La France insoumise refuse d’accréditer un journaliste du «Monde» pour son université d’été
Posté : 22 août 2025 08:18
Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon estime que le reporter Olivier Pérou, coauteur du livre-enquête «la Meute» avec Charlotte Belaïch de «Libération», n’est pas le bienvenu à ses «Amfis» de rentrée. Une interdiction d’accès qui n’était pratiquée, jusqu’ici, que par l’extrême droite.
«Ne cédez jamais.» La «leçon du président Mitterrand» retenue et clamée devant les délégués socialistes en conclusion de son discours du congrès de Brest en 1997, Jean-Luc Mélenchon l’applique près de trente ans plus tard au journal le Monde. Mais pas sûr qu’en prodiguant ce conseil au jeune sénateur d’alors, l’ancien chef de l’Etat pensait à l’époque qu’il pourrait servir à atteindre un jour… à la liberté de la presse.
Les dirigeants de La France insoumise refusent d’accréditer l’un des journalistes du quotidien chargé du suivi de la gauche à leurs «Amfis» de rentrée, qui se sont ouverts jeudi 21 août à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme). Motif invoqué ? Ce reporter, Olivier Pérou, coauteur du livre-enquête la Meute, enquête sur La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon (Flammarion) avec Charlotte Belaïch de Libération, serait à leurs yeux coupable d’un traitement qu’ils jugent diffamant et de fautes déontologiques. Jusqu’ici, seule l’extrême droite s’était permis de refuser une telle accréditation – pour Libération notamment.
«Aucune formation, quel que soit son bord politique, n’avait jusqu’à présent prononcé une telle mesure d’éviction contre un de nos journalistes à l’occasion d’un événement de ce type», a réagi sur le site du Monde le directeur de la publication, Jérôme Fenoglio, faisant part de sa «plus vive protestation contre cette entrave caractérisée à la liberté de la presse et à l’accès à l’information» et apportant son «soutien à notre journaliste» : «Nous ne transigerons pas sur notre liberté de choisir nos journalistes pour couvrir rubriques ou événements, qui fait partie intégrante de notre indépendance éditoriale.»
Dans une réaction à l’AFP, les dirigeants de LFI répètent avoir été «lourdement diffamés» – sans avoir pourtant jamais déposé la moindre plainte en ce sens – et estiment que ce journaliste «a inventé de fausses informations sur [leur] vie interne ou a exposé publiquement [leurs] enfants et [leurs] familles qui n’ont rien demandé à personne» «Nous refusons de cautionner ce type de pratiques», écrivent-ils, expliquant que «cela n’empêche nullement [au Monde] d’être représenté pour [ses] universités d’été». «La rédaction du Monde est tout à fait la bienvenue pour couvrir cet évènement comme le font plusieurs dizaines de journalistes représentant des médias extrêmement divers», disent-ils, soulignant – sans plaisanter – qu’«un photographe du Monde a d’ailleurs déjà été accrédité et d’autres journalistes peuvent encore en faire la demande».
«Un mépris pour nos droits humains les plus élémentaires»
Si cette décision rarissime et qui touche à la liberté de la presse risque de faire passer au second plan les objectifs de rentrée du mouvement mélenchoniste – appel à la mobilisation le 10 septembre, volonté de censurer François Bayrou… – LFI prépare en réalité cette interdiction depuis plusieurs mois. Le 30 mai, dans un courrier de deux pages envoyé au directeur de la rédaction de Libération, Dov Alfon, et à celle du Monde, Caroline Monnot, les cinq principaux dirigeants du mouvement (Manuel Bompard, Mathilde Panot, Manon Aubry, Clémence Guetté et Jean-Luc Mélenchon) réclamaient d’être suivis par d’autres journalistes que les deux auteurs du livre.
«Pensez-vous que les dirigeants et les militants de notre mouvement peuvent moralement envisager de continuer à collaborer aux commentaires de l’actualité politique avec des personnes qui ont manifesté un tel mépris pour nos droits humains les plus élémentaires et un tel parti pris dans le traitement de notre organisation ? Quel genre de relations nous proposez-vous désormais ? Serons-nous suivis par une autre rubrique de votre journal ?» interrogeaient-ils ainsi après une longue liste de griefs liés à leur enquête. Dans leurs réponses respectives, Caroline Monnot et Dov Alfon ont tous les deux rappelé qu’Olivier Pérou et Charlotte Belaïch continueraient de couvrir l’actualité des partis de gauche, dont LFI, et que ce n’était pas à des dirigeants politiques de choisir leurs correspondants.
