Torturé, privé d’avocat, un Français est détenu en Arabie Saoudite depuis plus de quinze mois dans le plus grand silence
Posté : 27 septembre 2025 19:37
Arrêté à La Mecque après une simple altercation avec un policier, un ingénieur chercheur est incarcéré à Dahaban, prison tristement célèbre pour ses prisonniers politiques, depuis juin 2024 et risque vingt-cinq ans de prison devant un tribunal antiterroriste. Face à une situation qui s’enlise, sa compagne a décidé de médiatiser l’affaire.
Après plus d’un an de vaines démarches, notamment auprès des autorités françaises, elle a décidé de témoigner, faisant fi des conseils qui lui ont été donnés depuis des mois de ne pas médiatiser l’affaire : «de toute manière, ça ne peut pas être pire que maintenant», dit-elle. Sonia (1), 37 ans, raconte à CheckNews le calvaire d’Amine (1), son époux, détenu depuis quinze mois en Arabie Saoudite, pour un simple outrage à agent, affirme-t-elle.
Selon le récit de cette ingénieure, le couple, en visite à Djeddah en juin 2024, décide de profiter de son séjour en Arabie Saoudite pour se rendre à La Mecque. La saison du pèlerinage bat son plein. Entrés dans le royaume avec un visa touristique, ils savent qu’un visa spécial pour se rendre dans la ville sainte est nécessaire. Un intermédiaire saoudien, recommandé par des proches, leur assure qu’il peut leur obtenir une autorisation contre rémunération. Il leur fait faux bond et ne leur remettra jamais le précieux sésame, explique Sonia : «On a été arnaqués.»
Le couple tente tout de même de se rendre à la Grande Mosquée de La Mecque. Mais, le 16 juin, au contrôle d’accès, les autorités découvrent qu’ils n’ont pas le visa nécessaire. Le ton monte : «Vous n’allez pas envoyer un musulman innocent en prison», aurait lancé le mari, ingénieur chercheur franco-égyptien. Amine, 39 ans, est arrêté par la police. Mise à l’écart, Sonia pense que l’affaire va vite être réglée et qu’ils écoperont tout au plus d’une amende. Espérant qu’il soit rapidement libéré du commissariat, la femme suit, impuissante, la géolocalisation du téléphone de son mari, qui finit par se figer, le 17 juin, sur la prison de Dahaban. Situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Djeddah, ce centre pénitentiaire est réputé comme étant le lieu où sont détenus les prisonniers d’opinions ou accusés de terrorisme. Le blogueur Raïf Badawi, les militantes féministes Samar Badawi et Loujain al-Hathloul y ont été détenus, soumis à la torture et privés de défense en application de la loi antiterroriste.
«Ecrire cette lettre est le dernier espoir qui me reste»
Craignant le pire, Sonia appelle le numéro d’urgence du consulat de Djeddah et prend contact avec le ministère des Affaires étrangères. Pourquoi cette altercation avec un policier pour une histoire de visa a-t-elle conduit son mari dans ce centre pénitentiaire ? Impossible dans l’immédiat de le savoir, personne ne peut parler à Amine, privé de sa famille mais aussi d’avocat.
Depuis ce 16 juin 2024, la compagne multiplie les appels à l’aide. Du consulat aux plus hauts sommets de l’Etat, cette mère de trois enfants, âgés de 3 à 7 ans, a tout tenté pour faire libérer son mari. «Ecrire cette lettre est le dernier espoir qui me reste pour sortir de la situation dans laquelle je me trouve», écrivait-elle à Emmanuel Macron le 8 juillet 2024. Dans une autre lettre, le 30 septembre, elle détaille au Président le premier appel qu’elle a pu avoir avec son mari, le 7 septembre – après près de trois mois de détention. «La communication étant surveillée, il n’avait pas le droit de parler de son procès, mais il a pu quand même relater ses conditions de détention : 14 personnes dans sa cellule, une hygiène déplorable et une alimentation déficiente», qui a entraîné une forte perte de poids. Ces conditions de détention ont également été décrites à CheckNews par un compagnon de cellule égyptien, poursuivi pour des messages sur les réseaux sociaux et désormais libre.
