"C'est Nicolas qui paie"
Posté : 21 juin 2025 19:26
« Elle paie pour tout le monde et n’a rien en retour » : ce ras-le-bol fiscal de la jeune génération de contribuables
Phénomène de société. Une génération de trous du cul biberonnée aux RTT, qui sniffe de la coke façon Palmade entre deux weekends de surf/volie/ski trouve qu'elle paie trop d'impôts et s'en prend ouvertement aux générations aînées, allors qu'elle n'a rien fait et rien prouvé. Bref, l'ED de Bardella dans toute sa splendeur.
ENQUÊTE - Il est jeune, diplômé, actif, et il paie. Beaucoup. Trop, selon lui. Sur les réseaux sociaux, « Nicolas », un personnage imaginaire devenu un mème, incarne la lassitude fiscale d’une génération d’actifs qui s’estime sacrifiée pour financer la gabegie de l’État.
Le projet de spectacle à 11 millions d’euros de Thomas Jolly à Rouen, à l’occasion du 14 Juillet ? « C’est Nicolas qui paie. » Le saut en parachute de la présidente de l’Assemblée nationale, aux côtés des militaires du 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine ? « C’est Nicolas qui paie. » Des distributeurs de crème solaire gratuite à Ouistreham ? « C’est Nicolas qui paie. » Décidément, Nicolas est généreux. Pourtant, ce Français altruiste, le cœur sur la main, n’existe pas.
Sur les réseaux sociaux comme X, « Nicolas » est utilisé par des internautes pour désigner, de façon ironique, les contribuables qui paient, par leurs impôts, toutes les dépenses, même les plus fantaisistes, des pouvoirs publics. Plus précisément, « Nicolas » représente un trentenaire pressuré par le fisc pour financer à la fois les retraites, les aides sociales, sans oublier, selon certains internautes, les dépenses liées à une immigration jugée « incontrôlée ». Un moyen de dénoncer la gabegie qui aggrave de plus en plus la dérive des comptes tricolores. « Nicolas » est le jeune actif, qui paye des impôts, et qui doit soutenir par ses contributions sociales à la fois les retraités qui ne travaillent plus et la part de la population française qui ne travaille pas (chômage, RSA). Rappelons qu’en France 10 % des Français payent 70 % de l’impôt sur le revenu.
Cette situation délicate alimente notamment un mot-clé, #JeSuisNicolas, ainsi qu’un compte X dédié aux 30.200 abonnés, @NicolasQuiPaie, qui publie régulièrement des publications moqueuses et des mèmes - des images humoristiques, devenues virales - en tout genre sur les dépenses publiques. « Faisons savoir que nous en avons assez de tous ces impôts, taxes et normes », explique-t-il. S’il revendique une posture « satirique » et « transpartisane », ce compte semble surtout relayé et suivi par des militants de droite et d’extrême droite. Un tropisme idéologique qui transparaît dans de nombreux visuels du compte, où se mêlent références identitaires, critiques de la redistribution et opposition à l’immigration.
« The Social Contract »
« “Nicolas”, c’est la bonne poire. Il paie pour tout le monde et il n’a rien en retour », résume le créateur du compte au Figaro. Ce trentenaire, qui souhaite rester anonyme, dit se rapprocher du « minarchisme identitaire », une mouvance qui prône un État minimal. Cette tendance séduit, selon lui : « Je sens l’accroissement du nombre d’abonnés. Si je m’absente une journée et qu’une annonce de dépense ou de taxe survient, je reçois des centaines de messages », s’enorgueillit-il.
