Une nouvelle gauche qui colle à son époque, par Benoît Hamon
Posté : 29 août 2025 19:00
Benoît Président !...
La gauche assiste, passive, à un changement d’ère qu’elle continue à interpréter à tort comme une simple parenthèse autoritaire, xénophobe et obscurantiste. Au lieu de s’inspirer de la gauche sociale pour actualiser ses propositions, fait valoir l’ancien candidat PS à la présidentielle.
Dans une lettre écrite en 1794 lors de son exil en Suisse, Joseph de Maistre (1753-1821) philosophe et magistrat, farouchement contre-révolutionnaire écrit à la marquise de Costa : «Il faut avoir le courage de l’avouer, madame, longtemps nous n’avons point compris la révolution dont nous sommes les témoins, longtemps nous l’avons prise pour un événement. Nous étions dans l’erreur : c’est une époque ; et malheur aux générations qui assistent aux époques du monde !»
Cette citation sert de miroir à Giuliano Da Empoli dans son livre l’Heure des prédateurs pour montrer combien il est malaisé de comprendre l’ampleur des bouleversements et des métamorphoses qui ont lieu sous des yeux aveuglés par la lumière tyrannique de l’instant présent.
La fin programmée du gouvernement Bayrou sur la question de la dette financière est, à cet égard, un moment révélateur : alourdie de 1 000 milliards d’euros depuis 2017, d’une importance indéniable, celle-ci reste bien plus surmontable que la dette écologique que ce même gouvernement et prédécesseurs ont laissé filer aux mépris de conséquences irréversibles pour les générations futures.
Aujourd’hui en particulier, quand nos consciences, engourdies par la saturation d’images et d’informations bombardées par des réseaux sociaux et médias qui cherchent à stériliser notre attention et occuper nos esprits vingt-quatre heures sur vingt-quatre, peinent à distinguer le vrai et le faux.
Des milliers d‘entreprises de l’économie sociale et solidaire prennent en charge l’intérêt général délaissé par l’Etat
Rares sont les politiques qui éclairent l’horizon collectif. Ce sont les scientifiques, indifférents à l’idolâtrie du court terme qui nous intiment de nous réveiller et alertent sur l’intensité et l’irréversibilité des modifications que l’activité économique humaine inflige au climat et à la biodiversité.
Ce sont aussi les militaires qui sans attendre d’exercer un jour leur savoir-faire sur le champ de bataille, préviennent des menaces à venir et s’inquiètent que notre lucidité soit en berne. Ainsi, l’ancien chef d’état-major des armées, le général Burkhard, déclarait en juillet à propos de l’état des menaces contre la France. Il n’y aura «pas de retour en arrière […], ce n’est pas la peine de se dire : “Je vais faire le dos rond et ça reviendra comme avant et je pourrais reprendre mon business.” […]. Il ne faut pas chercher à faire peur, mais il y a un vrai sujet de prise de conscience».
Ce sont aussi des acteurs économiques privés qui réclament du politique qu’il reprenne le gouvernail, le tienne et résiste aux intimidations. Désormais engagé comme acteur de la société civile, je confirme que ce sont des milliers d’organisations et d‘entreprises de l’économie sociale et solidaire qui prennent en charge l’intérêt général délaissé par l’Etat et assurent aux Français l’accès à leurs droits fondamentaux en matière de santé, de grand âge, de mobilité, d‘alimentation, de culture ou de sport.
Quelle époque se dessine sous nos yeux ? Une époque qui est caractérisée par quatre certitudes structurantes :
Le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité sont désormais sans recours. Si l’humanité peut ralentir et atténuer certains effets de la prédation du capitalisme sur les écosystèmes naturels, les économies, les sociétés, les mobilités humaines en seront quoi qu’il en soit, radicalement transformées.
C’est cette certitude qui est délibérément ignorée ou niée par ceux qui veulent perpétuer leur pouvoir en prolongeant l’espérance de vie d’un modèle économique fondé sur l’absurdité d’une croissance infinie dans un monde fini. En France, la loi Duplomb est venue faire écho au «drill, baby, drill» de Donald Trump. Tout cela, nous le savons.
Entre révolution numérique et transition démographique
La révolution numérique est certaine. Elle impacte déjà nos modes de vie au travers de l’irruption de l’intelligence artificielle dans d’innombrables aspects de nos interactions sociales et du fonctionnement de l’économie, du travail, de l’information et du gouvernement des hommes. Pour le meilleur parfois et souvent le pire, car ces choix sont pensés, puis exécutés sans contrôle démocratique ni prise en compte de l’intérêt général.