Dans une dizaine d’autres courriers, adressés au Président, à sa femme Brigitte Macron et à d’autres conseillers éminents de l’Elysée, Sonia raconte sa détresse, le déclin de la santé physique et mentale de son mari, «victime de violences physiques répétées», et toujours le manque d’accès à une défense, ce qui «bafoue son droit à un procès équitable».
Sa situation est «bien connue des services consulaires français», lui répond l’Elysée. Plusieurs conseillers du Président lui ont adressé des courriers pour lui signaler que le cas était géré par le Quai d’Orsay, compétent sur ce dossier. Sonia, restée seule avec les enfants à Antony (Hauts-de-Seine), a toqué à toutes les portes de la diplomatie française : consulat à Djeddah, ambassade de France à Riyad, ministère des Affaires étrangères à Paris, courriers à Isabelle Rome, l’ambassadrice pour les droits de l’homme, mails à la direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire jusqu’à ce que le bureau des détenus devienne son interlocuteur privilégié.
Des visites consulaires jugées inefficaces
Contacté par CheckNews, le ministère des Affaires étrangères n’a pas souhaité apporter de commentaire «sur un cas individuel». Une source diplomatique nous confirme que sa situation est suivie «avec attention» et qu’il «bénéficie de la protection consulaire au titre de la convention de Vienne de 1963, comme tous les ressortissants français qui en font la demande.»
Selon l’épouse du détenu, Amine a bénéficié au total de quatre visites consulaires en quinze mois de détention. La première remonte au 29 juillet 2024, six semaines après son arrestation. Les suivantes ont lieu le 17 octobre 2024, le 3 février 2025 et le 19 juin 2025. «Ces quatre visites ne m’ont rien rapporté», déplore Sonia. Elle accuse même le consulat d’avoir parfois omis de lui transmettre certaines informations essentielles. «Lors de la deuxième et de la quatrième visite, le consul a trouvé des traces de violence physique sur mon mari. Il a trouvé des traces de sang. Il a vu que ses mains étaient attachées pendant plus de 24 heures, avec des marques profondes sur la peau», raconte-t-elle. Pourtant, rien de cela ne lui a été communiqué. «On m’appelait seulement pour me dire : “Votre mari a le moral.” Mais moi, je l’avais chaque semaine au téléphone et je voyais bien son état. Ce n’était pas le cas.» Elle explique avoir découvert ces violences bien plus tard, lors d’une conversation téléphonique avec son mari : «Il m’a demandé : “Est-ce que le consul t’a dit ce qu’il a vu sur moi ?” Je lui ai répondu que non. C’est là qu’il m’a raconté que le consul avait constaté les traces de coups.» Pour l’épouse, cette rétention d’information ne doit rien au hasard : «J’ai senti qu’ils faisaient exprès de ne pas me le dire, pour me tenir calme, pour ne pas médiatiser.»
Un procès pour éloge du terrorisme sans avocat
Pendant des mois, sa famille ignore la nature exacte des charges retenues contre lui. Sonia indique avoir sollicité dès le début de la détention d’Amine un avocat saoudien, mais ce dernier n’a jamais pu obtenir la procuration du détenu, ni accéder au dossier. Ce n’est que le 26 mai 2025, près d’un an après son arrestation, que le mari comparaît pour la première fois devant un tribunal antiterroriste, sans défense. Lors d’un appel téléphonique, il indique à son épouse la liste des cinq chefs d’accusations retenus contre lui : «propos supposément insultants envers le gouvernement saoudien et un chef d’Etat étranger» ; «entrée non autorisée à La Mecque» ; «non-respect des règles de sécurité dans l’enceinte de la Grande Mosquée» ; «non-dénonciation d’un présumé complice» ; et des «déclarations perçues comme élogieuses à l’égard de personnes poursuivies pour terrorisme». Interrogée à propos de ce dernier chef d’accusation, l’épouse du détenu dit n’avoir aucune idée – pas plus que son mari – des faits qui pourrait le justifier. Auprès de CheckNews, l’ancien codétenu de l’ingénieur français affirme que l’accusation d’éloge du terrorisme est régulièrement invoquée par les autorités saoudiennes. Lors des huit mois passés en détention avec Amine, ce dernier lui a toujours livré le même récit, affirmant avoir seulement déclaré à un policier que c’était «une injustice d’emprisonner des gens bien dans les prisons saoudiennes».