Quelques jours avant l’envoi de ces deux missives, rompant avec plusieurs jours de silence consécutifs à la sortie du livre, Jean-Luc Mélenchon avait, de son côté, amorcé la contre-attaque. Dans un meeting à Aubenas (Ardèche), il avait ainsi qualifié les deux reporters de «dégénérés», leur reprochant «d’effacer» ses combats politiques. Puis, devant ses partisans réunis le 27 mai à Paris pour un de ses «moments politiques» qu’il affectionne, il avait jugé «d’une gravité exceptionnelle» le fait que LFI soit – selon lui – «qualifiée de secte» dans l’ouvrage – ce qui n’est jamais écrit par les deux auteurs. «Vous croyez qu’il vous suffira de présenter ces deux marioles à la porte de nos réunions pour qu’on dise «je vous en prie ! Venez écouter, calomnier ?» […] Non», avait-il lancé.
Depuis, concernant Libération, les dirigeants de LFI refusent de répondre à Charlotte Belaïch malgré ses sollicitations pour ses articles et ne veulent pas qu’elle participe à une interview avec un dirigeant de LFI. Par exemple, notre journal avait proposé à Manuel Bompard un entretien croisé avec la secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier, puisque les deux mouvements font leur rentrée ce jeudi 21 août. Réponse du coordinateur national de LFI : «Ce serait surprenant que vous accordiez une interview à des membres d’une formation politique que vous considérez comme une secte. Merci de ne plus me solliciter.» Peu après, Jean-Luc Mélenchon passait consigne dans une boucle interne : «Manu a refusé à juste titre. PERSONNE NE DOIT ACCEPTER […] Nous ne sommes pas de la chair à canons pour poubelle médiatique mais des personnes avec un droit à la dignité et au respect.» Et si Libé a reçu son accréditation pour ces Amfis, c’est parce que notre journal avait prévu – de longue date et avant même la sortie de la Meute – d’envoyer cette année dans la Drôme son autre correspondant sur la gauche, Sacha Nelken.
«En guerre» avec les médias
Si les relations entre Mélenchon et les journalistes – dont Libération – sont une longue histoire de tensions, le tribun n’hésitant pas à invectiver en public certains «plumitifs» chargés de son suivi au quotidien ou pratiquant l’attaque ad hominem sur son blog, il n’avait encore jamais passé le cap d’une telle interdiction. Seuls le Front national puis le Rassemblement national de Jean-Marie puis Marine Le Pen s’étaient permis d’interdire d’accès à ses rassemblements – meetings, congrès, université d’été… – des journalistes de presse d’information générale. Jean-Luc Mélenchon s’était tout de même illustré par un bannissement : celui des équipes de l’émission Quotidien depuis septembre 2019.
«Pour ma part en dix ans d’expérience de cette émission dites de «divertissement», j’ai fait mon expérience. Je ne veux plus que cette émission soit accréditée à mes réunions ni à aucun de mes déplacements. Que la police assume sa surveillance avec ses propres moyens !» écrivait-il sur son blog, reprochant à l’émission de Yann Barthès d’avoir «répété en boucle» les images des perquisitions d’octobre 2018 au siège de sa formation dans le cadre d’une enquête sur le financement de sa campagne de 2017. Selon lui, c’est à cause de cette équipe de tournage – pourtant autorisée à monter ce jour-là par les équipes de l’insoumis – que Mélenchon et quatre autres responsables de LFI s’étaient retrouvés devant le tribunal de Bobigny pour «rébellion» et «provocation» contre les policiers présents.
