RN : au Parlement européen, la fronde des ultra-marinistes contre les «constructifs»
Posté : 10 octobre 2025 14:34
Fait rarissime : une dizaine d’élus frontistes à Bruxelles ont refusé de suivre la consigne de vote, nouveau symptôme d’une fracture entre les tenants d’un souverainisme strict et d’autres désireux de peser dans le jeu parlementaire.
Quand le chat n’est pas là, les souris dansent. Et le chat n’est pas souvent dans les couloirs du Parlement européen, ces derniers temps, trop occupé à préparer la sortie de son prochain livre ou à se choisir une circonscription imperdable en cas de dissolution. En l’absence de Jordan Bardella, donc, mardi à la plénière de Strasbourg, une partie de la pourtant très disciplinée délégation française du Rassemblement national s’est sentie autorisée à mener une véritable fronde…
L’objet était un texte facilitant la suppression du droit de voyager sans visa vers l’Union européenne pour des pays présentant des risques pour la sécurité ou les droits humains (ce qui permet de restreindre la libre circulation des personnes, une mélodie douce aux oreilles de l’extrême droite). La consigne de vote était claire : pour. Sauf que, selon les informations de Libé, pas moins de neuf eurodéputés ont refusé de prendre part au scrutin. Mais ils ont bien participé aux suivants, qui ont eu lieu presque immédiatement après. «Les votes se suivent très vite, il n’y a pas le temps de sortir de la salle entre deux, c’était bien fait exprès», confirme une source frontiste.
«Terrorrisés»
D’autant que les réfractaires ne sont pas exactement des poids plumes. On trouve parmi eux Thierry Mariani, André Rougé, très proche de Le Pen, Mathilde Androuët et Julien Sanchez, deux fidèles de Bardella ainsi que Pascale Piera, ancienne magistrate, nouvelle élue et… adversaire impénitente de Fabrice Leggeri, l’ancien patron de Frontex, qui a rejoint Bardella en 2024 en imaginant que ce dernier ambitionnait de changer l’UE de l’intérieur. Las, en réunion de délégation, lundi après-midi, Leggeri et Piera, mais aussi plusieurs autres eurodéputés, se sont opposés sur le texte. Selon la première, le texte accorde un nouveau pouvoir à la Commission européenne, unique objet du ressentiment lepéniste, en donnant à celle-ci le pouvoir de rétablir ou non des visas de circulation avec des pays tiers.
«Une mauvaise lecture idéologique d’un texte qui renforcerait la protection des frontières, s’agace un collaborateur favorable à Leggeri. Aujourd’hui, on a un instrument de punition des pays tiers qui ne fonctionne pas pour des raisons largement techniques. Leggeri a proposé de le faire fonctionner tout en durcissant les conditions. Il essaie de tenir la boutique en crédibilisant le RN mais la moitié des députés sont terrorisés et veulent donner des gages de marinisme en votant contre une meilleure sécurité pour les Français.» L’arbitrage final, rendu mardi, vingt minutes avant le vote, en l’absence de Bardella, donne raison à l’ancien haut fonctionnaire… et suscite donc la grogne d’une petite dizaine de rétifs.
Piera contre Leggeri ?
Ce qui n’est pas du goût du président du RN, qui, depuis Paris, se fend de plusieurs textos, le soir, faisant part aux intéressés de son regret de leur absence de discipline. Si aucune sanction n’est prévue à ce stade, la fracture grandit au sein de la délégation frontiste, entre les gardiens de l’orthodoxie souverainiste et les partisans d’une approche plus constructive, favorable à une meilleure intégration européenne si celle-ci permet de mieux contraindre les flux humains.
Un débat, dont Libé s’était fait l’écho, avait déjà parcouru les membres du groupe sur la directive «retour». Il avait été tranché par un simple tweet de Marine Le Pen, qui avait surpris son monde la semaine dernière – et Leggeri le premier, désavoué publiquement alors qu’il s’efforçait depuis près d’un an de négocier avec les partenaires et alliés du RN à Bruxelles. C’est lui, cette fois, qui l’a emporté mardi dernier sur les visas. Contre Piera, donc ? Un membre de la délégation souhaite nuancer l’opposition entre les deux : «En vérité, ce n’est pas Piera contre Leggeri, c’est souvent Leggeri qui se retrouve en minorité face à la majorité de la délégation.» Reste à savoir combien de temps une minorité peut tenir au sein du RN.
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