Selon Sonia, le procureur a invoqué la loi antiterroriste, requis vingt-cinq années d’emprisonnement, ainsi, après la peine exécutée, qu’une expulsion définitive assortie d’une interdiction de retour.
A la suite de cet énoncé, l’épouse assure avoir transmis ces informations au Quai d’Orsay, qu’elle implore d’agir pour libérer urgemment son mari. «Maintenant que l’affaire est entrée dans une phase judiciaire, une intervention diplomatique peut être immédiatement considérée comme une ingérence indue et peut avoir un effet contreproductif sur le dossier judiciaire», lui répond Isabelle Rome, l’ambassadrice aux droits de l’homme. L’ancienne ministre d’Elisabeth Borne lui déconseille aussi de médiatiser l’affaire pour éviter de «nuire au bon déroulement judiciaire». Un conseil partagé par Patrick Maisonnave, l’ambassadeur de France en Arabie Saoudite, qui estime que «dans son intérêt, il ne me paraît pas souhaitable, à ce stade, de porter cette affaire devant les médias».
Suivra une deuxième audience, le 27 juillet, toujours sans avocat. Dans des courriers envoyés à l’Elysée et au Quai d’Orsay, le 30 juillet, Sonia rapporte que, selon le récit de son mari, «lors de la deuxième audience, le juge lui a demandé de présenter sa défense. Il a alors indiqué qu’il n’avait à aucun moment bénéficié de l’assistance d’un avocat et qu’il ne pouvait donc pas assurer sa défense. Le juge lui a répondu que, dans ce cas, il serait considéré comme ayant reconnu les accusations portées contre lui, et qu’il serait sanctionné en conséquence.» Profondément inquiète, elle reçoit des réponses de conseillers de l’Elysée, accusant réception de ses craintes.
Une troisième audience devait se dérouler le 7 septembre dernier. Auprès de CheckNews, Sonia assure ne pas savoir ce qu’il s’y est dit. Depuis plusieurs semaines, elle est sans nouvelle de son mari, qu’elle a eu au téléphone la dernière fois le 5 août 2025.
Des marges de manœuvre réduites
Dans cette bataille pour obtenir le retour de son mari en France, l’ingénieure estime que la diplomatie française ne fait pas assez d’effort, pour éviter de se fâcher avec l’Arabie Saoudite. Elle considère que la protection consulaire n’est pas suffisamment appliquée et exige auprès du Quai d’Orsay que des agents consulaires français puissent assister aux audiences à huis clos du tribunal antiterroriste. Interrogé sur ce prétendu refus, le bureau des prisonniers du ministère des Affaires étrangères n’a pas souhaité commenter.
Pour Sébastien Touzé, professeur de droit international à Paris-Panthéon-Assas, la France pourrait aller plus loin dans l’accompagnement de ce ressortissant, même si les marges de manœuvre sont réduites. L’expert rappelle que les autorités consulaires ont «le droit mais aussi le devoir d’assister la personne à chaque étape de la procédure», comme l’illustre l’affaire Florence Cassez au Mexique, où des diplomates avaient assisté à de nombreuses audiences. Mais il souligne que la protection consulaire reste limitée. Elle vise surtout à garantir «une assistance minimale : visites consulaires, suivi de sa situation, communication avec la famille», sans se substituer à l’avocat. En Arabie Saoudite, ajoute-t-il, «la question est d’autant plus sensible car les autorités du royaume acceptent rarement que des agents consulaires assistent directement aux audiences, considérant cette présence comme une ingérence dans la procédure interne. Dans la pratique, la marge de manœuvre du consulat est donc très réduite.»
