Cette taxe voulue par le RN qui pourrait rapporter 8,4 milliards d’euros... et plomber les grands groupes tricolores
Posté : 19 novembre 2025 12:26
"INTERVIEW – Passée inaperçue, la nouvelle taxe sur les rachats d’actions, échafaudée par le Rassemblement national et votée par les députés, pénaliserait les grands groupes tricolores comme les entreprises de taille intermédiaire, analyse Philippe Lorentz, avocat chez August Debouzy.
Dans le flot des nouveaux impôts votés à l’Assemblée nationale en première lecture, la taxe sur les rachats d’actions, adoptée le 29 octobre dernier, est l’une des plus massives. Pour Philippe Lorentz, avocat fiscaliste associé chez August Debouzy, elle serait une mauvaise nouvelle pour la compétitivité du pays. Même s’il pointe qu’elle serait sans doute jugée contraire au droit européen.
Challenges – Sur proposition du Rassemblement national, les députés ont voté dans le projet de loi de finances 2026 une nouvelle version de la taxe sur les rachats d’actions . Quels seraient ses effets concrets pour les entreprises françaises ?
Philippe Lorentz – Une fois de plus, on ajoute en France une taxe qui n’existe nulle part ailleurs dans de telles proportions. En taxant les rachats d’actions réalisées par les entreprises à hauteur de 33 %, pour une recette attendue de 8,4 milliards d’euros, notre pays se doterait de la fiscalité la plus lourde du monde en la matière. En comparaison, la même taxe aux Etats-Unis atteint seulement 1 %. Une fois de plus, cela va frapper uniquement les entreprises françaises et les pénaliser dans la concurrence internationale.
Dans l’esprit des députés, il s’agit de viser une pratique purement spéculative des entreprises qui rachètent leurs propres actions plutôt que d’investir…
C’est une vision des opérations de rachats d’actions – pratiquées dans toutes les économies développées – totalement déconnectée du monde de l’entreprise. En réalité, les rachats d’actions permettent aux grands groupes de soutenir leur cours de Bourse pour envoyer un signal positif aux investisseurs et se prémunir de rachats hostiles. En instaurant une telle taxe, le risque est donc de fragiliser les fleurons français et de les rendre plus vulnérables aux tentatives d’offre publique d’achat (OPA) étrangères. Cela va aussi renchérir le coût des opérations de rachats d’actions visant à les redistribuer aux salariés.
Une taxe à 33 % sur les rachats d’actions va-t-elle conduire les grands groupes à mettre fin à ces opérations ?
Difficile de le prévoir. Les rachats d’actions sont devenus une pratique tellement courante sur les marchés financiers que les multinationales françaises ne pourront sans doute pas les abandonner définitivement. Certaines chercheront peut-être des alternatives. Mais le plus probable, c’est que ces opérations se poursuivent et que les sommes versées au fisc soient des ressources en moins pour l’investissement ou les salariés.
Cette taxe concernera-t-elle aussi les entreprises plus petites non cotées ?
La taxe viserait toutes les entreprises de plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce qui inclut nombre d’entreprises de taille intermédiaire. Pour ces sociétés, les rachats d’actions permettent souvent au fondateur de reprendre le contrôle sur son activité ou d’augmenter l’actionnariat de ses équipes. C’est parfois un moyen de réduire les parts détenues par des fonds d’investissement dans une entreprise familiale. Avec cette taxe à 33 %, ce type d’opérations va devenir extrêmement coûteux et sans doute impossible pour nombre d’entreprises de taille intermédiaire. Cela va retirer des marges de manœuvre pour le développement de ces entreprises, qui manquent déjà tant au tissu productif français.
Les députés attendent 8,4 milliards d’euros de cette taxe sur les rachats d’actions, est-ce réaliste ?
Juridiquement, cette taxe est mal rédigée. Elle touche les programmes de rachats d’actions et pourrait être analysée comme une « double imposition » des bénéfices – au niveau de l’entreprise et des actionnaires – ce qui est interdit par le droit européen. En clair, si cette taxe était votée et appliquée, les entreprises qui procéderaient à des rachats d’actions pourraient la contester devant la justice européenne et auraient de grande chance d’obtenir gain de cause. L’Etat serait alors contraint de rembourser les montants prélevés avec des pénalités…
Pourtant, il y a déjà une taxe sur les rachats d’actions qui a été votée l’an passé …
Oui, mais celle-ci est beaucoup moins élevée. Surtout, elle vise les opérations de réduction de capital et non les programmes de rachats d’actions en tant que tel. Ce choix d’assiette permet précisément d’éviter la « double imposition » des bénéfices. A noter que, la taxe temporaire votée fin 2024 s’appliquait rétroactivement à des opérations déjà réalisées depuis mars 2024, ce qui peut être contesté par les entreprises au nom du principe de « non-rétroactivité de la loi »."
https://www.challenges.fr/politique/cet ... res_630600
Dans le flot des nouveaux impôts votés à l’Assemblée nationale en première lecture, la taxe sur les rachats d’actions, adoptée le 29 octobre dernier, est l’une des plus massives. Pour Philippe Lorentz, avocat fiscaliste associé chez August Debouzy, elle serait une mauvaise nouvelle pour la compétitivité du pays. Même s’il pointe qu’elle serait sans doute jugée contraire au droit européen.
