C’est quoi ces statistiques trompeuses sur les viols en Europe, qui placent la France largement en tête ?
Posté : 20 septembre 2025 15:18
L'essentiel
- Selon des publications sur les réseaux sociaux, la France serait le pays européen dans lequel il y a le plus de viols, et de loin. « 590 en Pologne, 2.870 en Espagne, 5.000 en Italie et… 38.094 en France », peut-on lire.
- En réalité ces chiffres des « viols signalés » proviennent de bases de données différentes, dont les critères de sélections sont eux-mêmes différents. Bref, rien de fiable à un tel classement.
- Ces publications ont été largement récupérées par des comptes anti-immigration qui ont affirmé que « plus il y a d’immigrés dans un pays, plus il y a de viols ». Un raisonnement totalement absurde et infondé.
«La France est le pays le plus dangereux pour les femmes en Europe ! » Sur les réseaux sociaux, des internautes affirment que la France est le pays qui compte le plus de « viols signalés » sur le continent.
Et les chiffres avancés parlent d’eux-mêmes : 590 en Pologne, 2.831 au Danemark, 2.870 en Espagne, 4.600 en Belgique, 5.000 en Italie et… 38.094 en France. Qu’est ce qui est considéré comme « viols signalés » ? Sur combien de temps ont été récoltées ces données ? Aucune des publications ne le détaille…
Comme il fallait s’y attendre, le message a massivement été récupéré par des comptes anti-immigration. Certains allants même jusqu’à partager ces données avec une affiche indiquant « l’immigration tue la jeunesse française ». Comment en est-on arrivé à faire un lien entre l’immigration et ces données ? Aucune publication ne le détaille non plus.
FAKE OFF
D’où viennent donc ces chiffres ? Certains sont introuvables, tandis que d’autres proviennent de différentes bases de données. C’est le site European Institute for Gender Equality (EIGE) qui recense environ 590 cas de viols signalés pour la Pologne : « En 2022, 585 femmes victimes de viol ont été recensées par la police », est-il écrit. Aucune donnée n’est toutefois disponible sur la méthode de comptage utilisée. Mais le site Statista indique, lui, 1.127 pour l’année suivante.
Ensuite pour ce qui est de la Belgique, on bascule sur une nouvelle plateforme statistique. Les données sont collectées par la police elle-même, et le site des Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles du pays avance : « En 2021, la police a enregistré plus de 4.000 cas de viol. »
Du côté du Danemark le site EIGE avance entre 2.400 et 2.500 viols enregistrés en 2022. Pour l’Espagne, selon le EIGE, la police a enregistré 2.384 femmes victimes de viol, mais selon le ministère de l’Intérieur espagnol, il y en a eu 2.870. Pour la France, les estimations, toujours du EIGE, sont de 29.048 femmes victimes de viol en 2021. Bref vous l’aurez compris, les chiffres sont nombreux et il est donc difficile de s’y fier.
Des critères et une sensibilisation qui diffèrent
En réalité, la comparaison des chiffres des viols entre les pays n’est pas pertinente. Surtout de cette manière puisque la taille de la population n’est pas la même dans chaque pays. Ensuite, chacune des bases de données qui servent aux sites de statistiques est constituée et communiquée par les polices des différents pays. Mais tous n’utilisent pas les mêmes catégories. Certains incluent « viols et violences sexuelles », tandis que d’autres classent les viols à part.
Aussi, certains pays comptabilisent les dossiers ouverts, tandis que d’autres comptabilisent les victimes individuelles, ou encore tous les actes rapportés à la police. De nombreux facteurs qui expliquent des écarts importants.
Et le taux de plaintes, ou ne serait-ce que de signalements, varie grandement entre un pays et un autre. En France, ce nombre plus important de « viols recensés », soit signalés à la police dans les définitions des sites statistiques, s’explique par une sensibilisation aux violences sexuelles qui peuvent être plus importantes que dans d’autres pays. Ce qui peut permettre à davantage de femmes d’oser se rendre au commissariat.
En 2021, en France hexagonale, les femmes âgées de 18 à 74 ans ont été victimes d’au moins 210.000 viols ou tentatives de viols, selon les chiffres du gouvernement. Soit un viol ou une tentative de viol toutes les 2 minutes 30, comme le rapporte Nous Toutes, le collectif féministe qui fait référence en France en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Mais en réalité, ces chiffres restent seulement ceux des viols rapportés, qui sont bien loin de refléter le nombre réel d’actes commis. Comme le détaille une enquête de l’Ipsos, moins d’une victime sur dix dépose plainte dans le cas d’un viol ou d’une agression sexuelle en France.
Immigration et violences sexuelles ? Aucun lien
Mais alors quel lien entre les chiffres erronés des publications sur les réseaux sociaux et l’immigration ? Aucun. Tous les messages qui concernent la sécurité en France sont souvent largement repris par des comptes anti-immigration, et plus largement par l’extrême droite. Qu’il s’agisse aussi bien des cas d’agressions sexuelles, ou bien des vols, des cambriolages, des dégradations publiques… Un raccourci qui vient servir un discours raciste de plus en plus présent sur les réseaux sociaux.
Et sans se renseigner davantage, certains peuvent tomber dans le panneau. Alors que dans les faits, il n’existe vraiment aucun lien entre l’immigration et le nombre de viols dans un pays. Aucune statistique existante ne permet d’affirmer que les personnes qui ont immigré en France seraient plus souvent coupables de viols que les personnes nées en France. Déjà parce qu’on constate que les pays avec le moins d’immigration ne sont pas ceux avec le moins de viols, si l’on suit le raisonnement de ces internautes.
Et surtout, parce que le mythe selon lequel les violences sexuelles arrivent généralement dans l’espace public et par un agresseur inconnu est faux. Selon les chiffres de Nous Toutes, dans 91 % des cas de violences sexuelles, les femmes connaissent les agresseurs : parents, conjoints, amis, famille proche.
https://www.20minutes.fr/societe/417322 ... newsletter