Une demande de grâce remise par une députée et par le président de l’Union des mosquées de France
Coincée, Sonia a tenté de passer par d’autres chemins. Ainsi, le 30 septembre 2024, la députée (La France insoumise) Mathilde Panot s’enquiert de son malheur dans un courrier adressé au ministre Jean-Noël Barrot. Sollicitée, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale indique avoir relancé le ministre «en décembre 2024, mais je n’ai obtenu aucune réponse ni même un accusé de réception. Nous avions aussi alerté le conseiller du président de la République à l’occasion de son déplacement en Arabie Saoudite, là aussi sans réponse.»
Sonia se tourne aussi vers la députée des Français de l’étranger Amélia Lakrafi, issue des rangs de Renaissance, et alors présidente du groupe d’amitié France-Arabie Saoudite. En novembre 2024, Me Andujar, l’avocat du couple, l’alerte sur la situation de son client. Auprès de CheckNews, elle dit avoir «personnellement évoqué le cas» du détenu avec le consul général à Djeddah. Surtout, en février 2025, elle a «échangé avec des autorités saoudiennes et transmis, à la demande de son avocat, la demande de grâce royale qu’il m’avait prié de faire remonter au plus haut sommet de l’Etat».
Rédigée par Sonia, en français et en arabe, fin janvier 2025, cette requête, que CheckNews a pu consulter, implore «la clémence et la compassion» du roi Salmane ben Abdelaziz al Saoud, roi du royaume d’Arabie Saoudite, pour que son époux «puisse bénéficier de [sa] grâce et revenir auprès de sa famille et de ses enfants qui ont tant besoin de lui». Elle a également été remise à Fahad al Ruwaily, l’ambassadeur saoudien en France, par l’intermédiaire de Mohammed Moussaoui, ancien professeur de mathématiques de l’épouse, connu en France pour son rôle à la tête de l’Union des mosquées de France et à la coprésidence du Conseil Français du Culte Musulman.
Soutiens d’ONG
Pour tenter de faire libérer son mari, l’épouse a également sollicité Olof Skoog, le représentant spécial de l’UE pour les droits de l’homme. Le Conseil de l’Union européenne lui a répondu que le cas n’était pas de leur ressort. Elle a également mandaté le Comité de Justice (CFJ), une association pour les droits de l’homme basée à Genève. Dans un courrier du 7 avril 2025, le CFJ signale le cas du Franco-Egyptien au Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU et lui demande «d’intervenir pour inciter le gouvernement saoudien à prendre les mesures nécessaires afin de libérer immédiatement» l’homme prisonnier depuis juin 2024.
ALQST, une ONG de défense des droits humains en Arabie Saoudite, basée à Londres, a également pris position. Dans un communiqué du 25 septembre 2025, elle a demandé aux autorités saoudiennes «d’abandonner toutes les accusations» portées contre ce citoyen français, «torturé et privé du droit à un procès équitable».
La médiatisation, un ultime recours
Pendant quinze mois, Sonia s’est tue, suivant les conseils des diplomates français, qui lui déconseillaient toute médiatisation. Mais l’absence d’avancée, et les témoignages de son mari l’ont poussée à changer de stratégie. «Il m’a dit qu’on l’avait frappé, traîné au sol, menotté à outrance. Il est privé de soins, privé d’avocat. Si je ne parle pas, rien ne changera», explique-t-elle aujourd’hui.
Contactés par CheckNews, les ministères saoudiens de la Justice et des Affaires étrangères n’ont pas répondu à nos sollicitations.
