Marine Le Pen défend la proportionnelle mais… «80 % des députés RN sont contre»
Posté : 01 mai 2025 07:36
Alors que la cheffe de file du parti d’extrême droite s’est dite prête à toper avec le Premier ministre pour mettre en place la proportionnelle, la grande majorité de ses députés se disent opposés à ce mode de scrutin, qui risque de leur faire perdre leur siège.
L’ennui, avec les programmes politiques, c’est qu’on ne peut pas en changer trop souvent. Raison pour laquelle le Rassemblement national (RN) n’en use qu’avec parcimonie - ce qui ne l’empêche pas de virer de bord avec le vent, au risque de perdre en chemin ses porte-parole qui se retrouvent parfois à défendre des propositions abandonnées depuis plusieurs années. Par exemple, lors des dernières législatives, plusieurs cadres de première importance se sont révélés bien en peine de confirmer leur intention d’interdire la double nationalité, autoriser, ou simplement discriminer à l’emploi, les binationaux qui représentaient en 2015 la bagatelle de 3,3 millions de personnes.
La question de la proportionnelle est moins piégeuse. D’abord parce qu’elle touche directement à la situation financière des concernés qui, par conséquent, s’y intéressent davantage. Ensuite parce que, sur ce point, le programme du RN n’a pas varié d’un iota depuis les années 1980. Ce mercredi 30 avril, sur le perron de l’hôtel de Matignon, où elle était reçue avec Jordan Bardella dans le cadre d’une série de consultation sur le sujet, Marine Le Pen a donc confirmé sa fidélité à ce mode de scrutin qui avait permis l’élection de 35 députés frontistes, en 1986. «Chaque Français doit pouvoir être représenté à l’Assemblée nationale», a professé la leader d’extrême droite pour qui la proportionnelle est «un élément de réparation de la confiance des Français envers leurs représentants, de l’utilité du vote, de la participation au processus démocratique».
Places plus rares
Si elle s’est redite en faveur de listes départementales «pour conserver l’ancrage territorial des députés» accompagnées d’une «prime majoritaire», Le Pen s’est aussi montrée prête à renoncer à cette dernière demande et a déclaré que «le RN défendra» le mode de scrutin de 1986, qui ne la prévoit pas. Elle pourrait donc voter le projet de loi de François Bayrou… Au grand désespoir de la grande majorité de son groupe qui ne voit pas, mais alors pas du tout d’un bon œil cette constance programmatique.
Plusieurs députés ont confié leurs réticences à l’oreille compatissante de Libé. «Je dirais qu’au moins les deux tiers du groupe sont contre», jauge un élu. «Pour moi c’est plutôt 80 % d’entre nous qui ne sommes pas fans de la proportionnelle», corrige un de ses collègues. La cause ? «Un parti de gouvernement, c’est un parti enraciné, et j’ai tendance à penser que c’est la ligne d’un parti d’opposition», poursuit le même. Il y a les raisons idéologiques, avouables : le scrutin majoritaire par circonscription permet une meilleure implantation des députés qui ratissent le terrain, courtisent les maires, draguent les notables. Il y a les motivations plus humaines, aussi, dont on s’ouvre à demi-mot. «Peut-être qu’on va récupérer un ou deux élus en Bretagne mais dans les régions où on est très enracinés, ça va nous défavoriser», prédit un député. Par exemple, dans les départements où le RN a réalisé un grand chelem ou presque (comme le Gard, les Pyrénées-Orientales, le Var ou le Pas-de-Calais), la proportionnelle va mécaniquement faire perdre un voire deux ou trois sièges à l’extrême droite… et les places seront plus rares, puisqu’il faudra aussi respecter la parité sur les listes départementales, pointe avec malice une députée frontiste.
Ce qui n’est pas anodin : si, pour éviter de payer des amendes trop lourdes, le RN présente autant de femmes que d’hommes sur l’ensemble du territoire, les meilleures circonscriptions sont le plus souvent réservées à ces messieurs, qui se retrouvent donc deux fois plus nombreux au sein du groupe que ces dames (82 contre 41). «Ca va foutre le bordel dans le parti», soupire un député qui s’agace : «Et nous, ça nous impose quoi ? De passer notre temps à Paris pour bien se faire voir ?» De fait, les listes proportionnelles favorisent les coteries au sein de l’appareil au détriment de l’ancrage territorial. Raison pour laquelle, subodorent nos sources, Marine Le Pen et ses proches défendent autant ce mode de scrutin qui leur permet de tenir leurs troupes en laisse.
Pas de fronde prévue
Rien d’étonnant, ajoutent-elles, à ce que le député de Liévin, Bruno Bilde, ami de la patronne et homme d’appareil, ait défendu une proposition de loi sur le sujet lors de la première niche parlementaire du RN… «S’il veut reprendre la main sur un certain nombre de circos, c’est peut-être un moyen», suppute l’un de nos élus, qui prend à témoin la confection des listes régionales, sans doute plus inspirée par la courtisanerie et le clanisme que par la recherche de la compétence.
