Le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler annonce son départ
Posté : 27 mars 2025 22:23
Le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler annonce son départ, après dix ans au côté d’Emmanuel Macron
Je crois qu'il va à la Société Générale, on saura demain. Sinon, Mignon comme successeur auprès de Macron, c'est bien vu.INFO LE FIGARO - Le «vice-président», qui s’apprête à rejoindre une banque, vient d’officialiser sa décision auprès du chef de l’État. Il sera remplacé mi-avril par le haut fonctionnaire Emmanuel Moulin, dont il est proche.
Tant pis pour le record. Après une dizaine d’années au côté d’Emmanuel Macron, Alexis Kohler s’apprête à quitter, mi-avril, la présidence de la République. Inédite depuis le siècle dernier, sa longévité au secrétariat général de l’Élysée (2017-2025) le propulse d’office dans le peloton de tête de ce prestigieux tableau. En montant sur la deuxième marche du podium, il devance au classement le chiraquien Dominique de Villepin (1995-2002), mais pas le mitterrandien Jean-Louis Bianco (1982-1991).
Le voilà donc durablement coincé entre un homme de droite et un homme de gauche. Une position centrale en forme de symbole pour cet homme de l’ombre, qui aura œuvré sans relâche, de jour comme de nuit, au «dépassement» si cher au chef de l’État. «Durant plus de dix ans à mes côtés, comme directeur de mon cabinet puis comme secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler a mis toute son énergie, son talent et sa force de travail hors pair au service de notre projet politique et des Français. Il a servi notre pays de manière exemplaire ces années. Je sais combien notre action collective lui doit et je sais qu’il continuera son engagement pour la Nation sous d’autres formes», l’encense Emmanuel Macron auprès du Figaro, au moment de lui dire au revoir.
Incarnation de la résilience «et en même temps» de la discrétion, Alexis Kohler a profité d’un rendez-vous mensuel interne - la «réunion de cabinet» - pour annoncer sobrement son départ à ses équipes, ce jeudi soir. «Il n’y a pas de moment idéal pour partir, mais il était parfaitement inenvisageable pour moi de partir dans un moment trop chahuté. Nous avons aujourd’hui un budget, un gouvernement, une feuille de route que nous portons, a-t-il pudiquement lâché, sans parvenir à dissimuler son émotion. Je ne vais pas égrainer ici notre bilan, je vous rassure. Je veux simplement redire ma fierté pour nos réponses aux crises, nos réformes économiques et sociales trop longtemps différées, parfois jugées impossibles, nos décisions inédites pour réarmer notre défense et notre sécurité intérieure, nos investissements historiques dans nos services publics, notre nouvelle manière de déployer l’action publique, nos combats pour une Europe plus forte et plus unie», a-t-il ensuite énuméré.
«Je ne serai jamais loin. Je demeurerai un observateur attentif et engagé de votre action. Je continuerai à défendre l’esprit de 2017, le dépassement des clivages partisans, le souci de l’efficacité de l’action publique et de la défense des Français, la volonté de préserver notre indépendance et le réarmement européen. Je serai là pour vous tous si vous avez besoin de moi pour une raison ou pour une autre», a-t-il conclu, la voix tremblante. Confirmant au passage qu’Emmanuel Moulin, dont il est proche, le remplacerait très bientôt à son poste.
L’ancien patron du Trésor, qui a dirigé les cabinets de Bruno Le Maire à Bercy (2017-2020) puis de Gabriel Attal à Matignon (2024), est d’ailleurs attendu à l’Élysée dans les prochains jours, afin d’observer une période de «tuilage». Manière de permettre une bonne transmission des dossiers entre les deux hommes, avant qu’Alexis Kohler ne tourne la page de la politique pour s’en aller vers le privé. Direction une banque, dont il n’a pas souhaité révéler le nom, laissant le soin à l’établissement d’officialiser son recrutement par un communiqué très formel, dans lequel il n’a pas souhaité s’exprimer. Pas plus d’ailleurs qu’il ne compte prendre la parole à l’avenir, lui qui a refusé jusqu’à la création d’un compte LinkedIn, passage pourtant obligé dans le milieu des affaires.
Un pince-sans-rire avec le cœur à gauche
En interrompant son bail au sommet de l’État, le quinquagénaire referme ce faisant le chapitre d’une aventure qui n’a pas toujours rimé avec sinécure. «Il est de bon ton, aujourd’hui, de dénigrer les serviteurs de l’État. On trouvera donc toujours des gens pour dire qu’il n’a pas tout bien fait... Mais c’est le propre des gens qui font beaucoup ! Alexis Kohler a en tout cas su transformer des impulsions politiques en politiques publiques, salue Édouard Philippe auprès du Figaro. C’est un homme simple et sain, qui n’est pas à la recherche de je ne sais quelle gloire fantasmée. Avec lui, l’économie de mot n’est jamais une économie de sincérité», ajoute l’ancien premier ministre, qui s’est «lié d’amitié» avec lui lorsqu’ils se sont connus il y a 35 ans. Un propos qui fait écho à ce que Richard Ferrand, aujourd’hui président du Conseil constitutionnel, a toujours pensé d’Alexis Kohler : «C’est un Richelieu humaniste, un homme plus drôle et plus sensible que son phrasé lapidaire et ses analyses cliniques ne le laisseraient croire».