(1) Les prénoms ont été modifiés, à la demande de l’épouse du détenu, pour protéger la famille et ses trois enfants.
https://www.liberation.fr/checknews/tor ... MUW3BPXTY/
Après plus d’un an de vaines démarches, notamment auprès des autorités françaises, elle a décidé de témoigner, faisant fi des conseils qui lui ont été donnés depuis des mois de ne pas médiatiser l’affaire : «de toute manière, ça ne peut pas être pire que maintenant», dit-elle. Sonia (1), 37 ans, raconte à CheckNews le calvaire d’Amine (1), son époux, détenu depuis quinze mois en Arabie Saoudite, pour un simple outrage à agent, affirme-t-elle.
Selon le récit de cette ingénieure, le couple, en visite à Djeddah en juin 2024, décide de profiter de son séjour en Arabie Saoudite pour se rendre à La Mecque. La saison du pèlerinage bat son plein. Entrés dans le royaume avec un visa touristique, ils savent qu’un visa spécial pour se rendre dans la ville sainte est nécessaire. Un intermédiaire saoudien, recommandé par des proches, leur assure qu’il peut leur obtenir une autorisation contre rémunération. Il leur fait faux bond et ne leur remettra jamais le précieux sésame, explique Sonia : «On a été arnaqués.»
Le couple tente tout de même de se rendre à la Grande Mosquée de La Mecque. Mais, le 16 juin, au contrôle d’accès, les autorités découvrent qu’ils n’ont pas le visa nécessaire. Le ton monte : «Vous n’allez pas envoyer un musulman innocent en prison», aurait lancé le mari, ingénieur chercheur franco-égyptien. Amine, 39 ans, est arrêté par la police. Mise à l’écart, Sonia pense que l’affaire va vite être réglée et qu’ils écoperont tout au plus d’une amende. Espérant qu’il soit rapidement libéré du commissariat, la femme suit, impuissante, la géolocalisation du téléphone de son mari, qui finit par se figer, le 17 juin, sur la prison de Dahaban. Situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Djeddah, ce centre pénitentiaire est réputé comme étant le lieu où sont détenus les prisonniers d’opinions ou accusés de terrorisme. Le blogueur Raïf Badawi, les militantes féministes Samar Badawi et Loujain al-Hathloul y ont été détenus, soumis à la torture et privés de défense en application de la loi antiterroriste.
«Ecrire cette lettre est le dernier espoir qui me reste»
Craignant le pire, Sonia appelle le numéro d’urgence du consulat de Djeddah et prend contact avec le ministère des Affaires étrangères. Pourquoi cette altercation avec un policier pour une histoire de visa a-t-elle conduit son mari dans ce centre pénitentiaire ? Impossible dans l’immédiat de le savoir, personne ne peut parler à Amine, privé de sa famille mais aussi d’avocat.
Depuis ce 16 juin 2024, la compagne multiplie les appels à l’aide. Du consulat aux plus hauts sommets de l’Etat, cette mère de trois enfants, âgés de 3 à 7 ans, a tout tenté pour faire libérer son mari. «Ecrire cette lettre est le dernier espoir qui me reste pour sortir de la situation dans laquelle je me trouve», écrivait-elle à Emmanuel Macron le 8 juillet 2024. Dans une autre lettre, le 30 septembre, elle détaille au Président le premier appel qu’elle a pu avoir avec son mari, le 7 septembre – après près de trois mois de détention. «La communication étant surveillée, il n’avait pas le droit de parler de son procès, mais il a pu quand même relater ses conditions de détention : 14 personnes dans sa cellule, une hygiène déplorable et une alimentation déficiente», qui a entraîné une forte perte de poids. Ces conditions de détention ont également été décrites à CheckNews par un compagnon de cellule égyptien, poursuivi pour des messages sur les réseaux sociaux et désormais libre.
