Assistanat, grèves, délinquance... Quand la France des « honnêtes gens » crie son ras-le-bol
Posté : 13 octobre 2025 19:03
SOURCE : LE FIGAROAssistanat, grèves, délinquance... Quand la France des « honnêtes gens » crie son ras-le-bol
ENQUÊTE - Accablés de normes et d’impôts, angoissés par l’insécurité, de plus en plus de citoyens ont l’impression d’être «les dindons de la farce». Selon un récent sondage, «la critique sur l’utilisation de l’argent public est à son plus haut niveau».
C’est cette fonctionnaire qui entend sa collègue affirmer, sans gêne aucune, qu’elle prolongera ses congés «par un arrêt maladie. » Ces parents qui n’ont «pas de quoi partir en vacances», alors que leurs voisins, «tous deux au chômage, envoient leurs enfants à la mer grâce à la CAF». Cette salariée dont l’employeur «se lasse avec raison des retards trop fréquents», dus aux «problèmes techniques et autres grèves» à la SNCF et la RATP. Ou encore ce jeune propriétaire dont la locataire, particulièrement au fait de la législation et de ses failles, s’est arrogé le «droit» de continuer à occuper un studio qu’elle n’avait loué que pour une semaine... «Vive la France, vive la République!», a-t-elle osé lui envoyer, par SMS.
Cette «France des honnêtes gens», que Bruno Retailleau veut aujourd’hui défendre, est invoquée depuis des décennies par les politiques de tous bords. C’est «la France de la décence, décrit le président des Républicains. Celle qui n’agresse pas, ne fraude pas, travaille dur, paie ses impôts et élève bien ses enfants». Mais aujourd’hui, cette «France du silence», accablée de normes et d’impôts, élève de plus en plus la voix: «L’un des moteurs profonds de la révolte populaire, c’est cette inversion morale : notre système protège les malhonnêtes contre les honnêtes gens, décrypte Olivier Babeau, président fondateur de l’Institut Sapiens*. Locataires qui refusent de payer, squatteurs intouchables, profiteurs du système encouragés pendant que le travailleur est surimposé, auteurs de délits célébrés par les médias... On organise, à travers le système de protection sociale extrêmement dense, un système d’irresponsabilité. On punit celui qui joue le jeu, et on couvre ceux qui trichent. Un pays qui oublie ses citoyens pour choyer les fraudeurs, au nom d’une culture de l’excuse faisant du malhonnête une victime systémique, et de l’honnête citoyen un malandrin qui se cache, ça ne peut que mal finir».
«Profiteurs d’en haut... et profiteurs d’en bas»
La confiance, abonde le politologue Jérôme Fourquet, «se fonde sur l’idée que l’organisation de notre société est basée sur des principes de morale élémentaire: celui qui est honnête sera défendu par la loi, celui qui travaille gagnera plus que celui qui est oisif». Mais aujourd’hui, «on a l’impression que ce n’est plus comme ça que cela fonctionne: cette grammaire morale paraît s’être inversée dans les champs du droit comme de la fiscalité, développe-t-il. Une large majorité des contribuables a le sentiment de ne pas en avoir pour son argent. Non seulement la qualité des services publics s’est dégradée, mais ils ont l’impression d’être les dindons de la farce. Ce sentiment est d’autant plus décuplé que la pression fiscale augmente. Certains se focalisent sur les profiteurs d’en haut - les grandes fortunes dont les avocats connaissent tous les secrets pour réduire leur ardoise fiscale - d’autres sur les profiteurs d’en bas, qui vivent des revenus de l’assistance».
Un sentiment d’injustice qui débouche sur un constat moral: «Ce qui rend les gens dingues, c’est que ces situations d’abus sont autorisées et légales, poursuit le directeur du département Opinion de l’Ifop. En haut comme en bas, c’est le système qui dysfonctionne, car il prévoit des dispositifs qui peuvent être utilisés par ceux qui les connaissent pour se soustraire à la règle générale. Tout cela nourrit l’idée que le système favorise ceux qui ont des comportements moralement condamnables. Et de manière cynique, ce système fait reposer l’effort sur la France des honnêtes gens. Ça nourrit le ras-le-bol fiscal, la défiance à l’égard de la société française, et un ressentiment vis-à-vis de la puissance publique, de la loi et de la justice».
Selon un tout récent sondage Elabe pour BFMTV, publié en septembre, «la critique sur l’utilisation de l’argent public est à son plus haut niveau», «le sentiment d’une redistribution en panne fait consensus», et «le consentement à l’impôt se fragilise». Quelque 69% des contribuables ont le sentiment de plus contribuer au système que d’en bénéficier. Et 81% des Français estiment que le montant des impôts et taxes n’est pas bien utilisé par les pouvoirs publics - un record! Dans le même temps, 49% estiment que l’ensemble des ménages devrait payer l’impôt sur le revenu, en progression de 5 points et au plus haut niveau également. Début 2025, une enquête Ifop pour l’association Contribuables associés pointait «un système de protection sociale perçu comme inefficace, injuste et trop généreux»: 76 % des Français dénonçaient «trop d’assistanat » dans le pays, tandis que 46 % d’entre eux jugeaient que le niveau des aides sociales était globalement trop élevé.
«Aujourd’hui, tous mes projets s’effondrent!»
À Savigny-le-Temple, en Seine-et-Marne, Pierre** se dit «complètement dégoûté». Sa locataire, qui avait réservé une semaine en août via la plateforme Booking.com, s’incruste depuis plus d’un mois. «J’avais investi dans ce studio pour compléter mes revenus, explique ce trentenaire célibataire. Pour aider mes enfants, si j’en ai un jour, à démarrer dans la vie. Aujourd’hui, tous mes projets s’effondrent! Et si je suis la procédure normale, je ne peux pas espérer récupérer mon bien avant fin 2026...»