Reste que, s’il était parfaitement à l’aise dans l’anonymat de la haute-fonction publique, ce père de trois enfants a particulièrement mal vécu l’exposition liée à la présidence de la République. À commencer par son audition rugueuse au Sénat, en 2019, dans le cadre de la commission d’enquête sur «l’affaire Benalla». Un épisode dont le traumatisme reste tellement vif chez lui qu’il l’a conduit à prendre deux décisions radicales ces dernières semaines : refuser de répondre à la convocation de l’Assemblée, où l’Insoumis Éric Coquerel entendait le passer à la question sur le dérapage des comptes publics ; et refuser d’être nommé à la tête d’une grande entreprise publique, pour éviter d’avoir à passer sur le gril du Parlement. «Il s’est juré de ne plus jamais subir tout cela», témoigne l’un de ses interlocuteurs réguliers, à qui il s’est confié. Quant à l’idée de devenir ministre, il en a tellement vu passer qu’il s’est un jour promis : «Je ne serai jamais l’homme derrière ce bureau». D’autant que, pour ne rien arranger, des ennuis judiciaires sont venus lui empoisonner la vie : l’affaire MSC, où il s’est pourvu en cassation après sa mise en examen pour «prise illégale d’intérêts» ; et le dossier de la fusion Veolia-Suez, où il est tacitement visé par une enquête du parquet national financier pour des soupçons de «trafic d’influence». Une meurtrissure pour celui qui, après une vie passée au service de la France, continue de clamer son innocence.
Droit comme la justice, au point de sembler un peu raide - voire carrément rigide - de prime abord, cet Alsacien revendiqué, natif de Strasbourg, dissimule en fait une personnalité pince-sans-rire, qui s’exprime lorsqu’il se sent en confiance ou qu’il décide de fendre l’armure. Ceux qui le connaissent et l’apprécient l’ont par exemple observé avec gourmandise, fin septembre, hocher la tête et se racler la gorge à l’annonce de l’entrée au gouvernement de Laurence Garnier, sénatrice LR issue de la droite conservatrice, nommée secrétaire d’État par Michel Barnier. Un mouvement d’humeur - le seul qui lui est permis dans cet exercice si contraint -, destiné à manifester sa désapprobation. Car même s’il a contribué à bousculer les clivages, Alexis Kohler a toujours eu le cœur plutôt à gauche.
Pas moins de six premiers ministres et près de 200 ministres
Jeune rocardien durant ses années Sciences Po, cet ancien élève de l’ENA a été biberonné à la social-démocratie lors de ses passages au Trésor, au FMI, et à l’Agence des participations de l’État. Jusqu’à accepter, sous le quinquennat de François Hollande, ce qu’il avait refusé sous la présidence de Nicolas Sarkozy : rejoindre un ministère. Ce sera Bercy, auprès de Pierre Moscovici durant deux ans. Puis avec Emmanuel Macron, à partir de 2014. Parfait négatif l’un de l’autre - le premier est aussi séducteur que le second est réservé -, les deux hommes, dont les bureaux sont séparés par une simple porte communicante, deviennent rapidement inséparables. Grâce à la complémentarité de leurs personnalités, davantage que leur gémellité supposée : «Il a été une sorte de balance d’équilibre, qui venait remettre de la rationalité là où il pouvait parfois y avoir un peu trop de folklore à son goût», témoigne Sibeth Ndiaye, qui a découvert à cette époque celui qui reste son «patron» préféré. Il faut dire que, tel un moine-soldat au service de son champion, Alexis Kohler multiplie alors les double-journées, entre l’actualité du ministre de l’Économie le jour, et l’agenda du présidentiable en puissance la nuit. Avec une poignée de stratèges - Julien Denormandie, Ismaël Emelien, Stéphane Séjourné, Stanislas Guerini, David Amiel -, il forme la bande des «Mormons», ces lieutenants entièrement dévoués à Emmanuel Macron.
De la création d’En marche à la conquête de l’Élysée, cette joyeuse troupe parviendra à déjouer tous les pronostics en réussissant l’impossible en 2017 : une épopée inédite dans l’histoire de la Ve République. Aussi unique, d’ailleurs, que la suite des événements : de la crise des «gilets jaunes» à la crise du Covid, de la réforme de la SNCF à la réforme des retraites, de la guerre en Ukraine à la guerre à Gaza, de la réélection à la dissolution... Des hauts et des bas où le secrétaire général de l’Élysée verra défiler pas moins de six premiers ministres et près de 200 ministres, sans que lui ne vacille jamais, contrairement aux rumeurs qui l’ont maintes fois annoncé - à tort - sur le départ. Deuxième cerveau du chef de l’État, qui en a fait une sorte de vice-président, Alexis Kohler a longtemps dû se faire violence... Mais il avait presque fini par s’habituer à ce que le Tout-Paris politico-médiatique bruisse de son avenir à intervalles réguliers. Tout comme il avait fini par s’habituer à ce que son rôle soit minimisé ou amplifié, selon que les choses finissaient ou non par s’arranger. C’est l’avantage des «technos» en politique : ils acceptent d’être coupables des échecs, sans jamais exiger d’être comptables des réussites. Dans les mots d’Alexis Kohler, cela donne simplement : «C’était bien. C’était très bien, même».