Challenges – Sur proposition du Rassemblement national, les députés ont voté dans le projet de loi de finances 2026 une nouvelle version de la taxe sur les rachats d’actions . Quels seraient ses effets concrets pour les entreprises françaises ?
Philippe Lorentz – Une fois de plus, on ajoute en France une taxe qui n’existe nulle part ailleurs dans de telles proportions. En taxant les rachats d’actions réalisées par les entreprises à hauteur de 33 %, pour une recette attendue de 8,4 milliards d’euros, notre pays se doterait de la fiscalité la plus lourde du monde en la matière. En comparaison, la même taxe aux Etats-Unis atteint seulement 1 %. Une fois de plus, cela va frapper uniquement les entreprises françaises et les pénaliser dans la concurrence internationale.
Dans l’esprit des députés, il s’agit de viser une pratique purement spéculative des entreprises qui rachètent leurs propres actions plutôt que d’investir…
C’est une vision des opérations de rachats d’actions – pratiquées dans toutes les économies développées – totalement déconnectée du monde de l’entreprise. En réalité, les rachats d’actions permettent aux grands groupes de soutenir leur cours de Bourse pour envoyer un signal positif aux investisseurs et se prémunir de rachats hostiles. En instaurant une telle taxe, le risque est donc de fragiliser les fleurons français et de les rendre plus vulnérables aux tentatives d’offre publique d’achat (OPA) étrangères. Cela va aussi renchérir le coût des opérations de rachats d’actions visant à les redistribuer aux salariés.
Une taxe à 33 % sur les rachats d’actions va-t-elle conduire les grands groupes à mettre fin à ces opérations ?
Difficile de le prévoir. Les rachats d’actions sont devenus une pratique tellement courante sur les marchés financiers que les multinationales françaises ne pourront sans doute pas les abandonner définitivement. Certaines chercheront peut-être des alternatives. Mais le plus probable, c’est que ces opérations se poursuivent et que les sommes versées au fisc soient des ressources en moins pour l’investissement ou les salariés.
Cette taxe concernera-t-elle aussi les entreprises plus petites non cotées ?
La taxe viserait toutes les entreprises de plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce qui inclut nombre d’entreprises de taille intermédiaire. Pour ces sociétés, les rachats d’actions permettent souvent au fondateur de reprendre le contrôle sur son activité ou d’augmenter l’actionnariat de ses équipes. C’est parfois un moyen de réduire les parts détenues par des fonds d’investissement dans une entreprise familiale. Avec cette taxe à 33 %, ce type d’opérations va devenir extrêmement coûteux et sans doute impossible pour nombre d’entreprises de taille intermédiaire. Cela va retirer des marges de manœuvre pour le développement de ces entreprises, qui manquent déjà tant au tissu productif français.
Les députés attendent 8,4 milliards d’euros de cette taxe sur les rachats d’actions, est-ce réaliste ?
Juridiquement, cette taxe est mal rédigée. Elle touche les programmes de rachats d’actions et pourrait être analysée comme une « double imposition » des bénéfices – au niveau de l’entreprise et des actionnaires – ce qui est interdit par le droit européen. En clair, si cette taxe était votée et appliquée, les entreprises qui procéderaient à des rachats d’actions pourraient la contester devant la justice européenne et auraient de grande chance d’obtenir gain de cause. L’Etat serait alors contraint de rembourser les montants prélevés avec des pénalités…
Pourtant, il y a déjà une taxe sur les rachats d’actions qui a été votée l’an passé …
Oui, mais celle-ci est beaucoup moins élevée. Surtout, elle vise les opérations de réduction de capital et non les programmes de rachats d’actions en tant que tel. Ce choix d’assiette permet précisément d’éviter la « double imposition » des bénéfices. A noter que, la taxe temporaire votée fin 2024 s’appliquait rétroactivement à des opérations déjà réalisées depuis mars 2024, ce qui peut être contesté par les entreprises au nom du principe de « non-rétroactivité de la loi »."
https://www.challenges.fr/politique/cet ... res_630600