Niger n'ont pas porté de fruits. Non, il y a un grand besoin de changement et un grand besoin d’essayer autre chose.
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/le-grand ... ux-parties
Et pourtant les Américains ont tenté jusqu'au bout de garder de bonnes relations avec cette junte pour ne pas faire partie du même bateau que la France : et bien, cela n'aura pas suffi.
Et il est clair que ce vide ne tardera pas à être comblé toujours plus par les Russes
"Après les Français, c'est au tour des militaires américains d'être bientôt expulsés du Niger. C'est ce qu'a annoncé le porte-parole de la junte au pouvoir à Niamey, le 16 mars. Pourquoi le torchon brûle entre Niamey et Washington ? Et est-ce à dire que les Russes vont maintenant avoir le champ libre au Niger ? Entretien avec Paul-Simon Handy, directeur l'Institut d'études de sécurité (ISS) à Addis-Abeba."
- RFI : Avez-vous été surpris par la décision du Niger de rompre sa coopération militaire avec les Américains ?
- Paul-Simon Handy : J'ai été surtout surpris par le ton, par la forme et peut-être pas par la décision en elle-même qu'on voit poindre à l'horizon depuis un certain moment. Et le gouvernement du Niger n'étant pas à son premier coup d'éclat, disons que ce n'était pas une surprise totale. Mais la forme, il faut dire, est plutôt surprenante.
- Oui, puisque les Nigériens accusent les Américains de condescendance, voire d’arrogance ?
- Oui, ils n'ont pas eu la courtoisie de recevoir une délégation qui était dans leurs murs et ont utilisé un ton très peu diplomatique pour exprimer leur mécontentement, mais selon les dires des Nigériens, la condescendance de la partie américaine était à peine supportable.
- Sur le plan stratégique, est-ce que c'est un coup dur pour le dispositif américain AFRICOM ?
- Alors, il faut dire que c'est un coup dur, certainement pour les deux parties, parce que, même si le Niger décide de manière souveraine de renoncer à l'accord signé en 2012, le Niger perd énormément, déjà. Cet accord prévoyait de la formation, il prévoyait un appui en renseignements, un appui en équipements. L'armée nigérienne, au terme de cet accord, est dotée de transports aériens, d'avions C-130 qui sont importants dans toute opération. Pour la partie américaine, il y a de vraies pertes aussi. C'est un coup dur, définitivement, parce que la base américaine d'Agadez est certainement l'une des plus importantes bases américaines en Afrique, après celle de Djibouti. Cette base de drones permettait naturellement pour les Américains de recueillir du renseignement et des informations utiles à la lutte contre les groupes extrémistes violents, mais aussi certainement contre toute sorte de trafics illicites et les migrations aussi.
- Et vous pensez à la Libye ?
- On pense naturellement à la Libye. À la frontière du Niger avec la Libye, aussi, le Niger perd certainement un moyen important d'avoir des informations sur ce qui se passe à sa frontière avec la Libye. Et les Américains, à terme, perdront un énorme moyen de renseignement sur les mouvements en Libye et autour de la Libye.
- Depuis le putsch de juillet dernier au Niger, les Américains s'étaient désolidarisés des Français, afin de ménager la nouvelle junte de Niamey. Comment expliquez-vous que, malgré ces précautions, les Américains subissent aujourd'hui cet échec ?
- Disons que les Américains avaient peut-être mal apprécié la nature des militaires au pouvoir au Niger. On aurait pu penser au départ que c'est un coup stratégique de la part de la junte de vouloir diviser les Occidentaux, notamment la France et les États-Unis, s’aliéner la France pour mieux se rapprocher des États-Unis, c'est ce qu'on aurait pu penser. Mais, pour les États-Unis, c'est un pari difficile à tenir, avec une junte militaire qui est pratiquement en contradiction avec toutes les normes et les idéaux démocratiques que représentent les États-Unis. Donc, il était difficile pour les Américains de tenir cette position, sans entrer en contradiction avec leurs principes.
- Et justement, une des demandes des Américains, en échange de leur maintien à Agadez, c'était le retour du Niger à la démocratie et la libération du président Bazoum. Est-ce que cela a pu indisposer le général Tiani et la junte de Niamey ?
- Je pense qu'il y a plein de choses qui indisposaient le général Tiani, parce que les Américains avaient littéralement les mêmes demandes que les Français. Les seules différences étaient peut-être sur le ton, mais du moment où les Américains ont commencé à appuyer sur la demande jugée inacceptable de renoncer à la coopération avec la Russie et l'Iran, pour les militaires au pouvoir à Niamey, c'était certainement la ligne rouge qu'il ne fallait pas franchir.
- Selon le journal Le Monde, les militaires américains auraient exigé qu'à l'avenir, ils ne soient pas sur le même terrain que les militaires ou les paramilitaires russes. Est-ce que cette exigence vous paraît crédible ?
- Lorsqu’on entend les déclarations du porte-parole du gouvernement de transition au Niger qui dit à peu près la même chose, il est probable que les Américains, forts de qu'ils croyaient être le soutien de la junte, aient pu avoir des exigences que la junte estimait tout simplement inacceptable. Si c'est vraiment le cas, je pense que les Américains ont certainement fait un faux pas, parce qu’il ne faut pas prendre pour juste un coup de sang la perception, notamment par les juntes militaires, mais aussi par une frange des populations en Afrique de l'Ouest, de ce que l'ensemble des réponses nationales et multinationales à la crise multiforme au Niger n'ont pas porté de fruits. Non, il y a un grand besoin de changement et un grand besoin d’essayer autre chose.
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