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Malgré le placement temporaire en garde à vue d’«une personne d’intérêt», laissée libre après quelques heures d’interrogatoire, les forces de l’ordre ont annoncé mercredi soir que l’assassin de Kirk courait toujours et faisait l’objet d’une intense traque. Rien de ce qui n’a filtré de l’enquête dans les médias locaux ne permet encore d’esquisser un profil du suspect recherché, en dépit de flambées de rumeurs d’arrestations parcourant les réseaux depuis des heures, ainsi qu’une annonce triomphale mais vite infirmée, d’abord émise par le patron du FBI, Kash Patel – figure parmi les plus controversées de la trumposphère et élevée depuis janvier à la direction de la police fédérale.

«Un martyr de la vérité»
Dans une déclaration enregistrée depuis le Bureau ovale et postée sur les réseaux sociaux dans la soirée mercredi, Donald Trump s’est dit «empli de chagrin et de colère face à cet assassinat odieux» : «Charlie a inspiré des millions de personnes, a ensuite évoqué le Président, et ce soir, tous ceux qui l’ont connu et aimé sont unis dans le choc et l’horreur. Charlie était un patriote qui a consacré sa vie à la cause du débat ouvert et au pays qu’il aimait tant, les Etats-Unis d’Amérique. […] C’est un martyr de la vérité et de la liberté, et il n’y a jamais eu personne d’aussi respecté par la jeunesse.»

A 31 ans, Kirk était le père de deux jeunes enfants. Devenu proche à la fois du fils aîné du président, Donald Jr, qui le présentait comme l’une «des vraies rock stars du mouvement Maga», et de l’actuel vice-président, JD Vance, il avait joué un rôle clé dans le choix de ce dernier comme colistier de Trump il y a un an. Il jouissait aussi d’un accès rare au Bureau ovale et à l’oreille de ce Président qui lui reconnaissait fréquemment en public d’avoir joué un rôle majeur dans sa campagne victorieuse de l’an dernier. Trump lui doit en particulier sa percée notable parmi les néoélecteurs de la génération Z, Kirk ayant su faire prospérer ses idées réacs en les faisant résonner avec les frustrations des jeunes hommes et les rancœurs d’une génération Covid. Alors qu’il avait pu rechigner à avoir cet égard à la Maison Blanche au lendemain du décès de figures historiques comme John Lewis ou John McCain, Trump a aussitôt proclamé que les drapeaux, à travers la nation, devaient demeurer en berne jusqu’à dimanche soir, en marque de deuil de l’un de ses plus précieux alliés.

Et après avoir loué un talent unique pour «amener les jeunes dans le processus politique, ce qu’il faisait mieux que quiconque», Trump aura vite embrayé pour fustiger «la violence et le meurtre» comme «la conséquence tragique de diaboliser ceux avec qui vous n’êtes pas d’accord jour après jour, année après année, de la manière la plus haineuse et méprisable possible», désignant, malgré l’absence de lien établi à ce jour avec le drame, «la gauche radicale [qui] a comparé de merveilleux Américains comme Charlie aux nazis et aux pires meurtriers de masse et criminels du monde». Les appels attendus à tempérer les passions violentes, privilégier la mesure et la tempérance du dialogue, ou enfin réconcilier la nation à la lueur de l’effroi éprouvé par à peu près tous, tout cela pourra bien repasser.

«Nous allons venger la mort de Charlie»
A croire Trump, «ce type de rhétorique», attribuée à ses opposants idéologiques et leurs soutiens, «est directement responsable du terrorisme que nous voyons dans notre pays aujourd’hui – cela doit cesser immédiatement». Et le président américain d’esquisser dès lors un sombre horizon de représailles punitives : «Mon administration trouvera chacun de ceux qui ont contribué à cette atrocité et à d’autres violences politiques, y compris les organisations qui la financent et la soutiennent, ainsi que ceux qui s’en prennent à nos juges, aux forces de l’ordre, et à tous les autres qui apportent l’ordre dans notre pays.»

Insistant encore sur une «violence politique de la gauche radicale [qui] a blessé trop de personnes innocentes et pris trop de vies», Trump a fatalement fait le lien avec les deux tentatives d’attenter à ses jours auxquelles il a lui-même réchappé l’an dernier. Mais aussi «le meurtre vicieux d’un dirigeant d’entreprise de santé dans les rues de New York [Brian Thompson, ndlr], et la fusillade contre le leader [républicain] de la majorité à la Chambre, Steve Scalise» en 2017. Tout en oubliant hélas les élus ciblés dans le Minnesota par l’un de ses fanatiques en juin, l’incendie criminel en avril de la demeure du gouverneur démocrate de Pennsylvanie ou encore l’attaque au marteau en 2022 du mari de l’une de ses rivales historiques, Nancy Pelosi, par un déséquilibré baignant dans les sphères complotistes d’extrême droite – au micro de son podcast, Charlie Kirk avait alors encouragé tout «patriote» à avoir l’héroïsme de payer la caution de l’agresseur.