Dans une dizaine d’autres courriers, adressés au Président, à sa femme Brigitte Macron et à d’autres conseillers éminents de l’Elysée, Sonia raconte sa détresse, le déclin de la santé physique et mentale de son mari, «victime de violences physiques répétées», et toujours le manque d’accès à une défense, ce qui «bafoue son droit à un procès équitable».
Sa situation est «bien connue des services consulaires français», lui répond l’Elysée. Plusieurs conseillers du Président lui ont adressé des courriers pour lui signaler que le cas était géré par le Quai d’Orsay, compétent sur ce dossier. Sonia, restée seule avec les enfants à Antony (Hauts-de-Seine), a toqué à toutes les portes de la diplomatie française : consulat à Djeddah, ambassade de France à Riyad, ministère des Affaires étrangères à Paris, courriers à Isabelle Rome, l’ambassadrice pour les droits de l’homme, mails à la direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire jusqu’à ce que le bureau des détenus devienne son interlocuteur privilégié.
Des visites consulaires jugées inefficaces
Contacté par CheckNews, le ministère des Affaires étrangères n’a pas souhaité apporter de commentaire «sur un cas individuel». Une source diplomatique nous confirme que sa situation est suivie «avec attention» et qu’il «bénéficie de la protection consulaire au titre de la convention de Vienne de 1963, comme tous les ressortissants français qui en font la demande.»
Selon l’épouse du détenu, Amine a bénéficié au total de quatre visites consulaires en quinze mois de détention. La première remonte au 29 juillet 2024, six semaines après son arrestation. Les suivantes ont lieu le 17 octobre 2024, le 3 février 2025 et le 19 juin 2025. «Ces quatre visites ne m’ont rien rapporté», déplore Sonia. Elle accuse même le consulat d’avoir parfois omis de lui transmettre certaines informations essentielles. «Lors de la deuxième et de la quatrième visite, le consul a trouvé des traces de violence physique sur mon mari. Il a trouvé des traces de sang. Il a vu que ses mains étaient attachées pendant plus de 24 heures, avec des marques profondes sur la peau», raconte-t-elle. Pourtant, rien de cela ne lui a été communiqué. «On m’appelait seulement pour me dire : “Votre mari a le moral.” Mais moi, je l’avais chaque semaine au téléphone et je voyais bien son état. Ce n’était pas le cas.» Elle explique avoir découvert ces violences bien plus tard, lors d’une conversation téléphonique avec son mari : «Il m’a demandé : “Est-ce que le consul t’a dit ce qu’il a vu sur moi ?” Je lui ai répondu que non. C’est là qu’il m’a raconté que le consul avait constaté les traces de coups.» Pour l’épouse, cette rétention d’information ne doit rien au hasard : «J’ai senti qu’ils faisaient exprès de ne pas me le dire, pour me tenir calme, pour ne pas médiatiser.»
Un procès pour éloge du terrorisme sans avocat
Pendant des mois, sa famille ignore la nature exacte des charges retenues contre lui. Sonia indique avoir sollicité dès le début de la détention d’Amine un avocat saoudien, mais ce dernier n’a jamais pu obtenir la procuration du détenu, ni accéder au dossier. Ce n’est que le 26 mai 2025, près d’un an après son arrestation, que le mari comparaît pour la première fois devant un tribunal antiterroriste, sans défense. Lors d’un appel téléphonique, il indique à son épouse la liste des cinq chefs d’accusations retenus contre lui : «propos supposément insultants envers le gouvernement saoudien et un chef d’Etat étranger» ; «entrée non autorisée à La Mecque» ; «non-respect des règles de sécurité dans l’enceinte de la Grande Mosquée» ; «non-dénonciation d’un présumé complice» ; et des «déclarations perçues comme élogieuses à l’égard de personnes poursuivies pour terrorisme». Interrogée à propos de ce dernier chef d’accusation, l’épouse du détenu dit n’avoir aucune idée – pas plus que son mari – des faits qui pourrait le justifier. Auprès de CheckNews, l’ancien codétenu de l’ingénieur français affirme que l’accusation d’éloge du terrorisme est régulièrement invoquée par les autorités saoudiennes. Lors des huit mois passés en détention avec Amine, ce dernier lui a toujours livré le même récit, affirmant avoir seulement déclaré à un policier que c’était «une injustice d’emprisonner des gens bien dans les prisons saoudiennes».
