Descentes racistes le soir du match France-Maroc : le naufrage d’un procès contre l’extrême droite
Posté : 07 février 2025 18:29
L'extrême droite, de plaisir... devrait se faire dessus.
Les sept militants soupçonnés d’avoir organisé une expédition raciste à Paris après la demi-finale de la Coupe du monde 2022 devraient ressortir libres du tribunal de Paris. Comme annoncé par Libé, le parquet général s’est désisté à l’ouverture du procès en appel, clôturant les poursuites.
Un fiasco judiciaire. Sept «néonazis des temps modernes», comme les ont qualifiés les enquêteurs, étaient jugés ce vendredi 7 février devant la cour d’appel de Paris pour leur participation supposée à un «groupement formé en vue de commettre des violences». C’était le soir de la demi-finale de Coupe du monde de foot au Qatar, opposant la France au Maroc, le 14 décembre 2022. Une nuit marquée par des violences racistes commises par des militants d’extrême droite partout en France. Sauf que… La procédure est si mal ficelée qu’elle a déjà fait capoter les poursuites en première instance. Le parquet a toutefois fait appel, mais comme l’annonçait Libé, le ministère public a entamé le procès de ce vendredi en se désistant, annulant ainsi le volet pénal de cette affaire. Et laissant donc libres des prévenus prêts, à l’époque, à «défendre [le] drapeau face aux hordes de Marocains».
Lors du premier procès, en septembre 2023, déjà, les avocats de la défense s’étaient engouffrés avec délectation dans les failles du dossier. Le sac transportant les armes listées par les enquêteurs n’avait jamais été placé sous scellé. Les droits des interpellés leur avaient été notifiés trop tardivement. Certains avocats de la défense n’avaient eu accès initialement qu’à une version tronquée de l’enquête… Mais, surtout, les interpellations, voulues «préventives» par la préfecture de police, ont été faites hors du périmètre où des contrôles inopinés étaient possibles. Ces arrestations étant juridiquement nulles, et puisqu’elles constituent les éléments initiant la procédure, tout le dossier s’était effondré. L’audience n’en est même pas arrivée jusque-là ce vendredi, le parquet général s’étant désisté.
Protège-dents, gazeuses et poings américains
Aucun militant d’extrême droite qui avait soigneusement préparé cette expédition ne sera donc – très probablement – condamné. «Mercredi 20 heures, France-Maroc. RDV dès 20 heures au métro Pont-Cardinet. On sera nombreux, donc on s’étalera dans plusieurs [bars] autour de la place. Mobilisation générale.» Cet ordre de ralliement a été partagé sur la messagerie chiffrée Telegram en amont du jour-J. Des dizaines de militants avaient répondu à l’appel lancé notamment par Marc de Cacqueray-Valménier, qui, alors âgé de 24 ans, est déjà une figure centrale de l’extrême droite violente. Certains sont venus de loin : trois depuis Rouen, un d’un village de Saône-et-Loire, d’autres de l’Aisne, de Rennes, des Yvelines, de l’Essonne. La colonne vertébrale du commando est composée des cogneurs néonazis du GUD Paris, qui a fini par être dissous en juin.
Ce soir-là, discrètement, pour contourner la surveillance (quinze d’entre eux sont fichés «S», pour «sûreté de l’Etat»), tout ce petit monde se rejoint dans des bars du nord-est de Paris à un saut en métro des Champs-Elysées, où ils escomptent se rendre après le match, pensent les enquêteurs. Lorsqu’ils sont interceptés, ils sont clairement équipés pour aller à la castagne, portent des protège-dents, genouillères et coudières, protège-tibias. Dans un sac : cagoules, gazeuses, sprays lacrymo, poings américains, bâtons télescopiques et fumigènes. D’autres armes (comme des bagues serties de lames de rasoir) sont retrouvées en perquisition, ainsi que quantité de livres et artefacts nazis. L’exploitation de leurs téléphones a permis d’exhumer des groupes de discussion baptisés «anti-PD» ou «Hitler». Sur ce dernier, ce même 14 décembre 2022, à 22 h 17, est posté un message : «On les a vaincus les bougnoules comme [les] Cohen.»
Qui a envoyé ce message ? L’enquête n’a pas permis de le déterminer. Un de ces Lyonnais qui, au sein d’une bande d’une cinquantaine de hooligans et militants d’extrême droite, ont attaqué les supporteurs marocains dans le centre-ville et mené une véritable émeute ce soir-là ? Peut-être un de leurs homologues niçois qui ont fait de même, tout comme les nervis de Strasbourg, Avignon ou Montpellier. A Annecy, aussi, où un petit groupe a laissé derrière lui notamment un homme inconscient dans une mare de sang. Un militant radical originaire de Besançon, ancien légionnaire et ami de Marc de Cacqueray, a passé plusieurs mois en prison pour ces faits. Car il n’y a pas qu’à Paris que des militants de cette extrême droite violente se sont mobilisés ce soir-là.
