"Néonicotinoïde, mégabassines, élevage intensif... Les mesures clés de la proposition de loi Duplomb, controversée mais définitivement adoptée
Le texte, pensé pour soutenir les agriculteurs et qui fait l'objet de nombreuses critiques pour ses reculs environnementaux, a été approuvé une dernière fois par l'Assemblée nationale, mardi.
Le texte aura, jusqu'au bout, suscité des débats enflammés. La proposition de loi destinée à "lever les contraintes" des agriculteurs, portée par le sénateur Laurent Duplomb, a été définitivement adoptée, mardi 8 juillet, après un vote favorable de l'Assemblée nationale sur ce texte présenté comme l'une des réponses à la colère du secteur. Dans le détail(Nouvelle fenêtre), 316 députés ont voté pour, 223 contre et 25 se sont abstenus. Le premier syndicat agricole, la FNSEA, l'a jugé "vital", tandis que la Confédération paysanne, classée à gauche, a mis en garde contre des mesures "mortifères" pour le vivant et la santé. L'association Greenpeace a, elle, dénoncé un "texte toxique pour la santé publique et l'environnement", France nature environnement lui emboitant le pas : "C'est un retour en arrière idéologique de la France sur ses ambitions écologiques." Voici les principales mesures d'une proposition de loi aux conséquences très concrètes.
Le retour de l'acétamipride, un néonicotinoïde
C'est la mesure la plus décriée du texte. La loi Duplomb prévoit la réintroduction encadrée et à titre dérogatoire de l'acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit depuis 2018, mais autorisé en Europe jusqu'en 2033. Elle était réclamée par la FNSEA et la Coordination rurale, notamment pour les producteurs de betteraves sucrières, qui affirment n'avoir aucune solution alternative pour protéger leurs cultures. Les planteurs redoutent la concurrence d'importations de sucre produit à l'étranger grâce à des pesticides interdits en France.
"Tueur d'abeilles", interdit en France mais autorisé en Europe, effets incertains sur la santé… On vous présente l'acétamipride, insecticide au cœur de la mobilisation des agriculteurs
Le texte issu de la commission mixte paritaire, qui s'est entendue sur une version de compromis entre l'Assemblée et le Sénat avant le dernier vote des députés, prévoit cette réintroduction "pour faire face à une menace grave compromettant la production agricole", sans limite dans le temps, mais avec une clause de revoyure "à l'issue d'une période de trois ans, puis chaque année" pour vérifier que les critères d'autorisation sont toujours remplis. Les députés se sont aussi prononcés pour une interdiction temporaire, à la main du gouvernement, de planter des végétaux qui attirent les pollinisateurs après l'emploi de l'acétamipride.
Les néonicotinoïdes sont en effet très toxiques pour les abeilles, et le retour d'un produit de cette famille est décrié par les défenseurs de la nature, les apiculteurs, la Confédération paysanne, mais aussi des régies publiques de l'eau et des scientifiques. "C'est un retour en arrière qui nie complètement les connaissances scientifiques. Cette loi fait le choix d'intérêts économiques d'une poignée d'exploitants souvent tournés vers l'export, plutôt que de la santé publique", s'inquiète Laure Piolle, animatrice du réseau agriculture et alimentation au sein de l'ONG France nature environnement (FNE). De son côté, Francelyne Marano, de la Ligue contre le cancer, rappelle à franceinfo qu'une étude expérimentale publiée en 2022 "a montré que cette molécule pouvait provoquer le cancer du sein chez la souris". Elle estime que "le principe de précaution n'est pas pris en compte dans le cadre de cette loi, c'est une évidence".
De quoi faciliter l'installation d'ouvrages de stockage d’eau
Le texte initial de la proposition de loi visait à faciliter le stockage de l'eau pour l'irrigation des cultures, dans un contexte de raréfaction liée au réchauffement climatique. Si tous les agriculteurs sont d'accord pour dire qu'il n'y a pas d'agriculture possible sans eau, ils sont divisés sur les réserves, leur taille et leurs usages.