Dans le sillage du mouvement, une nouvelle expression a émergé début 2025, celle du « contrat social ». Popularisée par le compte X @bouliboulibouli - avoisinant les 100.000 abonnés -, elle met en scène ce fameux « Nicolas » ponctionné par l’impôt pour subvenir aux besoins des retraités « Chantal et Bernard »… mais aussi de « Karim ». Ce compte prolonge la rhétorique du ras-le-bol fiscal, en y injectant une vision du contrat social fortement marquée par des obsessions identitaires et des sous-entendus parfois racistes, souvent plus explicites que sur le compte @NicolasQuiPaie. Et cette formule a même franchi les frontières. Outre-Manche, un visuel circule désormais avec la légende « The Social Contract » : on y voit « Nick », un jeune Britannique désabusé, s’indigner de devoir financer des politiques publiques dont il estime ne pas profiter. « Est-ce qu’un parti prendra la défense de “Nick” ?, se demandait très sérieusement l’hebdomadaire conservateur britannique The Spectator.
Cette colère fiscalo-numérique s’inspire en partie de références américaines. Sur la photo de couverture du compte X, un visuel détourne le logo de l’Agence française de développement (AFD), en l’accusant de financer des projets jugés inutiles aux intérêts des contribuables. Cette référence fait écho à la décision de Donald Trump, en janvier 2025, de suspendre les financements de l’agence américaine USAID, estimée trop coûteuse et inefficace. Pour les membres de cette communauté, qu’ils soient libertariens, conservateurs ou minarchistes, ces institutions sont devenues le symbole d’une politique publique qui détourne les ressources des « vrais contributeurs » pour financer des causes « trop éloignées des préoccupations nationales ».
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Un héritage historique… et une rupture contemporaine
Pour Frédéric Tristram, historien, spécialiste de la fiscalité et maître de conférences à l’université Paris 1, cette colère numérique à l’égard de l’impôt s’inscrit dans une longue tradition française, « en partie exagérée, d’être un pays où l’on n’aime pas payer l’impôt. Depuis une quinzaine d’années, on observe une multiplication des mouvements de refus de l’impôt », explique-t-il, citant trois épisodes emblématiques : les « pigeons » du net en 2012, du nom d’un regroupement d’entrepreneurs qui avait protesté, via Facebook et Twitter, contre la surtaxation des plus-values de cession ; les « bonnets rouges » bretons en 2013, et les « gilets jaunes », dont le mouvement avait débuté avec la taxe carbone. Des publics différents mais une constante : la rupture du lien contributif. « Le cas de “Nicolas” s’apparente sociologiquement aux “pigeons” : des jeunes actifs, diplômés, de classe moyenne supérieure, qui estiment ne pas bénéficier du système qu’ils financent. »
Le mème cristallise un ressenti très fort : celui d’un système à bout de souffle
« Il n’y a pas de caractère inédit concernant les contestations fiscales. Ce qui est nouveau, c’est le côté générationnel », souligne l’économiste Erwann Tison. « Ce qu’on appelle la génération des “Nicolas”, de moins de 35 ans, diplômés, n’a jamais été aussi ponctionnée dans notre histoire économique », poursuit-il. « Ils ont un pouvoir d’achat contraint, tout en ayant grandi avec l’idée qu’ils accéderaient facilement au marché du travail, à la propriété ou à un bon niveau de vie : il y a une sorte de dichotomie entre ce qu’on leur a promis et ce qu’ils ont réellement », analyse-t-il.
Maxime*, 32 ans, alias « Le stagiaire de Nicolas », membre actif de la communauté sur le réseau social Discord, voit dans « “Nicolas” (…) une caricature volontairement outrancière. Tous les retraités ne roulent pas sur l’or, toutes les personnes issues de l’immigration ne profitent pas du RSA. Mais le mème cristallise un ressenti très fort : celui d’un système à bout de souffle », analyse-t-il. Expert-comptable de formation, il dit avoir forgé ses convictions en analysant les dépenses publiques : « Si un entrepreneur gérait sa boîte comme l’État gère son budget, il serait en liquidation ou en prison. Probablement les deux. » Maxime appartient à une « mouvance libertarienne », non partisane : « La communauté regroupe des minarchistes, des libéraux, des identitaires. On est avant tout unis par le ras-le-bol fiscal et le rejet du clientélisme politique. »
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Du mème au manifeste
Le compte « Mèmes libertariens », lui aussi très actif sur X et suivi par plus de 10.000 utilisateurs, assume une ligne plus idéologique. « Ce mème fonctionne car il verbalise l’injustice ressentie par une génération de Français de souche, actifs, qui financent un modèle dont ils ne tirent aucun bénéfice. C’est notre caricature du tiers état portant le clergé et la noblesse », détaille son auteur, un trentenaire travaillant dans le digital et désirant lui aussi rester anonyme.
