

Les dissolutions prononcées par l’Etat ces dernières années ont disséminé et relocalisé les groupes violents, sans guère perturber leur activité. Qui sont-ils ? Où agissent-ils ? Au nom de quelle idéologie ? Libé vous répond grâce à une carte exclusive.
Des tracts nazis distribués dans tout le pays. A Vannes, des nervis jugés pour avoir laissé pour mort un jeune homme, pris pour un «antifa». Près de Rennes ou à Toulouse, des ateliers de lecture perturbés par des néofascistes au motif qu’ils étaient animés par des drag-queens. Un peu partout, des descentes violentes… Depuis plusieurs années, Libération documente le regain d’activisme des militants d’extrême droite radicale. La mouvance se voit régulièrement frappée par des dissolutions administratives au motif de sa violence et de son racisme. Mais ces derniers temps, un constat s’impose : ces interdictions décrétées en chaîne par les ministres de l’Intérieur successifs ont abouti à une explosion du nombre de groupuscules, sans guère entraver leur activité.
Pour rendre accessible ce travail de recensement, nous proposons à nos abonnés cette carte interactive. Lorsque le Planning familial, le local d’une association de gauche, une librairie ou une manifestation sont attaqués, l’extrême droite est pointée du doigt. Mais laquelle ? Qui sont ces militants et de quoi se réclament-ils ? Agissent-ils «dans leur coin», appartiennent-ils à un courant plus large ? Libé vous propose donc une cartographie des principaux groupes français – frange radicale et agissante, mais parfois liée aux partis lepéniste et zemmourien.
Tout en écartant les structures trop évanescentes, nous avons recensé plus d’une cinquantaine de groupuscules sur tout le territoire. Certains sont des franchises locales de mouvements nationaux interdits ces dernières années, à l’image de la galaxie de groupes qui se réclament du nationalisme-révolutionnaire, nés dans la foulée de la dissolution du Bastion social en 2019. Idem après celle de Génération identitaire, en 2021. Elle a accouché d’une multitude d’avatars se réclamant de son héritage, dont bon nombre de structures locales préexistantes qui ont échappé au couperet : elles n’étaient tout simplement pas concernées par le décret de dissolution. Sans oublier les nombreuses sections des royalistes de l’Action française éparpillées sur le territoire, et dont une nouvelle génération de militants a réveillé l’activisme.
Les partis politiques entretiennent des passerelles avec ces groupuscules
Ces dissolutions et cet éclatement de la mouvance ont compliqué le travail des services de renseignement. Fini les structures nationales plus aisées à surveiller, place aux groupuscules parfois éphémères, parfois affinitaires plus qu’idéologiques, qui se développent jusque dans des villes moyennes comme Albi ou Bourg-en-Bresse. C’est une autre nouveauté : l’union par la rue des extrêmes droites. Famille politique historiquement traversée par des dissensions doctrinales ou personnelles, la jeunesse de la mouvance se rassemble désormais autour du fondement de sa pensée : le racisme. Lors de la manifestation antimigrants de fin avril à Saint-Brevin en Loire-Atlantique, royalistes, identitaires et nationalistes-révolutionnaires ont fait front pour former un «white bloc» («bloc blanc», appropriation nationaliste de la méthode du «black bloc») et s’en prendre aux contre-manifestants de gauche. Même constat lorsque la préfecture de police de Paris avait interdit, mi-mai, le traditionnel hommage des royalistes à Jeanne d’Arc (finalement autorisé par le tribunal administratif) : toute la mouvance avait pris fait et cause pour les cousins monarchistes, malgré de fortes et anciennes inimitiés doctrinales.
Désinhibés par les résultats du Rassemblement national et par l’irruption d’Eric Zemmour à la dernière présidentielle, les groupuscules d’extrême droite recrutent et se sentent légitimes à faire entendre leur haine de l’autre. Mais au-delà des idées, des liens existent entre cette marge radicale et les structures plus institutionnelles : prestataires, services d’ordre, conférences… Les partis politiques entretiennent des passerelles permettant de garder le contact. Le plus discrètement possible toutefois, «dédiabolisation» oblige. D’où l’intérêt de suivre au plus près ces militants qui peuvent troquer le bombers ou la cagoule pour un look plus discret. Sans cesser de défendre la même cause.
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