Le baron du Puy-du-Fou et son ami ex-candidat à la présidentielle sont les symboles ultramédiatisés du retour d’un catholicisme intégriste aux airs d’avant-guerre, qui prend ses distances avec la République, en particulier la laïcité.
Assiste-t-on à une tentative de restauration du catholicisme politique, réactionnaire et antirépublicain avec l’expression bruyante et très médiatisée de Philippe de Villiers et Eric Zemmour ? L’influence catholique sur la politique française ne s’était manifestée, depuis la Libération, que par la démocratie chrétienne incarnée par le Mouvement républicain populaire (MRP), issue de la résistance catholique et de ce que l’on a appelé les «cathos de gauche», inspirés par la pensée du philosophe Emmanuel Mounier.
C’était l’influence de la part humaniste du message catholique qui a accompagné, avec la gauche et le gaullisme, l’élaboration de l’Etat social depuis 1945. Le MRP s’est fondu dans le centrisme social et libéral et les chrétiens de gauche ont nourri la «deuxième gauche» rocardienne (Michel Rocard était protestant assumé) ou delorienne (Jacques Delors était catholique pratiquant). Le catholicisme politique, depuis l’après-guerre jusque dans les années 2000, se voulait discret mais actif, modéré et surtout très attaché à la République.
La droite catholique, déjà entachée par l’affaire Dreyfus, avait disparu corps et biens de s’être fourvoyée dans l’idéologie de la révolution nationale du maréchal Pétain («divine surprise» pour Charles Maurras). L’Eglise en tant qu’institution, ayant largement nourri l’antisémitisme de la collaboration, ne s’occupait plus ouvertement de politique après la Libération. De Gaulle, issu une famille catholique du Nord, conservatrice mais dreyfusarde, avait, après la guerre, pratiqué sa foi avec autant de ferveur que de discrétion.
Fille aînée de l’Eglise
Le retour d’une affirmation catholique politique via un Philippe de Villiers remis en selle par Vincent Bolloré, se situe, quand on analyse la sémantique utilisée par le vicomte du Puy-du-Fou, dans la lignée antirépublicaine d’avant-guerre. La musique de son prêche télévangéliste hebdomadaire sur CNews, devant deux «journalistes» potiches et béats par fonction, est celle d’une France revancharde, fille aînée de l’Eglise, qui n’a toujours pas digéré 1789. De Villiers y fustige l’émancipation individuelle, le mondialisme apatride. Il y assène des nouveaux vade retro Satanas nommés «wokistes», «*****propos modérés attisant la haine», «bien-pensants», «bobos», «féministes», «européistes»… Voilà ce que disait sur Europe 1 Philippe de Villiers le jour de la mort du pape François : «Il a toisé la France, il lui a montré du mépris […], il voyait d’un bon œil l’islamisation de l’Europe […], il a persécuté les chrétiens de la tradition de l’Eglise de notre enfance […]. C’était un pape woke, le pape des minorités…»
Et pour accompagner et actualiser la croisade du XXIe siècle des cathos tradis, qui mieux qu’Eric Zemmour, juif condamné pour avoir contesté l’antisémitisme du régime de la collaboration ? Dans son dernier livre, La messe n’est pas dite (Fayard), il défend l’idée d’un «sursaut judéo-chrétien». Voilà une arnaque historique idéologique de haut vol. Il s’agit de réveiller un mythe récent que l’ancien journaliste fait passer pour une réalité ancienne : le judéochristianisme. De la part de celui qui s’interrogeait, il n’y a pas si longtemps, sur la réalité de l’innocence de Dreyfus et qui se situe dans la lignée politique des antidreyfusards, voilà une acrobatie intellectuelle osée. Il faut lire, pour comprendre la supercherie du concept de judéochristianisme, la Civilisation judéo-chrétienne. Anatomie d’une imposture (Les liens qui libèrent) de l’historienne Sophie Bessis.
Rupture avec les Lumières
Lors d’une séance de dédicace le 22 octobre, Eric Zemmour a ainsi prononcé des phrases parfaitement pétainistes et maurrassiennes : «Il faut absolument que l’Eglise sorte de son discours trop naïf, trop Bisounours, trop universaliste. […] Ça tue le christianisme, ça tue la France et ça tue l’Europe […]. Les juifs comme les chrétiens doivent s’émanciper des gens qui les ont trahis depuis quarante ans et se sont vautrés dans une idéologie droit-de-l’hommiste et mondialiste. [Les juifs doivent] renoncer à leurs réflexes séculaires de minorités assiégées qui ne jurent que par la défense de la liberté individuelle.» Remplacez les «chrétiens» et «juifs» de Pétain par «juifs et chrétiens» et «musulmans» chez Zemmour, vous aurez la même idéologie.
Ces derniers mots par lesquels Zemmour fustige l’idée de défendre les «libertés individuelles» sont très significatifs de la rupture voulue par toute une partie de la droite, bien au-delà du RN et de Reconquête, avec le libéralisme politique issu des Lumières. Ce retour du catholicisme intégriste conquérant, qui se construit en miroir de l’islamisme menaçant, affublée d’un judaïsme politique dévoyé, marque une prise de distance préoccupante avec les «valeurs de la République» et singulièrement la laïcité, dont, par ailleurs, se gargarisent, en les galvaudant, les droites françaises en pleine crise d’identité.
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