L’intruse, qui refuse de partir car elle n’a, dit-elle, ni emploi ni logement, a fait changer la serrure. « Notre problème relève du civil, a-t-elle écrit à Pierre, menaçante. Sachez que si vous décidez de rentrer dans les lieux par force, menace ou voie de fait, comme aujourd’hui puisque vous avez essayé de rentrer dans les lieux auxquels par la loi vous n’avez plus accès, c’est puni par la loi. » À son crédit à rembourser - 513 euros par mois - s’ajoutent désormais «l’eau et l’électricité» de l’occupante, «car si je les coupais, elle pourrait porter plainte contre moi!», s’offusque le jeune agent administratif. Sans compter les frais d’avocat, pour une procédure qui s’annonce longue et éprouvante.
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«Le moindre effort les insupporte»
Va-t-elle tenir encore longtemps face au «mépris» de ceux qu’elle aide? Modeste retraitée, engagée depuis une dizaine d’années dans une association caritative, dans le nord de la France, Jacqueline en a gros sur le cœur. «Dans ma commune, ils sont chaque année de plus en plus nombreux à venir récupérer colis de nourriture et vêtements, détaille-t-elle. À peu près 160 en ce moment. Non seulement aucun ne veut travailler, mais ils semblent contents comme ça. Le moindre effort les insupporte». Une fois, «j’ai récupéré des pommes de terre à l’Intermarché, cite-t-elle en exemple. Mais elles étaient un peu germées. Alors j’en ai fait un tas, et j’ai disposé des chaises autour. Quand les bénéficiaires sont arrivés, je leur ai proposé qu’on les dégerme tous ensemble. Eh bien, on m’a fait un bras d’honneur, et on m’a lancé ’on n’est pas ta bonne!, on reviendra quand tu l’auras fait’.»
Pas question non plus de venir prêter main-forte pour jardiner au potager. «Pour décharger le camion, c’est toujours les deux ou trois papis de 80 ans qui se proposent, soupire la bénévole, mortifiée. Les petits jeunes ont tous le nez sur leurs portables, des iPhone 16. Une femme m’a dit ’Onze heures trente c’est trop tôt, moi je me lève pas avant midi’. Ceux qui doivent faire quelques heures en échange du RSA se sont mis en invalidité: ’Je suis dépressif’, ou ’j’ai mal au dos’, prétendent-ils. Ils montrent cet exemple à leurs gamins! On a une famille qui vient à trois générations, avec la quatrième en poussette. Et puis, jamais un merci...» L’association en question a refusé que Le Figaro vienne interroger ses bénéficiaires.
«La très grande générosité de l’État et des Français est désormais tellement ancrée dans les esprits de certains qu’elle devient un dû et non un émerveillement», analyse Benoît Perrin, directeur de Contribuables associés. Depuis deux ans environ, il sent l’exaspération des contribuables monter d’un cran. «Au-delà de la dénonciation légitime de payer toujours plus pour un système qui récompense l’assistanat, nos membres voient que tout s’effondre autour d’eux, et se considèrent floués quand ils utilisent les services publics, rapporte Benoît Perrin. Grèves dans les transports, temps d’attente accru dans les hôpitaux, insécurité galopante, délai très long pour obtenir sa carte d’identité... Parmi nos pétitions qui ont le plus fonctionné, celle dédiée à la baisse du nombre de fonctionnaires. Nombreux sont les Français qui travaillent dur et qui n’en peuvent plus de voir, dans les collectivités locales notamment, des gens payés à ne pas faire grand-chose. Ces derniers savent au fond d’eux que leur travail n’a pas assez de sens, donc n’ont aucune motivation, et se font souvent arrêter par leur médecin».
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L’«écœurement», c’est aussi le sentiment qui étreint le Dr Mohamed Oulmekki. Depuis 27 ans que ce généraliste est installé à Drancy, dans le seul cabinet de Seine-Saint-Denis qui reçoit sans rendez-vous, il «fait tout bien», et mieux encore: il ne compte pas ses heures, garde son calme face à des patients «parfois agressifs», modère «les exigences» de ceux qui, à la CMU, multiplient les consultations. Mais en novembre 2024, pour une banale histoire de remboursement, il prend «un coup de boule» asséné par un jeune homme de 22 ans, qu’il soigne depuis l’enfance. «J’ai eu une triple fracture du nez, 15 jours d’ITT, trois mois d’arrêt de travail, je suis sous antidépresseurs depuis presque un an, énumère le médecin de 64 ans. Moi, je vais avoir des séquelles à vie, et lui, il a pris trois semaines de travaux d’intérêt général. Où est la justice ?»
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L'article est un peu long, j'en retranscris ici quelques extraits.
Alors bien sûr, c'est le Figaro, et certains rétorqueront que ces témoignages ne veulent rien dire.
Mais il me semble que ce reportage relate bien un sentiment communément ancré dans l'esprit de beaucoup de Français. L'idée que le système, censé défendre les honnêtes gens contre les délinquants, censé récompenser davantage les travailleurs que les profiteurs, ne le fait plus guère, et qu'au contraire, il traduit une inversion des valeurs en favorisant ceux qui ont des comportements moralement condamnables. L'idée que les services publics, qui coûtent si cher, ne remplissent plus leur office.
Le reportage décrit aussi un rapport au travail qui est en train de changer chez beaucoup de Français.
Mais que faire ?