Selon Sonia, le procureur a invoqué la loi antiterroriste, requis vingt-cinq années d’emprisonnement, ainsi, après la peine exécutée, qu’une expulsion définitive assortie d’une interdiction de retour.
A la suite de cet énoncé, l’épouse assure avoir transmis ces informations au Quai d’Orsay, qu’elle implore d’agir pour libérer urgemment son mari. «Maintenant que l’affaire est entrée dans une phase judiciaire, une intervention diplomatique peut être immédiatement considérée comme une ingérence indue et peut avoir un effet contreproductif sur le dossier judiciaire», lui répond Isabelle Rome, l’ambassadrice aux droits de l’homme. L’ancienne ministre d’Elisabeth Borne lui déconseille aussi de médiatiser l’affaire pour éviter de «nuire au bon déroulement judiciaire». Un conseil partagé par Patrick Maisonnave, l’ambassadeur de France en Arabie Saoudite, qui estime que «dans son intérêt, il ne me paraît pas souhaitable, à ce stade, de porter cette affaire devant les médias».
Suivra une deuxième audience, le 27 juillet, toujours sans avocat. Dans des courriers envoyés à l’Elysée et au Quai d’Orsay, le 30 juillet, Sonia rapporte que, selon le récit de son mari, «lors de la deuxième audience, le juge lui a demandé de présenter sa défense. Il a alors indiqué qu’il n’avait à aucun moment bénéficié de l’assistance d’un avocat et qu’il ne pouvait donc pas assurer sa défense. Le juge lui a répondu que, dans ce cas, il serait considéré comme ayant reconnu les accusations portées contre lui, et qu’il serait sanctionné en conséquence.» Profondément inquiète, elle reçoit des réponses de conseillers de l’Elysée, accusant réception de ses craintes.
Une troisième audience devait se dérouler le 7 septembre dernier. Auprès de CheckNews, Sonia assure ne pas savoir ce qu’il s’y est dit. Depuis plusieurs semaines, elle est sans nouvelle de son mari, qu’elle a eu au téléphone la dernière fois le 5 août 2025.
Des marges de manœuvre réduites
Dans cette bataille pour obtenir le retour de son mari en France, l’ingénieure estime que la diplomatie française ne fait pas assez d’effort, pour éviter de se fâcher avec l’Arabie Saoudite. Elle considère que la protection consulaire n’est pas suffisamment appliquée et exige auprès du Quai d’Orsay que des agents consulaires français puissent assister aux audiences à huis clos du tribunal antiterroriste. Interrogé sur ce prétendu refus, le bureau des prisonniers du ministère des Affaires étrangères n’a pas souhaité commenter.
Pour Sébastien Touzé, professeur de droit international à Paris-Panthéon-Assas, la France pourrait aller plus loin dans l’accompagnement de ce ressortissant, même si les marges de manœuvre sont réduites. L’expert rappelle que les autorités consulaires ont «le droit mais aussi le devoir d’assister la personne à chaque étape de la procédure», comme l’illustre l’affaire Florence Cassez au Mexique, où des diplomates avaient assisté à de nombreuses audiences. Mais il souligne que la protection consulaire reste limitée. Elle vise surtout à garantir «une assistance minimale : visites consulaires, suivi de sa situation, communication avec la famille», sans se substituer à l’avocat. En Arabie Saoudite, ajoute-t-il, «la question est d’autant plus sensible car les autorités du royaume acceptent rarement que des agents consulaires assistent directement aux audiences, considérant cette présence comme une ingérence dans la procédure interne. Dans la pratique, la marge de manœuvre du consulat est donc très réduite.»
