La Circulaire Retailleau sur l'immigration
Posté : 24 janvier 2025 23:06
Que contient la nouvelle circulaire sur les régularisations de personnes sans papiers présentée par le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau ?
Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer."Les Français nous demandent de faire en sorte de diminuer l'immigration. Et moi, je l'assume". Bruno Retailleau a présenté à la presse sa circulaire sur les régularisations d'étrangers sans papiers, vendredi 24 janvier, lors d'un déplacement à Versailles (Yvelines). Après une visite de la Direction des migrations du département, le ministre de l'Intérieur a détaillé le contenu de ce document de trois pages, déjà connu la veille. "Il n'y a pas de droit automatique et général à la régularisation", a martelé le locataire de Beauvau.
Tenant d'une ligne ferme sur l'immigration, le membre des Républicains a réformé la circulaire Valls, en application depuis novembre 2012, pour mettre en place des régularisations au compte-goutte, comme il le défendait publiquement depuis son arrivée place Beauvau. Franceinfo fait le point sur ce texte, ses implications et les critiques qui lui sont déjà formulées.
1 Que contient la circulaire de Bruno Retailleau ?
Cette circulaire, adressée jeudi aux préfets et applicable dès vendredi, ne modifie pas les textes de loi sur la régularisation d'étrangers en situation irrégulière. Mais elle demande aux préfets de durcir les conditions de régularisation. "La voie de l'admission exceptionnelle au séjour n'est pas la voie normale d'immigration et d'accès au séjour", rappelle le texte. "Le niveau d'exigence en termes d'intégration des étrangers à notre société doit être renforcé, notamment au travers de leur engagement à respecter les principes de la République", est-il ajouté.
Bruno Retailleau précise qu'"une durée de présence d'au moins sept ans constitue l'un des indices d'intégration pertinent". En outre, une régularisation ne peut intervenir "qu'en l'absence de menace à l'ordre public", prévoit la circulaire. Le ministre de l'Intérieur demande aussi aux préfets d'accompagner tout refus de régularisation d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français (OQTF).
"Il n'y a pas de droit à la régularisation", a déclaré Bruno Retailleau au micro d'Europe 1 et CNews(Nouvelle fenêtre) vendredi. "J'ai rappelé [aux préfets] qu'il n'y avait pas de droit systématique, de droit automatique, de droit opposable à la régularisation." Le locataire de la place Beauvau estime que l'objectif de cette circulaire est de "diminuer l'immigration" et de "ne pas régulariser à tour de bras". "Si on veut diminuer cette immigration, notamment illégale, il faut ne pas régulariser de façon trop quantitative, parce que dans ce cas on donne une prime à l'irrégularité, à ceux qui ont fraudé", a-t-il ajouté.
La circulaire demande aux préfets d'appliquer avec la plus grande fermeté les critères fixés par la loi immigration en matière de régularisation au titre du travail. Bruno Retailleau exige qu'ils s'assurent que le travail est bien réel et qu'il correspond à la liste des métiers en tension. La loi de 2023 a en effet ouvert la possibilité de délivrer un titre de séjour aux travailleurs en situation irrégulière, s'ils occupent un métier en tension dans leur région durant au moins douze mois. La liste des métiers considérés comme en tension doit être mise à jour fin février, selon le ministère du Travail.
2 Pourquoi s'agit-il d'un durcissement par rapport à la circulaire Valls ?
La circulaire Valls a été prise en novembre 2012 par Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur sous la présidence de François Hollande. Elle faisait la promotion d'une politique d'immigration "lucide et équilibrée" et enjoignait les préfets à "une juste prise en compte des réalités humaines".
Cette circulaire prévoyait d'accorder des régularisations aux sans-papiers qui se trouvent dans des situations précises, comme les parents d'enfants scolarisés depuis au moins trois ans et qui peuvent justifier d'une installation durable en France, les jeunes majeurs tombant en situation irrégulière le jour de leurs 18 ans alors qu'ils étaient scolarisés en France les années précédentes ou encore les victimes de violences conjugales ou de traite des êtres humains.
La circulaire Valls mettait également en avant l'importance du travail dans la décision finale des préfets. "Vous pourrez prendre en compte une ancienneté de séjour de trois ans en France dès lors que l'intéressé pourra attester d'une activité professionnelle de vingt-quatre mois dont huit, consécutifs ou non, dans les douze derniers mois", demandait Manuel Valls aux préfets dans ce document de 12 pages(Nouvelle fenêtre).