Hors de contrôle, les cycles d’innovation sont si brefs et intenses qu’ils empêchent la société d’anticiper et de s’adapter aux bouleversements que introduit cette révolution conceptuelle et technologique. Tout cela, nous le savons.
Une transition démographique majeure est en cours. Tandis que l’Occident vieillit au point que la France rejoint désormais ses voisins européens en constatant davantage de décès par an que de naissances, le continent africain voit sa population croître rapidement. Peuplée par 800 millions de personnes en 2000, l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050 et peut-être 4 milliards en 2100 selon les projections des Nations unies.
C’est aussi le continent le plus exposé aux conséquences du dérèglement climatique. Sous le triple effet de la polarisation des inégalités, des transformations du climat et de la croissance démographique, les migrations internes et internationales vont changer d’échelle.
L’enjeu de l’inclusion par les entreprises, les villes, les territoires et les nations des personnes migrantes deviendra la clé de la cohésion et de la performance des organisations et des sociétés au XXIe siècle. Tout cela, nous le savons.
Enfin, l’hégémonie occidentale sur le cours du monde est en voie d’obsolescence. Quand bien même les Etats-Unis font étalage de la force comme le moyen de parvenir à leurs fins géopolitiques et d’enrichir une oligarchie, à court terme, l’Occident n’a plus les moyens de dicter sa conduite au monde, durablement.
Il ne se trouve plus beaucoup de jeunesses à travers le monde pour adhérer sans réserve à sa morale quand celle-ci hiérarchise de manière aussi intolérable ses indignations et le prix qu’elle accorde à la vie humaine entre l’Ukraine d’une part et la Palestine d’autre part.
Les rivaux de l’Occident avancent leurs pions partout. Et Chine en tête, ils ont les moyens de renverser l’ordre établi. L’Europe est à la croisée des chemins. Emancipée, elle peut devenir un acteur central d’un ordre mondial plus coopératif. Vassalisée aux chimères idéologiques américaines, elle se disloquera. Tout cela, nous le savons.
Un monde advient.
A ces certitudes, l’internationale réactionnaire occidentale répond par le déni climatique pour protéger sa richesse et son pouvoir, par l’alliance des oligarchies numériques au service du contrôle des masses, par la xénophobie des politiques antimigratoires qui exaltent des passés nationaux fantasmés, par la violence politique et militaire pour perpétuer une domination mondiale en voie d’extinction.
La catharsis masculiniste, xénophobe et obscurantiste clôt une époque, une autre s’ouvre
J’ai le sentiment que la gauche française et européenne est comme sourde à la raison et assiste, passive, à un changement d’époque qu’elle continue à interpréter comme une simple parenthèse autoritaire. Nous n’assistons pas à un événement qui aura tôt fait de disparaître quand Trump aura achevé son mandat.
La catharsis masculiniste, xénophobe et obscurantiste qui traverse l’Occident clôt une époque et en ouvre une nouvelle dont personne ne sait dire quand et sous quelle forme, pacifiquement, violemment, démocratiquement, brutalement, elle se finira.
Au diapason de ses voisins, la France n’échappe pas à l’offensive réactionnaire et obscurantiste qui fait resurgir chez nous, notamment, le visage d’un catholicisme politique identitaire qui puise sa filiation historique dans l’opposition radicale aux Lumières et dans les persécutions des minorités juives, protestantes et désormais musulmanes.
Partant de cela, je ne vois rien dans la gauche politique qui me rassure. J’ai le sentiment qu’elle renouvelle des ordonnances du XXe siècle quand les pathologies n’obéissent ni aux mêmes causes ni aux mêmes trajectoires.
Que la gauche politique s’inspire de la gauche sociale, dont les actions et le cœur battent au rythme de cette époque qu’elle pressent, accompagne, oriente parfois.
Elle pourra alors mettre sur la table :
Une proposition de coopération de pair à pair avec les nations qui refusent les logiques impériales.
Une refonte des institutions internationales qu’elles soient financières ou diplomatiques.
De nouveaux mécanismes de redistribution des richesses qui réorientent les ressources vers les secteurs où elles sont le plus nécessaires (vieillissement, santé, écologie, inclusion).
Un nouveau contrat entre l’école et la nation pour défier l’offensive obscurantiste contre la science, l’émancipation et les droits fondamentaux.
Une proposition de démocratie approfondie qui s‘appuie sur la démocratie sociale, territoriale et la création d’une véritable citoyenneté économique.
L’instauration progressive d’un revenu universel d’existence qui s’additionne aux salaires, retraites et autres revenus du travail pour redonner de la capacité d’agir et de choix aux travailleuses et travailleurs.