L'article 5 du texte prévoit finalement une présomption d'"intérêt général majeur" pour les projets d'ouvrages de stockage (souvent appelés bassines, ou mégabassines selon leur taille), dans les zones dans lesquelles le manque d'eau est "pérenne" et compromet "le potentiel de production agricole". Une mesure adoptée dans l'intention d'alléger les procédures d'autorisation de ces constructions. "C'est une facilitation pour ne pas prendre en compte la biodiversité dans l'installation des mégabassines, qui ont pourtant un impact majeur", interprète Laure Piolle de FNE, qui dénonce un "accaparement de l'eau, ce bien commun". "Les pluies estivales seront réduites de 10% en 2050 : adaptons les cultures et les filières, développons des variétés plus sobres", préfère conseiller l'écologue Marc-André Sélosse sur LinkedIn(Nouvelle fenêtre).
De nouvelles règles pour l'examen des pesticides par l'agence de sécurité sanitaire
Le texte prévoyait initialement la possibilité pour le gouvernement d'imposer des "priorités" dans les travaux de l'Anses, mandatée depuis 2015 pour évaluer la dangerosité des pesticides, mais aussi autoriser leur mise sur le marché. Mais élus de gauche comme scientifiques avaient dénoncé une atteinte à l'indépendance de l'agence sanitaire.
Les parlementaires ont trouvé un compromis en évacuant largement les dispositions les plus irritantes du texte final. Ce dernier précise toutefois, dans son article 2, que l'agence, lorsqu'elle examine la mise sur le marché et l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, devra tenir compte "des circonstances agronomiques, phytosanitaires et environnementales, y compris climatiques, qui prévalent sur le territoire national".
Des caméras individuelles pour l'OFB
Au plus fort de la crise agricole en 2024, l'Office français de la biodiversité (OFB) est devenu la cible de certains syndicats, conduisant à la dégradation d'établissements, à des insultes et intimidations envers des agents. Pour "apaiser les relations" entre l'OFB et les agriculteurs, explique le site officiel Vie publique(Nouvelle fenêtre), l'article 6 de la proposition de loi Duplomb précise que les agents de cet office chargé de la police de l'environnement seront désormais équipés de "caméras individuelles". Ils "peuvent procéder en tous lieux", notamment lors des contrôles sur les exploitations, "à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit, ou est susceptible de se produire, un incident", peut-on lire dans le texte.
Des mesures pour faciliter l'agrandissement ou la création de bâtiments d'élevage intensif
L'article 3 de la proposition de loi prévoit plusieurs mesures pour faciliter l'agrandissement ou la création de bâtiments d'élevage intensif. Il permet notamment, lors d'une enquête publique, de remplacer la réunion publique par une permanence en mairie. Il revient par ailleurs sur les seuils à partir desquels les élevages sont considérés comme des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), qui doivent alors être enregistrés ou encore obtenir une autorisation pour les plus grands cheptels. Un poulailler ne devra demander une autorisation qu'à partir de 85 000 poulets contre 40 000 jusqu'alors, et 3 000 cochons au lieu de 2 000 pour une porcherie, par exemple. Cette mesure ne s'appliquera que fin 2026, quand les fédérations réclamaient une application immédiate.
Le gouvernement envisage aussi de créer dans les prochains mois un régime d'autorisation environnementale spécifique aux élevages, et les sortir ainsi du régime ICPE. "Ils n'auraient plus à suivre le principe de non-régression du droit de l'environnement. Pourquoi leur faire ce cadeau ?, questionne Laure Piolle, de FNE. Ça laisse place à de nouvelles facilitations pour leur installation, sans passer par le Parlement. C'est très inquiétant pour la suite." Elle rappelle aussi que "la France vient d'être condamnée dans le dossier des algues vertes, qui est uniquement dû à la pollution des fermes-usines de porc en Bretagne."
https://www.franceinfo.fr/economie/cris ... 64565.html