Dans tous les cas, les ouailles lepénistes ne devraient pas mener de fronde sur le sujet. «Je suis élu sur le programme de Marine Le Pen donc je le défendrai même si je pense que nous devrions évoluer», promet un élu. Ce qui devrait arriver plus tôt que prévu : le RN a demandé à ce que soit voté le texte de loi avant l’été 2025, afin qu’il soit mis en place avant une prochaine dissolution. En attendant, les chaussures en cuir des deux chefs frontistes ne devraient pas manquer de briller.
https://www.liberation.fr/politique/ele ... directed=1
L’ennui, avec les programmes politiques, c’est qu’on ne peut pas en changer trop souvent. Raison pour laquelle le Rassemblement national (RN) n’en use qu’avec parcimonie - ce qui ne l’empêche pas de virer de bord avec le vent, au risque de perdre en chemin ses porte-parole qui se retrouvent parfois à défendre des propositions abandonnées depuis plusieurs années. Par exemple, lors des dernières législatives, plusieurs cadres de première importance se sont révélés bien en peine de confirmer leur intention d’interdire la double nationalité, autoriser, ou simplement discriminer à l’emploi, les binationaux qui représentaient en 2015 la bagatelle de 3,3 millions de personnes.
La question de la proportionnelle est moins piégeuse. D’abord parce qu’elle touche directement à la situation financière des concernés qui, par conséquent, s’y intéressent davantage. Ensuite parce que, sur ce point, le programme du RN n’a pas varié d’un iota depuis les années 1980. Ce mercredi 30 avril, sur le perron de l’hôtel de Matignon, où elle était reçue avec Jordan Bardella dans le cadre d’une série de consultation sur le sujet, Marine Le Pen a donc confirmé sa fidélité à ce mode de scrutin qui avait permis l’élection de 35 députés frontistes, en 1986. «Chaque Français doit pouvoir être représenté à l’Assemblée nationale», a professé la leader d’extrême droite pour qui la proportionnelle est «un élément de réparation de la confiance des Français envers leurs représentants, de l’utilité du vote, de la participation au processus démocratique».
Places plus rares
Si elle s’est redite en faveur de listes départementales «pour conserver l’ancrage territorial des députés» accompagnées d’une «prime majoritaire», Le Pen s’est aussi montrée prête à renoncer à cette dernière demande et a déclaré que «le RN défendra» le mode de scrutin de 1986, qui ne la prévoit pas. Elle pourrait donc voter le projet de loi de François Bayrou… Au grand désespoir de la grande majorité de son groupe qui ne voit pas, mais alors pas du tout d’un bon œil cette constance programmatique.
Plusieurs députés ont confié leurs réticences à l’oreille compatissante de Libé. «Je dirais qu’au moins les deux tiers du groupe sont contre», jauge un élu. «Pour moi c’est plutôt 80 % d’entre nous qui ne sommes pas fans de la proportionnelle», corrige un de ses collègues. La cause ? «Un parti de gouvernement, c’est un parti enraciné, et j’ai tendance à penser que c’est la ligne d’un parti d’opposition», poursuit le même. Il y a les raisons idéologiques, avouables : le scrutin majoritaire par circonscription permet une meilleure implantation des députés qui ratissent le terrain, courtisent les maires, draguent les notables. Il y a les motivations plus humaines, aussi, dont on s’ouvre à demi-mot. «Peut-être qu’on va récupérer un ou deux élus en Bretagne mais dans les régions où on est très enracinés, ça va nous défavoriser», prédit un député. Par exemple, dans les départements où le RN a réalisé un grand chelem ou presque (comme le Gard, les Pyrénées-Orientales, le Var ou le Pas-de-Calais), la proportionnelle va mécaniquement faire perdre un voire deux ou trois sièges à l’extrême droite… et les places seront plus rares, puisqu’il faudra aussi respecter la parité sur les listes départementales, pointe avec malice une députée frontiste.
Ce qui n’est pas anodin : si, pour éviter de payer des amendes trop lourdes, le RN présente autant de femmes que d’hommes sur l’ensemble du territoire, les meilleures circonscriptions sont le plus souvent réservées à ces messieurs, qui se retrouvent donc deux fois plus nombreux au sein du groupe que ces dames (82 contre 41). «Ca va foutre le bordel dans le parti», soupire un député qui s’agace : «Et nous, ça nous impose quoi ? De passer notre temps à Paris pour bien se faire voir ?» De fait, les listes proportionnelles favorisent les coteries au sein de l’appareil au détriment de l’ancrage territorial. Raison pour laquelle, subodorent nos sources, Marine Le Pen et ses proches défendent autant ce mode de scrutin qui leur permet de tenir leurs troupes en laisse.
Pas de fronde prévue
Rien d’étonnant, ajoutent-elles, à ce que le député de Liévin, Bruno Bilde, ami de la patronne et homme d’appareil, ait défendu une proposition de loi sur le sujet lors de la première niche parlementaire du RN… «S’il veut reprendre la main sur un certain nombre de circos, c’est peut-être un moyen», suppute l’un de nos élus, qui prend à témoin la confection des listes régionales, sans doute plus inspirée par la courtisanerie et le clanisme que par la recherche de la compétence.
Dans tous les cas, les ouailles lepénistes ne devraient pas mener de fronde sur le sujet. «Je suis élu sur le programme de Marine Le Pen donc je le défendrai même si je pense que nous devrions évoluer», promet un élu. Ce qui devrait arriver plus tôt que prévu : le RN a demandé à ce que soit voté le texte de loi avant l’été 2025, afin qu’il soit mis en place avant une prochaine dissolution. En attendant, les chaussures en cuir des deux chefs frontistes ne devraient pas manquer de briller.
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