C’est un changement d’époque. C’est une nouvelle gauche qui doit se mettre en ordre de bataille.
https://www.liberation.fr/idees-et-deba ... 5LKRE7P5Q/
La gauche assiste, passive, à un changement d’ère qu’elle continue à interpréter à tort comme une simple parenthèse autoritaire, xénophobe et obscurantiste. Au lieu de s’inspirer de la gauche sociale pour actualiser ses propositions, fait valoir l’ancien candidat PS à la présidentielle.
Dans une lettre écrite en 1794 lors de son exil en Suisse, Joseph de Maistre (1753-1821) philosophe et magistrat, farouchement contre-révolutionnaire écrit à la marquise de Costa : «Il faut avoir le courage de l’avouer, madame, longtemps nous n’avons point compris la révolution dont nous sommes les témoins, longtemps nous l’avons prise pour un événement. Nous étions dans l’erreur : c’est une époque ; et malheur aux générations qui assistent aux époques du monde !»
Cette citation sert de miroir à Giuliano Da Empoli dans son livre l’Heure des prédateurs pour montrer combien il est malaisé de comprendre l’ampleur des bouleversements et des métamorphoses qui ont lieu sous des yeux aveuglés par la lumière tyrannique de l’instant présent.
La fin programmée du gouvernement Bayrou sur la question de la dette financière est, à cet égard, un moment révélateur : alourdie de 1 000 milliards d’euros depuis 2017, d’une importance indéniable, celle-ci reste bien plus surmontable que la dette écologique que ce même gouvernement et prédécesseurs ont laissé filer aux mépris de conséquences irréversibles pour les générations futures.
Aujourd’hui en particulier, quand nos consciences, engourdies par la saturation d’images et d’informations bombardées par des réseaux sociaux et médias qui cherchent à stériliser notre attention et occuper nos esprits vingt-quatre heures sur vingt-quatre, peinent à distinguer le vrai et le faux.
Des milliers d‘entreprises de l’économie sociale et solidaire prennent en charge l’intérêt général délaissé par l’Etat
Rares sont les politiques qui éclairent l’horizon collectif. Ce sont les scientifiques, indifférents à l’idolâtrie du court terme qui nous intiment de nous réveiller et alertent sur l’intensité et l’irréversibilité des modifications que l’activité économique humaine inflige au climat et à la biodiversité.
Ce sont aussi les militaires qui sans attendre d’exercer un jour leur savoir-faire sur le champ de bataille, préviennent des menaces à venir et s’inquiètent que notre lucidité soit en berne. Ainsi, l’ancien chef d’état-major des armées, le général Burkhard, déclarait en juillet à propos de l’état des menaces contre la France. Il n’y aura «pas de retour en arrière […], ce n’est pas la peine de se dire : “Je vais faire le dos rond et ça reviendra comme avant et je pourrais reprendre mon business.” […]. Il ne faut pas chercher à faire peur, mais il y a un vrai sujet de prise de conscience».
Ce sont aussi des acteurs économiques privés qui réclament du politique qu’il reprenne le gouvernail, le tienne et résiste aux intimidations. Désormais engagé comme acteur de la société civile, je confirme que ce sont des milliers d’organisations et d‘entreprises de l’économie sociale et solidaire qui prennent en charge l’intérêt général délaissé par l’Etat et assurent aux Français l’accès à leurs droits fondamentaux en matière de santé, de grand âge, de mobilité, d‘alimentation, de culture ou de sport.
Quelle époque se dessine sous nos yeux ? Une époque qui est caractérisée par quatre certitudes structurantes :
Le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité sont désormais sans recours. Si l’humanité peut ralentir et atténuer certains effets de la prédation du capitalisme sur les écosystèmes naturels, les économies, les sociétés, les mobilités humaines en seront quoi qu’il en soit, radicalement transformées.
C’est cette certitude qui est délibérément ignorée ou niée par ceux qui veulent perpétuer leur pouvoir en prolongeant l’espérance de vie d’un modèle économique fondé sur l’absurdité d’une croissance infinie dans un monde fini. En France, la loi Duplomb est venue faire écho au «drill, baby, drill» de Donald Trump. Tout cela, nous le savons.
Entre révolution numérique et transition démographique
La révolution numérique est certaine. Elle impacte déjà nos modes de vie au travers de l’irruption de l’intelligence artificielle dans d’innombrables aspects de nos interactions sociales et du fonctionnement de l’économie, du travail, de l’information et du gouvernement des hommes. Pour le meilleur parfois et souvent le pire, car ces choix sont pensés, puis exécutés sans contrôle démocratique ni prise en compte de l’intérêt général.
Hors de contrôle, les cycles d’innovation sont si brefs et intenses qu’ils empêchent la société d’anticiper et de s’adapter aux bouleversements que introduit cette révolution conceptuelle et technologique. Tout cela, nous le savons.