Ce dernier milite pour une « diminution des impôts de 50 % à 20 % du PIB ». Son succès symbolise, à ses yeux, une poussée libérale à la française : « C’est la première fois depuis cinq ans que le libertarianisme sort de la marginalité. C’est un phénomène global que je constate auprès des comptes américains, avec notamment le Doge d’Elon Musk. Les likes, le nombre d’abonnés ainsi que les comptes qui s’affirment comme libertariens sont en constante augmentation. Je suis progressiste sur les valeurs sociétales, je suis pro-avortement, pro-immigration, pour le mariage gay…, confie-t-il. Mais bien qu’ayant en partie des origines immigrées, j’ai aussi une réflexion identitaire concernant l’importance de préserver l’identité française, la civilisation occidentale et ses valeurs. »
Sur le canal Discord, une plateforme de messagerie instantanée gratuite, initialement conçue pour les communautés de joueurs de jeux vidéo mais aujourd’hui utilisée par de nombreux groupe en ligne, qui rassemble plus de 700 membres, les discussions sont plus structurées et moins visibles que sur X. Le même ton s’y fait entendre. L’un des contributeurs, qui se présente, lui, comme « Thomas qui paie », évoque une « boomerocratie » solidement installée, « où les retraités restent la première classe de consommation, financée par une jeunesse contributrice sans retour ». Frédéric Tristram y voit un basculement « d’un consentement global à l’impôt à une logique plus individualiste, où chacun attend un retour direct sur investissement ».
Un « combat pour la liberté d’expression »
D’après Erwann Tison, « c’est un mouvement de fond que les politiques auraient tort de sous-estimer. Ce sont les prémices d’une révolte ». Pour autant, il explique ne pas y voir « la fin de la solidarité » mais plutôt « un cri de la part de ces actifs : les dépenses publiques de l’État ne doivent pas être portées uniquement par ceux qui travaillent ». Un glissement potentiellement lourd de conséquences politiques, à l’heure où le thème du ras-le-bol fiscal réapparaît dans les discours de personnalités publiques, jusque dans l’Hémicycle. L’Élysée s’inquiète également de la diffusion croissante des idées libertariennes sur les réseaux sociaux. Des notes auraient été commandées à des cabinets spécialisés afin d’analyser l’influence de plusieurs comptes dont les prises de position critiques vis-à-vis de l’État séduisent un public de plus en plus large.
Ce mouvement exprime une frustration légitime, mais il est parfois capté par des idéologies plus dures
Le succès de « NicolasQuiPaie » tient aussi à un « combat pour la liberté d’expression ». Sur X, ses défenseurs ont massivement salué l’arrivée d’Elon Musk, perçu comme plus permissif, et s’inquiètent de toute « censure » des critiques contre l’immigration, l’impôt ou l’État. Mais cette dynamique n’est pas sans zones d’ombre. Le compte relaie aussi des personnalités, comme le président argentin Javier Milei, figure libertarienne radicale. « Ce mouvement exprime une frustration légitime, mais il est parfois capté par des idéologies plus dures », souligne un autre membre du Discord, qui se définit comme « républicain critique ». « Ce que nous dénonçons, c’est la non-responsabilité. Pas la solidarité. » Le débat existe donc, mais tous sont unis par la même impression : il est temps pour « Nicolas » de serrer les cordons de sa bourse.