Comment la France est redevenue une société d’héritiers
Posté : 08 mai 2025 10:40
« L’héritage, amplificateur des inégalités ».
"Le niveau élevé des inégalités de patrimoine et de la fortune héritée observé aujourd’hui rappelle celui de la France du XIXᵉ siècle. Un phénomène inquiétant, synonyme d’ascenseur social bloqué, et alimentant le ressentiment des classes moyennes.
"C’est un chiffre qui donne le vertige. D’ici à 2040, 9 000 milliards d’euros de patrimoine détenus par les Français les plus âgés seront transmis à leurs enfants, selon une note de la Fondation Jean Jaurès, publiée en novembre 2024. Soit, chaque année, 677 milliards d’euros. Une « grande transmission », qui représentera « le plus grand transfert de richesse de l’histoire », en partie lié à l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom. Mais qui illustre également, en creux, un autre phénomène : la France du XXIe siècle est redevenue une société d’héritiers.
A savoir, « une société dans laquelle l’héritage pèse plus que le travail dans la constitution du patrimoine, expliquait Mélanie Plouviez, maîtresse de conférences en philosophie sociale et politique à l’université Côte d’Azur, dans un entretien au Monde le 31 mars. Cette mécanique de l’hérédité façonne un ordre social dans lequel les plus grandes fortunes sont réservées aux individus issus de familles riches. Les autres peuvent, grâce à leurs efforts, à leur mérite ou à leurs diplômes, obtenir de fortes rémunérations, mais il leur est impossible d’atteindre les positions patrimoniales les plus élevées. »
(…)
« Le travail est davantage imposé que la rente, et ce dans tous les grands pays parce que c’est beaucoup plus simple » avance Edmund Shing, responsable de la stratégie d’investissement chez BNP Parisbas fin connaisseur des dispositifs de taxation- comme les moyens d’y échapper. « Le capital, ça peut bouger géographiquement, franchir les frontières, c’est volatile, il faut se coordonner entre pays. »
(…)
"Pour corriger ces inégalités, Thomas Piketty propose, depuis 2019 et son livre « Capital et idéologie » de créer un « héritage minimal » pour tous, versé à l’âge de25 ans. Celui-ci s’élèverait à 120.000 euros (soit 60 % du patrimoine moyen par adulte) et serait financé par un mélange d’impôt progressif sur la fortune et sur les successions rapportant 5 % du revenu national. De quoi, selon lui, « accroître le pouvoir de négociation de ceux qui ne possèdent rien, leur permettre de refuser certains emplois, d’acquérir un premier logement, de se lancer dans un projet personnel. »
La radicalité de sa proposition a suscité de nombreux débats sans être suivie d’effets.
Ajoutons que les nombreuses niches mitant la fiscalité sur les successions représentent un sérieux manque à gagner pour les caisses publiques. Tous les ans, plus de 350 milliards d’euros sont transmis au sein des familles. Sur ce montant colossal, seuls 20 milliards reviennent à l’état – donc à la collectivité- sous forme de droits de succession.
A l’heure où l’État cherche fébrilement des dizaines de milliards pour réduire le déficit budgétaire, financer la transition écologique et le réarmement, remettre sur pied les services publics, pourquoi ne pas utiliser davantage ce levier redistributif ?
« C’est un tabou politique , répond Clément Dherbécourt, l’un des trois coauteurs de la note du CAE. Les Français considèrent que l’héritage est le fruit du travail de toute une vie, transmis d’une génération à une autre. Tant que cette idée prévaudra, on ne changera rien, c’est émotionnel. »
De fait, dans tous les sondages sur le sujet, l’impôt sur les successions est le plus honni de tous parce qu’il touche à la conception même de la famille, celle où une vie d’efforts permet aux parents de transmettre quelque chose à leurs enfants dans l’espoir d’améliorer leur vie.