Une transition démographique majeure est en cours. Tandis que l’Occident vieillit au point que la France rejoint désormais ses voisins européens en constatant davantage de décès par an que de naissances, le continent africain voit sa population croître rapidement. Peuplée par 800 millions de personnes en 2000, l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050 et peut-être 4 milliards en 2100 selon les projections des Nations unies.
C’est aussi le continent le plus exposé aux conséquences du dérèglement climatique. Sous le triple effet de la polarisation des inégalités, des transformations du climat et de la croissance démographique, les migrations internes et internationales vont changer d’échelle.
L’enjeu de l’inclusion par les entreprises, les villes, les territoires et les nations des personnes migrantes deviendra la clé de la cohésion et de la performance des organisations et des sociétés au XXIe siècle. Tout cela, nous le savons.
Enfin, l’hégémonie occidentale sur le cours du monde est en voie d’obsolescence. Quand bien même les Etats-Unis font étalage de la force comme le moyen de parvenir à leurs fins géopolitiques et d’enrichir une oligarchie, à court terme, l’Occident n’a plus les moyens de dicter sa conduite au monde, durablement.
Il ne se trouve plus beaucoup de jeunesses à travers le monde pour adhérer sans réserve à sa morale quand celle-ci hiérarchise de manière aussi intolérable ses indignations et le prix qu’elle accorde à la vie humaine entre l’Ukraine d’une part et la Palestine d’autre part.
Les rivaux de l’Occident avancent leurs pions partout. Et Chine en tête, ils ont les moyens de renverser l’ordre établi. L’Europe est à la croisée des chemins. Emancipée, elle peut devenir un acteur central d’un ordre mondial plus coopératif. Vassalisée aux chimères idéologiques américaines, elle se disloquera. Tout cela, nous le savons.
Un monde advient.
A ces certitudes, l’internationale réactionnaire occidentale répond par le déni climatique pour protéger sa richesse et son pouvoir, par l’alliance des oligarchies numériques au service du contrôle des masses, par la xénophobie des politiques antimigratoires qui exaltent des passés nationaux fantasmés, par la violence politique et militaire pour perpétuer une domination mondiale en voie d’extinction.
La catharsis masculiniste, xénophobe et obscurantiste clôt une époque, une autre s’ouvre
J’ai le sentiment que la gauche française et européenne est comme sourde à la raison et assiste, passive, à un changement d’époque qu’elle continue à interpréter comme une simple parenthèse autoritaire. Nous n’assistons pas à un événement qui aura tôt fait de disparaître quand Trump aura achevé son mandat.
La catharsis masculiniste, xénophobe et obscurantiste qui traverse l’Occident clôt une époque et en ouvre une nouvelle dont personne ne sait dire quand et sous quelle forme, pacifiquement, violemment, démocratiquement, brutalement, elle se finira.
Au diapason de ses voisins, la France n’échappe pas à l’offensive réactionnaire et obscurantiste qui fait resurgir chez nous, notamment, le visage d’un catholicisme politique identitaire qui puise sa filiation historique dans l’opposition radicale aux Lumières et dans les persécutions des minorités juives, protestantes et désormais musulmanes.
Partant de cela, je ne vois rien dans la gauche politique qui me rassure. J’ai le sentiment qu’elle renouvelle des ordonnances du XXe siècle quand les pathologies n’obéissent ni aux mêmes causes ni aux mêmes trajectoires.
Que la gauche politique s’inspire de la gauche sociale, dont les actions et le cœur battent au rythme de cette époque qu’elle pressent, accompagne, oriente parfois.
Elle pourra alors mettre sur la table :
Une proposition de coopération de pair à pair avec les nations qui refusent les logiques impériales.
Une refonte des institutions internationales qu’elles soient financières ou diplomatiques.
De nouveaux mécanismes de redistribution des richesses qui réorientent les ressources vers les secteurs où elles sont le plus nécessaires (vieillissement, santé, écologie, inclusion).
Un nouveau contrat entre l’école et la nation pour défier l’offensive obscurantiste contre la science, l’émancipation et les droits fondamentaux.
Une proposition de démocratie approfondie qui s‘appuie sur la démocratie sociale, territoriale et la création d’une véritable citoyenneté économique.
L’instauration progressive d’un revenu universel d’existence qui s’additionne aux salaires, retraites et autres revenus du travail pour redonner de la capacité d’agir et de choix aux travailleuses et travailleurs.
C’est un changement d’époque. C’est une nouvelle gauche qui doit se mettre en ordre de bataille.
https://www.liberation.fr/idees-et-deba ... 5LKRE7P5Q/