L’ancien socialiste a été condamné pour cela à trois mois de prison avec sursis et 8 000 euros d’amende. Mais ce bannissement de Quotidien avait surtout un objectif politique : «Attention, le parti médiatique est une composante clé du processus de la guerre judiciaire : il intervient en amont pour déclencher les enquêtes, faire les signalements, harceler l’opinion et les harcèlements et en fin de parcours pour la propagande de mise à mort», écrivait-il dans ce même post de blog. Et quand on est «en guerre» comme l’est Jean-Luc Mélenchon avec les médias, on ne «cède» pas. Leçon retenue.
https://www.liberation.fr/politique/la- ... HZ6GAO4EI/
«Ne cédez jamais.» La «leçon du président Mitterrand» retenue et clamée devant les délégués socialistes en conclusion de son discours du congrès de Brest en 1997, Jean-Luc Mélenchon l’applique près de trente ans plus tard au journal le Monde. Mais pas sûr qu’en prodiguant ce conseil au jeune sénateur d’alors, l’ancien chef de l’Etat pensait à l’époque qu’il pourrait servir à atteindre un jour… à la liberté de la presse.
Les dirigeants de La France insoumise refusent d’accréditer l’un des journalistes du quotidien chargé du suivi de la gauche à leurs «Amfis» de rentrée, qui se sont ouverts jeudi 21 août à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme). Motif invoqué ? Ce reporter, Olivier Pérou, coauteur du livre-enquête la Meute, enquête sur La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon (Flammarion) avec Charlotte Belaïch de Libération, serait à leurs yeux coupable d’un traitement qu’ils jugent diffamant et de fautes déontologiques. Jusqu’ici, seule l’extrême droite s’était permis de refuser une telle accréditation – pour Libération notamment.
«Aucune formation, quel que soit son bord politique, n’avait jusqu’à présent prononcé une telle mesure d’éviction contre un de nos journalistes à l’occasion d’un événement de ce type», a réagi sur le site du Monde le directeur de la publication, Jérôme Fenoglio, faisant part de sa «plus vive protestation contre cette entrave caractérisée à la liberté de la presse et à l’accès à l’information» et apportant son «soutien à notre journaliste» : «Nous ne transigerons pas sur notre liberté de choisir nos journalistes pour couvrir rubriques ou événements, qui fait partie intégrante de notre indépendance éditoriale.»
Dans une réaction à l’AFP, les dirigeants de LFI répètent avoir été «lourdement diffamés» – sans avoir pourtant jamais déposé la moindre plainte en ce sens – et estiment que ce journaliste «a inventé de fausses informations sur [leur] vie interne ou a exposé publiquement [leurs] enfants et [leurs] familles qui n’ont rien demandé à personne» «Nous refusons de cautionner ce type de pratiques», écrivent-ils, expliquant que «cela n’empêche nullement [au Monde] d’être représenté pour [ses] universités d’été». «La rédaction du Monde est tout à fait la bienvenue pour couvrir cet évènement comme le font plusieurs dizaines de journalistes représentant des médias extrêmement divers», disent-ils, soulignant – sans plaisanter – qu’«un photographe du Monde a d’ailleurs déjà été accrédité et d’autres journalistes peuvent encore en faire la demande».
«Un mépris pour nos droits humains les plus élémentaires»
Si cette décision rarissime et qui touche à la liberté de la presse risque de faire passer au second plan les objectifs de rentrée du mouvement mélenchoniste – appel à la mobilisation le 10 septembre, volonté de censurer François Bayrou… – LFI prépare en réalité cette interdiction depuis plusieurs mois. Le 30 mai, dans un courrier de deux pages envoyé au directeur de la rédaction de Libération, Dov Alfon, et à celle du Monde, Caroline Monnot, les cinq principaux dirigeants du mouvement (Manuel Bompard, Mathilde Panot, Manon Aubry, Clémence Guetté et Jean-Luc Mélenchon) réclamaient d’être suivis par d’autres journalistes que les deux auteurs du livre.
«Pensez-vous que les dirigeants et les militants de notre mouvement peuvent moralement envisager de continuer à collaborer aux commentaires de l’actualité politique avec des personnes qui ont manifesté un tel mépris pour nos droits humains les plus élémentaires et un tel parti pris dans le traitement de notre organisation ? Quel genre de relations nous proposez-vous désormais ? Serons-nous suivis par une autre rubrique de votre journal ?» interrogeaient-ils ainsi après une longue liste de griefs liés à leur enquête. Dans leurs réponses respectives, Caroline Monnot et Dov Alfon ont tous les deux rappelé qu’Olivier Pérou et Charlotte Belaïch continueraient de couvrir l’actualité des partis de gauche, dont LFI, et que ce n’était pas à des dirigeants politiques de choisir leurs correspondants.