Pourtant la fortune héritée représente aujourd’hui 60 % du patrimoine national. Au début des années 1970, cette part n’était que de 35 %. »
https://www.lemonde.fr/economie/article ... _3234.html
"Le niveau élevé des inégalités de patrimoine et de la fortune héritée observé aujourd’hui rappelle celui de la France du XIXᵉ siècle. Un phénomène inquiétant, synonyme d’ascenseur social bloqué, et alimentant le ressentiment des classes moyennes.
"C’est un chiffre qui donne le vertige. D’ici à 2040, 9 000 milliards d’euros de patrimoine détenus par les Français les plus âgés seront transmis à leurs enfants, selon une note de la Fondation Jean Jaurès, publiée en novembre 2024. Soit, chaque année, 677 milliards d’euros. Une « grande transmission », qui représentera « le plus grand transfert de richesse de l’histoire », en partie lié à l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom. Mais qui illustre également, en creux, un autre phénomène : la France du XXIe siècle est redevenue une société d’héritiers.
A savoir, « une société dans laquelle l’héritage pèse plus que le travail dans la constitution du patrimoine, expliquait Mélanie Plouviez, maîtresse de conférences en philosophie sociale et politique à l’université Côte d’Azur, dans un entretien au Monde le 31 mars. Cette mécanique de l’hérédité façonne un ordre social dans lequel les plus grandes fortunes sont réservées aux individus issus de familles riches. Les autres peuvent, grâce à leurs efforts, à leur mérite ou à leurs diplômes, obtenir de fortes rémunérations, mais il leur est impossible d’atteindre les positions patrimoniales les plus élevées. »
(…)
« Le travail est davantage imposé que la rente, et ce dans tous les grands pays parce que c’est beaucoup plus simple » avance Edmund Shing, responsable de la stratégie d’investissement chez BNP Parisbas fin connaisseur des dispositifs de taxation- comme les moyens d’y échapper. « Le capital, ça peut bouger géographiquement, franchir les frontières, c’est volatile, il faut se coordonner entre pays. »
(…)
"Pour corriger ces inégalités, Thomas Piketty propose, depuis 2019 et son livre « Capital et idéologie » de créer un « héritage minimal » pour tous, versé à l’âge de25 ans. Celui-ci s’élèverait à 120.000 euros (soit 60 % du patrimoine moyen par adulte) et serait financé par un mélange d’impôt progressif sur la fortune et sur les successions rapportant 5 % du revenu national. De quoi, selon lui, « accroître le pouvoir de négociation de ceux qui ne possèdent rien, leur permettre de refuser certains emplois, d’acquérir un premier logement, de se lancer dans un projet personnel. »
La radicalité de sa proposition a suscité de nombreux débats sans être suivie d’effets.
Ajoutons que les nombreuses niches mitant la fiscalité sur les successions représentent un sérieux manque à gagner pour les caisses publiques. Tous les ans, plus de 350 milliards d’euros sont transmis au sein des familles. Sur ce montant colossal, seuls 20 milliards reviennent à l’état – donc à la collectivité- sous forme de droits de succession.
A l’heure où l’État cherche fébrilement des dizaines de milliards pour réduire le déficit budgétaire, financer la transition écologique et le réarmement, remettre sur pied les services publics, pourquoi ne pas utiliser davantage ce levier redistributif ?
« C’est un tabou politique , répond Clément Dherbécourt, l’un des trois coauteurs de la note du CAE. Les Français considèrent que l’héritage est le fruit du travail de toute une vie, transmis d’une génération à une autre. Tant que cette idée prévaudra, on ne changera rien, c’est émotionnel. »
De fait, dans tous les sondages sur le sujet, l’impôt sur les successions est le plus honni de tous parce qu’il touche à la conception même de la famille, celle où une vie d’efforts permet aux parents de transmettre quelque chose à leurs enfants dans l’espoir d’améliorer leur vie.
Pourtant la fortune héritée représente aujourd’hui 60 % du patrimoine national. Au début des années 1970, cette part n’était que de 35 %. »
https://www.lemonde.fr/economie/article ... _3234.html