Constellation de groupuscules locaux
«Je me trouvais avec des amis dans un bar près de la place du Bouffay, raconte, à Nantes, une témoin retrouvée par Libé. C’était minuit passé, les scènes de liesse s’étaient un peu calmées. J’ai vu un groupe d’individus sur la place en train de renverser des poubelles et de faire des saluts nazis. Ils étaient une dizaine.» Cette jeune femme, la vingtaine, a été frappée après les avoir interpellés. «Un de mes amis s’est interposé et a été tabassé. J’ai pris un second coup au visage qui m’a presque mis KO. Ensuite, nos amis sont arrivés et (ils) ont pris la fuite. En fait, on peut se faire casser la gueule parce qu’on dénonce un salut nazi…»
Les gudards, et notamment leur chef, Cacqueray-Valménier (il n’avait pas encore été remplacé par Gabriel Loustau, le fils de l’ex-conseiller régional RN et proche de Marine Le Pen, Axel Loustau) font partie d’un tout. Identitaires, royalistes… même des membres de Génération Zemmour ont participé à cet élan. Les militants d’extrême droite, bien qu’éparpillés au sein d’une constellation de groupuscules locaux, forment ainsi une mouvance interconnectée. Cette éruption a été alimentée, aussi, par certaines déclarations politiques après une campagne présidentielle marquée par la radicalité. En amont du match, Eric Zemmour avait, par exemple, assuré avant le quart de finale qui opposait les Bleus à l’Angleterre que «certains policiers sont tellement effrayés qu’ils sont même allés jusqu’à espérer que la France ne gagne pas pour qu’il n’y ait pas de match France-Maroc». Marion Maréchal avait, elle, dénoncé «l’état d’esprit revanchard et anti-européen […] qui a pu être manié à l’occasion du match France-Maroc».
Etape dans la mouvance
Plus qu’un acmé, cette soirée a été une étape dans la mouvance. Les militants se sont empressés de revendiquer leurs méfaits quelques jours plus tard. Sur leurs canaux ont afflué les messages et montages vidéos de solidarité envers les mis en cause ou exaltant les violences perpétrées. Moins d’un an plus tard, les mêmes ingrédients donneront la même recette : à Romans-sur-Isère, fin novembre 2023, une cinquantaine de militants de toutes obédiences et venus de toute la France tenteront d’attaquer les habitants du quartier de la Monnaie, d’où sont originaires certains des agresseurs présumés du jeune Thomas Perotto, tué lors d’une rixe à la sortie du bal d’un village. Parmi eux un certain «Gros lardon», alias Léo Rivière-Prost, l’un des prévenus du procès de ce vendredi à Paris.
Mise à jour le 7 février à 16h35 : ajout des éléments de l’audience qui s’est tenue ce vendredi 7 février.
https://www.liberation.fr/politique/des ... CIDTYAQ5A/
Les sept militants soupçonnés d’avoir organisé une expédition raciste à Paris après la demi-finale de la Coupe du monde 2022 devraient ressortir libres du tribunal de Paris. Comme annoncé par Libé, le parquet général s’est désisté à l’ouverture du procès en appel, clôturant les poursuites.
Un fiasco judiciaire. Sept «néonazis des temps modernes», comme les ont qualifiés les enquêteurs, étaient jugés ce vendredi 7 février devant la cour d’appel de Paris pour leur participation supposée à un «groupement formé en vue de commettre des violences». C’était le soir de la demi-finale de Coupe du monde de foot au Qatar, opposant la France au Maroc, le 14 décembre 2022. Une nuit marquée par des violences racistes commises par des militants d’extrême droite partout en France. Sauf que… La procédure est si mal ficelée qu’elle a déjà fait capoter les poursuites en première instance. Le parquet a toutefois fait appel, mais comme l’annonçait Libé, le ministère public a entamé le procès de ce vendredi en se désistant, annulant ainsi le volet pénal de cette affaire. Et laissant donc libres des prévenus prêts, à l’époque, à «défendre [le] drapeau face aux hordes de Marocains».
Lors du premier procès, en septembre 2023, déjà, les avocats de la défense s’étaient engouffrés avec délectation dans les failles du dossier. Le sac transportant les armes listées par les enquêteurs n’avait jamais été placé sous scellé. Les droits des interpellés leur avaient été notifiés trop tardivement. Certains avocats de la défense n’avaient eu accès initialement qu’à une version tronquée de l’enquête… Mais, surtout, les interpellations, voulues «préventives» par la préfecture de police, ont été faites hors du périmètre où des contrôles inopinés étaient possibles. Ces arrestations étant juridiquement nulles, et puisqu’elles constituent les éléments initiant la procédure, tout le dossier s’était effondré. L’audience n’en est même pas arrivée jusque-là ce vendredi, le parquet général s’étant désisté.
Protège-dents, gazeuses et poings américains
Aucun militant d’extrême droite qui avait soigneusement préparé cette expédition ne sera donc – très probablement – condamné. «Mercredi 20 heures, France-Maroc. RDV dès 20 heures au métro Pont-Cardinet. On sera nombreux, donc on s’étalera dans plusieurs [bars] autour de la place. Mobilisation générale.» Cet ordre de ralliement a été partagé sur la messagerie chiffrée Telegram en amont du jour-J. Des dizaines de militants avaient répondu à l’appel lancé notamment par Marc de Cacqueray-Valménier, qui, alors âgé de 24 ans, est déjà une figure centrale de l’extrême droite violente. Certains sont venus de loin : trois depuis Rouen, un d’un village de Saône-et-Loire, d’autres de l’Aisne, de Rennes, des Yvelines, de l’Essonne. La colonne vertébrale du commando est composée des cogneurs néonazis du GUD Paris, qui a fini par être dissous en juin.
