Face à la «menace existentielle» russe, l’extrême droite s’accroche à son vieux logiciel
Posté : 09 mars 2025 18:54
Sale temps pour le RN...
Si Marine Le Pen et ses alliés fustigent l’idée d’un péril venu de Russie, avec qui ils partagent une vision identitaire et autoritaire, c’est aussi parce qu’ils refusent qu’il prenne le pas dans l’opinion sur la peur de l’islam et de l’immigré, leur principal carburant.
La réalité de la menace russe est une très mauvaise nouvelle pour l’extrême droite. Parce que les extrêmes droites françaises et européennes, dans leur diversité, partagent avec le régime poutinien la même vision identitaire, blanche, chrétienne, machiste et autoritaire de la société ; parce que pour contrer cette menace sans l’aide des Américains (qui font maintenant partie du problème), à l’évidence, seule la dimension européenne, qu’ils exècrent, paraît adaptée. Et puis, affirmer que la Russie est la première menace pour l’Europe, comme le font une partie de la droite, le bloc central, les socialistes et les écologistes, c’est passer au second plan le «péril suprême» du «grand remplacement», les menaces islamistes et «wokes».
Ce week-end, le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu disait : «La menace russe est réelle, l’Europe doit se réveiller.» Marine Le Pen avait, au contraire, vendredi 6 mars, à la tribune de l’Assemblée, minimisé le danger russe : «Si au bout de trois ans, la Russie a du mal à avancer en Ukraine, il y a peu de chances pour qu’elle ambitionne de venir jusqu’à Paris.» La présidente du groupe RN à l’Assemblée tentait de caricaturer l’exécutif en l’accusant de paranoïa calculée, comme la gauche ironisait, dans les années 80, quand une partie de la droite vaincue de l’époque s’effrayait, en raison de la présence de quatre ministres communistes, de voir les chars soviétiques débarquer sur la place de la Concorde. Les porte-parole du RN, de Reconquête et d’une partie de la droite en voie de trumpisation font semblant de ne pas voir la guerre hybride (désinformation, cyberattaques, manipulation des débats) menée par la Russie et maintenant aussi par la nouvelle administration américaine. En fait, cette guerre hybride est aussi la leur.
Novlangue
C’est le philosophe et juriste allemand Carl Schmitt, un temps inspirateur des nazis, qui avait le mieux théorisé la nécessité toute naturelle et vitale (selon lui) en politique de se déterminer des ennemis mortels afin de mettre en branle la société et d’affirmer puissamment son identité. Cela ne veut pas dire que toute désignation d’un ennemi est une instrumentalisation politique mais il est instructif de bien analyser la façon dont chaque camp choisit, caractérise ses ennemis et surtout les hiérarchise comme autant de menaces. Le terme poncif «existentiel» est utilisé à outrance dans le débat politique. On ne dit plus «première menace», «menace vitale» ou «essentielle». Rien à voir avec Sartre et l’existentialisme, c’est juste de la novlangue. Il s’agit d’affirmer que la menace ainsi désignée «existentielle» surpasse toutes les autres. Voilà pourquoi Emmanuel Macron s’est dit, jeudi 6 mars, satisfait du «sursaut d’investissement» européen en matière d’armement face à la «menace existentielle» que représente la Russie. Ce à quoi, devenu porte-voix de ce qu’il va bien falloir appeler le parti bolloréen (la puissante sphère médiatique de Vincent Bolloré), Philippe de Villiers a rétorqué : «La Russie n’est pas une menace existentielle, c’est un mensonge.»
L’extrême droite promeut l’idée que nous serions à la veille d’une guerre de civilisation contre l’islam, l’islamisme et leurs alliés, à l’intérieur de nos sociétés occidentales, les libéraux, les «*****propos modérés attisant la haine» et les wokes (fourre-tout de la panique conservatrice). La Russie de Poutine, comme l’Amérique de Trump, eux-mêmes nationalistes autoritaires, xénophobes, anti-woke, ne peuvent pas être la première menace et reléguer au rang de menace subalterne l’islam et l’immigré. Si tel était le cas dans l’opinion, alors le principal carburant de l’extrême droite serait tari !
La peur d’une alliance de circonstance
Pour ce qui est de ceux qui, à gauche (LFI), refusent aussi que l’on mette la Russie au top des menaces qui pèsent sur notre modèle, d’autres facteurs, moins clairs, sont en jeu : la crainte que l’on sacrifie la politique sociale au profit des dépenses militaires présentées comme vitales et la peur de voir une alliance concurrente et de circonstance se créer entre écologistes, socialistes, centristes et libéraux.