Quelques jours avant l’envoi de ces deux missives, rompant avec plusieurs jours de silence consécutifs à la sortie du livre, Jean-Luc Mélenchon avait, de son côté, amorcé la contre-attaque. Dans un meeting à Aubenas (Ardèche), il avait ainsi qualifié les deux reporters de «dégénérés», leur reprochant «d’effacer» ses combats politiques. Puis, devant ses partisans réunis le 27 mai à Paris pour un de ses «moments politiques» qu’il affectionne, il avait jugé «d’une gravité exceptionnelle» le fait que LFI soit – selon lui – «qualifiée de secte» dans l’ouvrage – ce qui n’est jamais écrit par les deux auteurs. «Vous croyez qu’il vous suffira de présenter ces deux marioles à la porte de nos réunions pour qu’on dise «je vous en prie ! Venez écouter, calomnier ?» […] Non», avait-il lancé.
Depuis, concernant Libération, les dirigeants de LFI refusent de répondre à Charlotte Belaïch malgré ses sollicitations pour ses articles et ne veulent pas qu’elle participe à une interview avec un dirigeant de LFI. Par exemple, notre journal avait proposé à Manuel Bompard un entretien croisé avec la secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier, puisque les deux mouvements font leur rentrée ce jeudi 21 août. Réponse du coordinateur national de LFI : «Ce serait surprenant que vous accordiez une interview à des membres d’une formation politique que vous considérez comme une secte. Merci de ne plus me solliciter.» Peu après, Jean-Luc Mélenchon passait consigne dans une boucle interne : «Manu a refusé à juste titre. PERSONNE NE DOIT ACCEPTER […] Nous ne sommes pas de la chair à canons pour poubelle médiatique mais des personnes avec un droit à la dignité et au respect.» Et si Libé a reçu son accréditation pour ces Amfis, c’est parce que notre journal avait prévu – de longue date et avant même la sortie de la Meute – d’envoyer cette année dans la Drôme son autre correspondant sur la gauche, Sacha Nelken.
«En guerre» avec les médias
Si les relations entre Mélenchon et les journalistes – dont Libération – sont une longue histoire de tensions, le tribun n’hésitant pas à invectiver en public certains «plumitifs» chargés de son suivi au quotidien ou pratiquant l’attaque ad hominem sur son blog, il n’avait encore jamais passé le cap d’une telle interdiction. Seuls le Front national puis le Rassemblement national de Jean-Marie puis Marine Le Pen s’étaient permis d’interdire d’accès à ses rassemblements – meetings, congrès, université d’été… – des journalistes de presse d’information générale. Jean-Luc Mélenchon s’était tout de même illustré par un bannissement : celui des équipes de l’émission Quotidien depuis septembre 2019.
«Pour ma part en dix ans d’expérience de cette émission dites de «divertissement», j’ai fait mon expérience. Je ne veux plus que cette émission soit accréditée à mes réunions ni à aucun de mes déplacements. Que la police assume sa surveillance avec ses propres moyens !» écrivait-il sur son blog, reprochant à l’émission de Yann Barthès d’avoir «répété en boucle» les images des perquisitions d’octobre 2018 au siège de sa formation dans le cadre d’une enquête sur le financement de sa campagne de 2017. Selon lui, c’est à cause de cette équipe de tournage – pourtant autorisée à monter ce jour-là par les équipes de l’insoumis – que Mélenchon et quatre autres responsables de LFI s’étaient retrouvés devant le tribunal de Bobigny pour «rébellion» et «provocation» contre les policiers présents.
L’ancien socialiste a été condamné pour cela à trois mois de prison avec sursis et 8 000 euros d’amende. Mais ce bannissement de Quotidien avait surtout un objectif politique : «Attention, le parti médiatique est une composante clé du processus de la guerre judiciaire : il intervient en amont pour déclencher les enquêtes, faire les signalements, harceler l’opinion et les harcèlements et en fin de parcours pour la propagande de mise à mort», écrivait-il dans ce même post de blog. Et quand on est «en guerre» comme l’est Jean-Luc Mélenchon avec les médias, on ne «cède» pas. Leçon retenue.
https://www.liberation.fr/politique/la- ... HZ6GAO4EI/