Ce soir-là, discrètement, pour contourner la surveillance (quinze d’entre eux sont fichés «S», pour «sûreté de l’Etat»), tout ce petit monde se rejoint dans des bars du nord-est de Paris à un saut en métro des Champs-Elysées, où ils escomptent se rendre après le match, pensent les enquêteurs. Lorsqu’ils sont interceptés, ils sont clairement équipés pour aller à la castagne, portent des protège-dents, genouillères et coudières, protège-tibias. Dans un sac : cagoules, gazeuses, sprays lacrymo, poings américains, bâtons télescopiques et fumigènes. D’autres armes (comme des bagues serties de lames de rasoir) sont retrouvées en perquisition, ainsi que quantité de livres et artefacts nazis. L’exploitation de leurs téléphones a permis d’exhumer des groupes de discussion baptisés «anti-PD» ou «Hitler». Sur ce dernier, ce même 14 décembre 2022, à 22 h 17, est posté un message : «On les a vaincus les bougnoules comme [les] Cohen.»
Qui a envoyé ce message ? L’enquête n’a pas permis de le déterminer. Un de ces Lyonnais qui, au sein d’une bande d’une cinquantaine de hooligans et militants d’extrême droite, ont attaqué les supporteurs marocains dans le centre-ville et mené une véritable émeute ce soir-là ? Peut-être un de leurs homologues niçois qui ont fait de même, tout comme les nervis de Strasbourg, Avignon ou Montpellier. A Annecy, aussi, où un petit groupe a laissé derrière lui notamment un homme inconscient dans une mare de sang. Un militant radical originaire de Besançon, ancien légionnaire et ami de Marc de Cacqueray, a passé plusieurs mois en prison pour ces faits. Car il n’y a pas qu’à Paris que des militants de cette extrême droite violente se sont mobilisés ce soir-là.
Constellation de groupuscules locaux
«Je me trouvais avec des amis dans un bar près de la place du Bouffay, raconte, à Nantes, une témoin retrouvée par Libé. C’était minuit passé, les scènes de liesse s’étaient un peu calmées. J’ai vu un groupe d’individus sur la place en train de renverser des poubelles et de faire des saluts nazis. Ils étaient une dizaine.» Cette jeune femme, la vingtaine, a été frappée après les avoir interpellés. «Un de mes amis s’est interposé et a été tabassé. J’ai pris un second coup au visage qui m’a presque mis KO. Ensuite, nos amis sont arrivés et (ils) ont pris la fuite. En fait, on peut se faire casser la gueule parce qu’on dénonce un salut nazi…»
Les gudards, et notamment leur chef, Cacqueray-Valménier (il n’avait pas encore été remplacé par Gabriel Loustau, le fils de l’ex-conseiller régional RN et proche de Marine Le Pen, Axel Loustau) font partie d’un tout. Identitaires, royalistes… même des membres de Génération Zemmour ont participé à cet élan. Les militants d’extrême droite, bien qu’éparpillés au sein d’une constellation de groupuscules locaux, forment ainsi une mouvance interconnectée. Cette éruption a été alimentée, aussi, par certaines déclarations politiques après une campagne présidentielle marquée par la radicalité. En amont du match, Eric Zemmour avait, par exemple, assuré avant le quart de finale qui opposait les Bleus à l’Angleterre que «certains policiers sont tellement effrayés qu’ils sont même allés jusqu’à espérer que la France ne gagne pas pour qu’il n’y ait pas de match France-Maroc». Marion Maréchal avait, elle, dénoncé «l’état d’esprit revanchard et anti-européen […] qui a pu être manié à l’occasion du match France-Maroc».
Etape dans la mouvance
Plus qu’un acmé, cette soirée a été une étape dans la mouvance. Les militants se sont empressés de revendiquer leurs méfaits quelques jours plus tard. Sur leurs canaux ont afflué les messages et montages vidéos de solidarité envers les mis en cause ou exaltant les violences perpétrées. Moins d’un an plus tard, les mêmes ingrédients donneront la même recette : à Romans-sur-Isère, fin novembre 2023, une cinquantaine de militants de toutes obédiences et venus de toute la France tenteront d’attaquer les habitants du quartier de la Monnaie, d’où sont originaires certains des agresseurs présumés du jeune Thomas Perotto, tué lors d’une rixe à la sortie du bal d’un village. Parmi eux un certain «Gros lardon», alias Léo Rivière-Prost, l’un des prévenus du procès de ce vendredi à Paris.
Mise à jour le 7 février à 16h35 : ajout des éléments de l’audience qui s’est tenue ce vendredi 7 février.
https://www.liberation.fr/politique/des ... CIDTYAQ5A/