La menace russe est en train de redessiner et de redéfinir l’Europe. Elle pourrait aussi peser sur la formation des clivages de politique intérieure qui restent mouvants et mal déterminés depuis la fin de la bipolarisation classique.
https://www.liberation.fr/politique/fac ... ANHO7AV2Y/
Si Marine Le Pen et ses alliés fustigent l’idée d’un péril venu de Russie, avec qui ils partagent une vision identitaire et autoritaire, c’est aussi parce qu’ils refusent qu’il prenne le pas dans l’opinion sur la peur de l’islam et de l’immigré, leur principal carburant.
La réalité de la menace russe est une très mauvaise nouvelle pour l’extrême droite. Parce que les extrêmes droites françaises et européennes, dans leur diversité, partagent avec le régime poutinien la même vision identitaire, blanche, chrétienne, machiste et autoritaire de la société ; parce que pour contrer cette menace sans l’aide des Américains (qui font maintenant partie du problème), à l’évidence, seule la dimension européenne, qu’ils exècrent, paraît adaptée. Et puis, affirmer que la Russie est la première menace pour l’Europe, comme le font une partie de la droite, le bloc central, les socialistes et les écologistes, c’est passer au second plan le «péril suprême» du «grand remplacement», les menaces islamistes et «wokes».
Ce week-end, le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu disait : «La menace russe est réelle, l’Europe doit se réveiller.» Marine Le Pen avait, au contraire, vendredi 6 mars, à la tribune de l’Assemblée, minimisé le danger russe : «Si au bout de trois ans, la Russie a du mal à avancer en Ukraine, il y a peu de chances pour qu’elle ambitionne de venir jusqu’à Paris.» La présidente du groupe RN à l’Assemblée tentait de caricaturer l’exécutif en l’accusant de paranoïa calculée, comme la gauche ironisait, dans les années 80, quand une partie de la droite vaincue de l’époque s’effrayait, en raison de la présence de quatre ministres communistes, de voir les chars soviétiques débarquer sur la place de la Concorde. Les porte-parole du RN, de Reconquête et d’une partie de la droite en voie de trumpisation font semblant de ne pas voir la guerre hybride (désinformation, cyberattaques, manipulation des débats) menée par la Russie et maintenant aussi par la nouvelle administration américaine. En fait, cette guerre hybride est aussi la leur.
Novlangue
C’est le philosophe et juriste allemand Carl Schmitt, un temps inspirateur des nazis, qui avait le mieux théorisé la nécessité toute naturelle et vitale (selon lui) en politique de se déterminer des ennemis mortels afin de mettre en branle la société et d’affirmer puissamment son identité. Cela ne veut pas dire que toute désignation d’un ennemi est une instrumentalisation politique mais il est instructif de bien analyser la façon dont chaque camp choisit, caractérise ses ennemis et surtout les hiérarchise comme autant de menaces. Le terme poncif «existentiel» est utilisé à outrance dans le débat politique. On ne dit plus «première menace», «menace vitale» ou «essentielle». Rien à voir avec Sartre et l’existentialisme, c’est juste de la novlangue. Il s’agit d’affirmer que la menace ainsi désignée «existentielle» surpasse toutes les autres. Voilà pourquoi Emmanuel Macron s’est dit, jeudi 6 mars, satisfait du «sursaut d’investissement» européen en matière d’armement face à la «menace existentielle» que représente la Russie. Ce à quoi, devenu porte-voix de ce qu’il va bien falloir appeler le parti bolloréen (la puissante sphère médiatique de Vincent Bolloré), Philippe de Villiers a rétorqué : «La Russie n’est pas une menace existentielle, c’est un mensonge.»
L’extrême droite promeut l’idée que nous serions à la veille d’une guerre de civilisation contre l’islam, l’islamisme et leurs alliés, à l’intérieur de nos sociétés occidentales, les libéraux, les «*****propos modérés attisant la haine» et les wokes (fourre-tout de la panique conservatrice). La Russie de Poutine, comme l’Amérique de Trump, eux-mêmes nationalistes autoritaires, xénophobes, anti-woke, ne peuvent pas être la première menace et reléguer au rang de menace subalterne l’islam et l’immigré. Si tel était le cas dans l’opinion, alors le principal carburant de l’extrême droite serait tari !
La peur d’une alliance de circonstance
Pour ce qui est de ceux qui, à gauche (LFI), refusent aussi que l’on mette la Russie au top des menaces qui pèsent sur notre modèle, d’autres facteurs, moins clairs, sont en jeu : la crainte que l’on sacrifie la politique sociale au profit des dépenses militaires présentées comme vitales et la peur de voir une alliance concurrente et de circonstance se créer entre écologistes, socialistes, centristes et libéraux.
La menace russe est en train de redessiner et de redéfinir l’Europe. Elle pourrait aussi peser sur la formation des clivages de politique intérieure qui restent mouvants et mal déterminés depuis la fin de la bipolarisation classique.
https://www.liberation.fr/politique/fac ... ANHO7AV2Y/