Une demande de grâce remise par une députée et par le président de l’Union des mosquées de France
Coincée, Sonia a tenté de passer par d’autres chemins. Ainsi, le 30 septembre 2024, la députée (La France insoumise) Mathilde Panot s’enquiert de son malheur dans un courrier adressé au ministre Jean-Noël Barrot. Sollicitée, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale indique avoir relancé le ministre «en décembre 2024, mais je n’ai obtenu aucune réponse ni même un accusé de réception. Nous avions aussi alerté le conseiller du président de la République à l’occasion de son déplacement en Arabie Saoudite, là aussi sans réponse.»
Sonia se tourne aussi vers la députée des Français de l’étranger Amélia Lakrafi, issue des rangs de Renaissance, et alors présidente du groupe d’amitié France-Arabie Saoudite. En novembre 2024, Me Andujar, l’avocat du couple, l’alerte sur la situation de son client. Auprès de CheckNews, elle dit avoir «personnellement évoqué le cas» du détenu avec le consul général à Djeddah. Surtout, en février 2025, elle a «échangé avec des autorités saoudiennes et transmis, à la demande de son avocat, la demande de grâce royale qu’il m’avait prié de faire remonter au plus haut sommet de l’Etat».
Rédigée par Sonia, en français et en arabe, fin janvier 2025, cette requête, que CheckNews a pu consulter, implore «la clémence et la compassion» du roi Salmane ben Abdelaziz al Saoud, roi du royaume d’Arabie Saoudite, pour que son époux «puisse bénéficier de [sa] grâce et revenir auprès de sa famille et de ses enfants qui ont tant besoin de lui». Elle a également été remise à Fahad al Ruwaily, l’ambassadeur saoudien en France, par l’intermédiaire de Mohammed Moussaoui, ancien professeur de mathématiques de l’épouse, connu en France pour son rôle à la tête de l’Union des mosquées de France et à la coprésidence du Conseil Français du Culte Musulman.
Soutiens d’ONG
Pour tenter de faire libérer son mari, l’épouse a également sollicité Olof Skoog, le représentant spécial de l’UE pour les droits de l’homme. Le Conseil de l’Union européenne lui a répondu que le cas n’était pas de leur ressort. Elle a également mandaté le Comité de Justice (CFJ), une association pour les droits de l’homme basée à Genève. Dans un courrier du 7 avril 2025, le CFJ signale le cas du Franco-Egyptien au Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU et lui demande «d’intervenir pour inciter le gouvernement saoudien à prendre les mesures nécessaires afin de libérer immédiatement» l’homme prisonnier depuis juin 2024.
ALQST, une ONG de défense des droits humains en Arabie Saoudite, basée à Londres, a également pris position. Dans un communiqué du 25 septembre 2025, elle a demandé aux autorités saoudiennes «d’abandonner toutes les accusations» portées contre ce citoyen français, «torturé et privé du droit à un procès équitable».
La médiatisation, un ultime recours
Pendant quinze mois, Sonia s’est tue, suivant les conseils des diplomates français, qui lui déconseillaient toute médiatisation. Mais l’absence d’avancée, et les témoignages de son mari l’ont poussée à changer de stratégie. «Il m’a dit qu’on l’avait frappé, traîné au sol, menotté à outrance. Il est privé de soins, privé d’avocat. Si je ne parle pas, rien ne changera», explique-t-elle aujourd’hui.
Contactés par CheckNews, les ministères saoudiens de la Justice et des Affaires étrangères n’ont pas répondu à nos sollicitations.
(1) Les prénoms ont été modifiés, à la demande de l’épouse du détenu, pour protéger la famille et ses trois enfants.
https://www.liberation.fr/checknews/tor ... MUW3BPXTY/