3 Comment ont réagi les différents partis politiques et les associations ?
Les différentes formations de gauche ont sans surprise dénoncé cette nouvelle circulaire, "pourrie", selon le député La France insoumise Antoine Léaument(Nouvelle fenêtre). "Traduction : exploiter l'humain dans l'ombre mais exclure au grand jour. Hypocrisie crasse envers des travailleurs essentiels et des familles qui vivent ici", a pointé l'écologiste Marie-Charlotte Garin. Les membres du Rassemblement national, eux, sont restés plus silencieux sur ces consignes ministérielles, qui reprennent une partie de leurs revendications en matière d'immigration.
Comme souvent sur les sujets liés à l'immigration, le camp présidentiel affiche ses divisions, certaines voix contestant le bien-fondé de cette circulaire. "On est un peu dans la caricature. On surfe sur une vague anti-immigration généralisée", a déploré sur TF1(Nouvelle fenêtre) Roland Lescure, député macroniste et vice-président de l'Assemblée nationale. "Autant il faut être extrêmement ferme sur l'immigration illégale, (…) autant il faut faire attention aux gens qui sont intégrés, qui travaillent aujourd'hui pendant cinq ans et notamment dans des métiers en tension", a déclaré l'ancien ministre. "Il faut qu'on soit humain et surtout qu'on soit pragmatique", a-t-il encore estimé, car il y a un "besoin de main-d'œuvre" dans certains secteurs.
Le député Sacha Houlié, ancien macroniste, a lui dénoncé sur X(Nouvelle fenêtre) le "populisme crasse" du ministre de l'Intérieur.
"C'est une faute morale, car il punit les étrangers qui s'intègrent par le travail. C'est une hérésie économique, tant nos entreprises et nos services publics dépendent de ces travailleurs."
Sacha Houlié
sur X
Certains secteurs économiques sont-ils inquiets de l'application de cette nouvelle circulaire ? Sur franceinfo vendredi, le président de l'Union des métiers de l'hôtellerie-restauration (Umih) en Ile-de-France, Franck Delvau, a déclaré que si les préfets "appliquent à 100% les critères" de la nouvelle circulaire, "ça va poser problème". Selon l'Insee(Nouvelle fenêtre), un cuisinier sur deux travaillant en Ile-de-France est issu de l'immigration. Le patron de l'Umih Ile-de-France souligne également qu'il s'agit de travailleurs intégrés "dans la vie de l'entreprise, dans la vie économique et sociale de [leur] ville où" et avec qui "il y a zéro problème".
Du côté du monde associatif, les critiques vis-à-vis de ce nouveau document sont aussi radicales. Les instructions de Bruno Retailleau "ne vont pas manquer de plonger plus encore de personnes dans une précarité qui concerne et effraie un nombre croissant de Français", alerte notamment la Fédération des acteurs de la solidarité(Nouvelle fenêtre), qui "demande le retrait de la dernière circulaire ministérielle, le respect de marges de manœuvre aux préfets en concertation avec les partenaires sociaux et les associations en fonction des réalités locales (…) et la fin des OQTF à l'aveugle".
4 Quelle peut être la portée juridique de cette circulaire ?
Que peut réellement changer ce texte qui ne modifie pas les critères de régularisation ? "Il ne faut pas surévaluer la portée juridique" de cette circulaire, commente auprès de l'AFP Gwénaële Calvès, professeure de droit public à l'université de Cergy-Pontoise. "La régularisation à titre exceptionnel relève du pouvoir d'appréciation du préfet, cette circulaire ne modifie en rien les autres modes de régularisation établies par la loi. Une circulaire ne peut évidemment pas modifier une loi", ajoute l'universitaire.
"Le préfet conserve un rôle discrétionnaire, mais son pouvoir d'appréciation est encadré par cette circulaire", explique Gwénaële Calvès. Ce texte "appelle les préfets à plus de sévérité, mais le plancher de sept ans de séjour pour être régularisé à titre exceptionnel peut [par exemple] toujours être abaissé si d'autres éléments du dossier plaident en ce sens", détaille-t-elle.
Fin octobre, Bruno Retailleau avait déjà adressé aux préfets une circulaire sur le sujet, pour leur réclamer "des résultats" pour "la reprise du contrôle de notre immigration", l'un de ses chevaux de bataille depuis qu'il est arrivé au ministère de l'Intérieur, en septembre.