
Malgré un nombre de voix record obtenu en 2024, le parti d’extrême droite s’est incliné au seuil du pouvoir. Un an après, le travail d’introspection est mal engagé.
POLITIQUE - Matignon lui tendait les bras. Porté par un très bon résultat aux européennes (31,3 %), en première position dans tous les sondages, Jordan Bardella s’imaginait déjà devenir le 27e Premier ministre de la Ve République. Le 30 juin 2024, au soir du premier tour des élections législatives, il affiche à la tribune une mine réjouie : le parti qu’il préside, le Rassemblement national, est en tête dans 297 circonscriptions sur 577. L’espoir de rafler la majorité absolue à l’Assemblée une semaine plus tard est bien présent.
Mais le 7 juillet, c’est la déconfiture : la formation d’extrême droite a bien le premier groupe mais elle est la troisième force, derrière le Nouveau Front populaire et le « bloc central ». La presse parle de « défaite », un mot à bannir pour Marine Le Pen qui intime à ses troupes de ne surtout pas souscrire à ce narratif. Un an plus tard, la poussière est retombée, le RN a bon gré mal gré entamé un travail de ripolinage de son image mais peine toujours à analyser les raisons de son échec.
La présence de candidats sulfureux, aux CV entachés de déclarations antisémites, racistes ou homophobes, a joué dans le vote des Français. Des articles retraçant le pedigree de dizaines de candidats embarrassants pour le RN ont fleuri dans la presse. Dans l’entre-deux-tours, Jordan Bardella avait été bien obligé de reconnaître des « erreurs de casting », plaidant des délais très courts pour investir 577 personnes et réduisant ces profils problématiques à quelques « brebis galeuses ». « Tous ceux qui tiennent des propos qui ne sont pas conformes à mes convictions, à la ligne politique que je porte seront mis à la porte », assurait-il trois jours avant un deuxième tour qui se révéla fatal.
Où en est le grand ménage ?
En septembre 2024, la réorganisation du parti a viré, selon le Monde, « à la purge ». Plusieurs dizaines d’ex-candidats, de cadres locaux ou de responsables départementaux ont été convoqués au siège du RN puis mis à pied. L’ex-Front national est-il aujourd’hui prêt, en cas de dissolution, à aligner des candidats dans toutes les circonscriptions ? « Le parti n’a pas procédé au grand ménage promis », relève Libération, qui note « qu’une grande majorité » des anciens candidats problématiques n’ont pas quitté le RN et « continuent d’y occuper des responsabilités administratives ou électives ».
Depuis un an, Marine Le Pen semble aussi déterminée à changer de fond en comble l’organisation centralisée du parti. « Le RN a toujours été un mouvement très concentré dans son organisation. Tout provient du siège. Ce dispositif n’est plus possible face à la crise de croissance électorale que nous traversons », exposait-elle dans l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles en 2024.
Ce qui a sans doute contribué à fermer les portes de Matignon à Jordan Bardella est aussi la sous-estimation du front républicain. Au RN, personne ne pensait que les voix du NFP se reporteraient aussi facilement sur Élisabeth Borne ou Gérald Darmanin, pourtant honnis des électeurs de gauche. Et inversement, que des électeurs macronistes iraient voter pour La France insoumise.
Selon un sondage Ipsos, 72 % des électeurs du NFP ont ainsi opté pour un candidat du « bloc central » au deuxième tour lorsque celui-ci affrontait un candidat RN. Une situation qui a fait dire à Marine Le Pen qu’un « parti unique » se mettait en place, de La France insoumise à Renaissance. « Un vol qui prive les Français de leur choix », tonnait aussi le député européen Pierre-Romain Thionnet.
Le grand écart programmatique
Un an plus tard, les digues sont-elles toujours aussi solides face à l’extrême droite ? Rien n’est moins sûr, tant une bonne partie du centre et de la droite est désormais acquise à l’idée que les Insoumis sont tout aussi dangereux, si ce n’est plus. « Est-ce que vous voyez Horizons, LR, le MoDem, l’UDI participer à un front républicain avec LFI, qui s’est disqualifiée par ses outrances ? », défend ainsi aujourd’hui auprès du Monde le président du groupe centriste au Sénat Hervé Marseille.
Autre épine dans le pied du RN : son flou programmatique. Pour ménager la chèvre et le chou, et ainsi satisfaire des électorats a priori contradictoires, Marine Le Pen et Jordan Bardella semblent prêts à toutes les contorsions. Récemment, les pincettes avec lesquelles ils ont abordé la loi Duplomb montrent une gêne. Deux objectifs se font face. D’un côté, séduire les milieux économiques, industriels et agroalimentaires (une tâche à laquelle s’attelle particulièrement le président Bardella) ; de l’autre, ne pas perdre de vue le discours social qui permet de raccrocher un électorat populaire (ce à quoi semble plus disposée Marine Le Pen, élue à Hénin-Beaumont).
Mais le grand écart programmatique n’est pas possible indéfiniment. Il faut finir par trancher. Ainsi le RN a-t-il fini par abandonner, l’hiver dernier, sa mesure phare de baisse de la TVA sur l’électricité et le gaz, et l’abrogation de la réforme de l’assurance-chômage. Une stratégie coûteuse, puisque le rapprochement avec les cercles pro-business et issus du monde de l’entreprise induit un éloignement des préoccupations populaires.
La condamnation de Marine Le Pen n’arrange rien
La stratégie de respectabilité du parti lepéniste a aussi été mise à mal par le coup de théâtre judiciaire du 31 mars. Ce jour-là, Marine Le Pen a été condamnée pour détournement de fonds publics avec une peine d’inéligibilité qui rend très hypothétique sa participation à la présidentielle de 2027. Habitué à faire campagne sur le slogan « tête haute, mains propres », le Rassemblement national est alors apparu comme un parti « comme les autres », participant à un système qu’il prétend honnir. Un sondage Cluster17 a montré, quelques jours après, que 61 % des Français approuvaient la décision du tribunal correctionnel de Paris.
Si Emmanuel Macron venait à dissoudre l’Assemblée nationale dans les prochaines semaines, Marine Le Pen ne pourrait pas se représenter et perdrait de facto son siège de députée du Pas-de-Calais. Un scénario catastrophe qui compliquerait encore un peu plus la tâche de l’ex-candidate à la présidentielle.
https://www.huffingtonpost.fr/politique ... 53365.html