«On reste à un niveau très élevé mais on peut constater que la première d'année d'inflation forte ne s'est pas traduite par une hausse de la pauvreté», réagit auprès de l'AFP Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. «On reste prudents, on verra dans un an si on reste sur cette stabilité ou si cela augmente de nouveau». Pour l'heure, «cela montre que lorsqu'il y a une action de l'État pour compenser une dégradation de la situation, cela a des effets qui permettent au moins de limiter la casse», ajoute-t-il. «Mais la casse est toujours là, on est toujours à des niveaux élevés, au-delà de la barre des 9 millions, et ça c'est inquiétant, surtout qu'on ne sait pas si certaines mesures seront maintenues». Même prudence à la tête du Collectif Alerte, qui réunit 34 associations de lutte contre la pauvreté. «Il n'y a pas moins de pauvres, donc ce n'est pas une bonne nouvelle et il n'y a pas de quoi se féliciter», estime son président Noam Leandri.
Dans un contexte de forte inflation (+5,2%), le niveau de vie des ménages a certes très légèrement augmenté (+0.3%) grâce aux dispositifs de protection du pouvoir d'achat et de mesures ciblées comme l'indemnité inflation ou le plafonnement de la hausse des loyers à 3.5%, relève l'Insee. Mais les 6,8 millions de Français les plus modestes ont dans le même temps vu les aides au logement baisser et les aides pour pallier l'interruption des activités liée à la crise sanitaire du Covid-19 s'interrompre.
Devoir renoncer à se chauffer correctement, partir en vacances une semaine, le quotidien pour plus de 13% des Français
Le taux de «privation matérielle et sociale» a lui atteint 13,1% début 2023 en France métropolitaine, en légère hausse par rapport à début 2022 (12,9%), selon une autre étude publiée par l'Insee jeudi. Ce taux de privation repose sur le renoncement des ménages à certains produits ou services, comme posséder deux paires de chaussures en bon état, se chauffer correctement, manger de la viande ou du poisson tous les deux jours, ou partir une semaine en vacances chaque année. Si un ménage cumule au moins cinq de ces renoncements parmi une liste de 13 éléments «considérés comme souhaitables, voire nécessaires, pour avoir un niveau de vie acceptable», il est en situation de «privation matérielle et sociale», ou en d'autres termes «pauvre en conditions de vie».
Si la part des Français en incapacité de payer leur loyer à temps a baissé (9,4%, -2,2 points entre début 2022 et début 2023), les difficultés s'accroissent pour honorer d'autres types d'engagement tels que les factures d'électricité, de gaz ou d'eau. Ces problématiques concernent 7% des Français contre 6.6% en 2022. Parmi les profils les plus exposés au risque de privations, l'Insee pointe les employés et les ouvriers - qui subissent une hausse respectivement de 2 et 4 points depuis début 2020 - ainsi que les familles monoparentales et les familles nombreuses.
Pour Manuel Domergue, «il faut des aides pour que les gens se chauffent et mangent. On n'est pas du tout sur une société d'enfants gâtés on est vraiment sur des mesures absolument indispensables». «Il ne faut pas se contenter de stabiliser la pauvreté, il faut avoir une véritable politique de réduction», insiste-t-il. Or «les plans pauvreté n'ont jusqu'à présent pas porté leurs fruits parce qu'il y a un tabou sur les prestations sociales et les minima sociaux». En attendant un nouveau «plan pour les solidarités» qu'il appelle de ses vœux, le Collectif Alerte demande une «revalorisation anticipée des minima sociaux et des allocations familiales».