La nouvelle a suscité des condamnations unanimes de «la violence politique», aussi bien dans les rangs républicains que démocrates, où se sont exprimés l’ancien président Barack Obama, Joe Biden, Kamala Harris ou encore Gavin Newsom, l’ambitieux gouverneur de Californie, qui avait été critiqué il y a quelques mois pour avoir lancé son nouveau podcast par un dialogue à bâtons rompus avec Kirk. Mais une foule de voix à droite se sont aussi empressées de devancer les récriminations trumpiennes contre le camp d’en face, de l’élue de Caroline du Sud Nancy Mace accusant «les démocrates» d’être «responsables de ce qui s’est passé aujourd’hui» à la rhétorique martiale d’un présentateur vedette de Fox News, Jesse Watters : «Que nous le voulions ou non, ils sont en guerre contre nous. Et qu’allons-nous faire pour y remédier ? […] Nous allons venger la mort de Charlie.» Quant à Elon Musk, dont le réseau X aura très fortement amplifié la diffusion des images les plus choquantes de l’assassinat captées depuis l’assistance, il avait d’emblée statué dans un post que «la gauche est le parti du meurtre».

La plus puissante machine de mobilisation de la jeunesse
Né dans la banlieue aisée de Chicago, Kirk incarnait cette nouvelle génération d’influenceurs politiques qui ont su transformer l’activisme conservateur en empire médiatique. A 18 ans, il avait relégué ses projets d’études au profit de l’ambition de devenir l’un des relais les plus influents du trumpisme naissant, inspiré par son idole et modèle obsessionnel, Rush Limbaugh, voix incontournable du conservatisme radiophonique. Lorsqu’il fonda Turning Point USA (TPUSA) en 2012, le jeune homme au verbe facile n’imaginait sans doute pas que son organisation deviendrait en une décennie la plus puissante machine de mobilisation de la jeunesse conservatrice américaine, brassant 90 millions de dollars annuels et revendiquant 650 000 «missionnaires» au service de l’ultranationalisme chrétien.

Il avait fait de la provocation, l’air de rien, un fonds de commerce, et des campus universitaires son terrain de chasse privilégié. Avec une maîtrise instinctive des codes numériques que ses aînés peinaient à acquérir, il orchestrait méthodiquement ces joutes oratoires dont les extraits soigneusement montés alimentaient ensuite TikTok pour générer des dizaines de millions de vues. Cette stratégie d’immersion et de confrontation, là où les états-majors conservateurs tenaient l’électorat jeune pour une cause perdue, lui avait permis de s’imposer comme le prêcheur et passeur privilégié de la contre-révolution réactionnaire auprès d’une génération élevée aux réseaux sociaux.

Charlie Kirk s’était hissé au-dessus de la concurrence de ses semblables par cette capacité singulière à emballer l’extrême détermination idéologique, et la profondeur de sa misogynie, son racisme, son homophobie jamais déguisée, dans une forme de rondeur tiède de VRP. Lors de la vaste kermesse estivale de TPUSA à laquelle on avait assisté en Floride il y a deux mois seulement, on l’avait vu vanter avec aisance les vertus de l’abstinence prénuptiale, conspuer l’IVG ou prêcher la préférence nationale devant quelque 7 500 admirateurs et soldats issus de la génération Z. Il savait toujours emballer son propos dans le ton du bon sens, avec cette «aura pétillante» et toujours joyeuse, jusqu’en maniant les idées les plus sombres et toxiques, qui faisaient dire à ses jeunes admirateurs croisés là-bas qu’il était «assez modéré» et savait toujours leur parler. Et son podcast, suivi par plus d’un million d’auditeurs quotidiens, était ainsi devenu le laboratoire d’une très opérante synthèse de radicalité politique et de familiarité générationnelle.

«Mon travail consiste à arrêter une révolution»
Le mois dernier, il livrait à un média local de l’Utah cette profession de foi vantant l’alternative «positive» qu’il entendait opposer aux progressismes : «Mon travail quotidien consiste à essayer activement d’arrêter une révolution. C’est là qu’il faut les orienter vers des objectifs ultimes : revenir à l’Eglise, retrouver la foi, se marier et avoir des enfants. C’est le type de conservatisme que je représente, et j’essaie de dépeindre une vertu qui consiste à élever les gens, et pas seulement à rester en colère.»

Devenu richissime, Kirk avait su muer sa popularité juvénile en capital politique de premier plan. Reçu «plus de cent fois», selon lui, à la Maison Blanche sous le premier mandat Trump, largement consulté pour la composition de l’actuelle administration, il accompagnait Don Jr lors de sa récente équipée d’apprenti conquistador au Groenland et incarnait une nouvelle garde d’idéologues et communicants surdoués ayant su se rendre indispensables au clan présidentiel. Doté à 31 ans d’un réseau sans pareil à droite, et d’une force de frappe enviée, qui lui permettaient de faire défiler toutes les vedettes de la magasphère à son micro ou sur les scènes des raouts TPUSA, il se présentait comme l’architecte du «plus grand réalignement générationnel depuis Woodstock» et ambitionnait de faire survivre le moment trumpien à Trump lui-même.

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