Des avantages abusifs accordés à certains syndicats
En théorie, les chambres d'agriculture, établissements publics placés sous la tutelle de l'Etat, doivent dispenser leurs aides et conseils de manière neutre, en étant au service de tous les agriculteurs. Mais certaines pratiques interrogent la Cour des comptes. Comme cette subvention de 66 000 euros attribuée plusieurs années de suite par la chambre d'agriculture de Vendée, dominée par le syndicat FDSEA (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles)... à la FDSEA pour des missions jugées "peu explicites".
Autre exemple qui pose question : ces 55 000 euros fléchés vers les Jeunes agriculteurs en 2020 en Ile-de-France. Attention aux avantages abusifs, prévient la Cour. "L'attribution irrégulière de subventions doit disparaître des pratiques du réseau et la tutelle doit y veiller", peut-on lire dans le document. "Aujourd'hui, les établissements publics voient leurs financements baisser, insiste un membre de la Cour des comptes, les chambres, elles, voient leurs ressources légèrement augmenter alors même que le nombre d'agriculteurs est en baisse. Elles doivent d'autant plus justifier l'utilisation de cet argent". Sur les 800 millions d'euros de budget annuel des chambres, près de 600 millions proviennent d'impôts et de subventions.
Un État qui ne contrôle pas assez
Si la Cour cible les chambres d'agriculture, le rôle de la tutelle, ministères et préfectures, est également à plusieurs reprises mentionné. Trop de légèreté, trop de distance. Les chambres semblent, à la lecture de ce rapport, comme souvent livrées à elles-mêmes, les dérapages n'étant que trop rarement sanctionnés.
Exemple, en Lot et Garonne, où la chambre d'agriculture, dirigée par la Coordination rurale depuis 2001, assume une politique hors des clous (construction illégale d'une retenue d'eau, refus d'audit...(Nouvelle fenêtre)), tout en touchant de l'argent public pour assurer son fonctionnement. "En refusant de se conformer aux règles de droit à plusieurs reprises et sur de nombreux points, elle ne respecte pas ses obligations d'établissement public", écrivait déjà la Cour dans un rapport centré sur cette chambre d'agriculture en 2024(Nouvelle fenêtre). Or, durant de nombreuses années, la préfecture n'a pas réagi à la hauteur de ce qui était nécessaire, estime la Cour. "Ils commencent seulement, depuis deux ans, à se réveiller", analyse une source, sous couvert d'anonymat. Le préfet du Lot-et-Garonne n'a cependant pas "jugé utile de répondre à la Cour, pour justifier" son manque d'intervention sur certains points, précise le rapport.
La tête de réseau, Chambre d'agriculture France, est aussi pointée du doigt. Si elle s'estime parfois démunie face à des chambres qui ne répondent pas à ses demandes d'audits et qui affichent par endroits une "volonté claire de sécession", comme nous l'a confié un de ses membres, elle a aussi depuis peu un pouvoir de sanctions qu'elle doit maintenant faire appliquer, estime la Cour des comptes.
Des chambres d'agriculture qui s'opposent parfois aux politiques publiques
Face à ce manque de tutelle, les politiques publiques ne sont pas toujours portées et respectées par les chambres d'agriculture. "Elles ne sont pas assez le moteur qu'elles devraient être", selon un membre de la Cour. Les chambres d'agriculture sont notamment chargées de l'"accompagnement de la transition agroécologique".
Mais dans les faits, elles se montrent fréquemment "hostiles" à une baisse de l'utilisation des produits phytosanitaires, en s'inspirant directement "des éléments de langage" de certains syndicats agricoles. Même si certains progrès ont tout de même été constatés localement, les résultats en la matière sont globalement "réduits pour des ambitions limitées", constate la Cour des comptes.
La nécessité d'un code de conduite pour les salariés
La chambre financière rappelle qu'au fil des années, elle a pointé bien des décisions illégales dans ses rapports, mais souvent sans effets. Aucune dissolution de chambre depuis 2017 et très peu d'annulations de décisions. "Il faut combattre les irrégularités plus fermement", dit la Cour qui cite également à plusieurs reprises les chambres d'agriculture de Corse.
Pour l'avenir, la Cour des comptes préconise un certain nombre de mesures dont la mise en place d'un "code de conduite" pour les salariés qui les aiderait à mieux savoir comment se comporter face aux invitations et aux cadeaux. Quant aux élus définitivement jugés et condamnés, peuvent-ils rester en poste ou doivent-ils démissionner ? "Il faut sur certains points reprendre la base parce que le risque de dérives est réel", estime encore un membre de la Cour des comptes auprès de la cellule investigation de Radio France.