"Pieyre-Alexandre Anglade : "Le Pen et Bardella ne valent pas mieux que les passeurs de migrants"
Crise de Lampedusa, lutte contre le Rassemblement national, projet de loi immigration… Le président de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale passe à l’offensive.
La parenthèse royale que constitue la visite de Charles III en France n’éclipse pas les enjeux de taille qui parsèment la rentrée du gouvernement. La crise de Lampedusa a replacé le futur projet de loi immigration dans le débat public au moment où l’exécutif, à la recherche d’alliés pour le faire adopter, préférerait faire profil bas. En embuscade, le Rassemblement national en profite pour d’ores et déjà démarrer sa campagne pour les élections européennes en installant son duel avec le camp présidentiel. Pieyre-Alexandre Anglade, président Renaissance de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, répond aux questions de L’Express sur ces sujets qui se mêlent et s’entremêlent et sonne la charge contre Marine le Pen. Entretien.
L’Express : Faut-il accueillir une partie des migrants qui végètent en ce moment à Lampedusa ?
Pieyre-Alexandre Anglade : Il ne peut pas y avoir d’accueil automatique, il faut examiner les situations au cas par cas. Disons les choses, un migrant qui n’est pas éligible à l’asile n’a pas vocation à rester sur le sol européen. Mais si nous voulons préserver le droit d’asile qui est notre honneur et éviter qu’il ne soit dévoyé, permettre des voies de migration régulière qui sont nécessaires, nous devons être beaucoup plus efficaces dans le traitement des demandes et plus fermes vis-à-vis de ceux qui sont déboutés.
Au-delà de cette situation particulière de Lampedusa, il faut regarder la question migratoire en face. Les phénomènes migratoires vont s’intensifier dans les années à venir, c’est la réalité : c’est la raison pour laquelle, en Européens, il faut s’organiser, ce qui n’est pas encore le cas.
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Gérald Darmanin a déclaré mardi soir, au 20 heures de TF1, que la France n’accueillera aucun de ces migrants, quand Emmanuel Macron estime que la France a un "devoir de solidarité européenne" avec l’Italie. N’est-ce pas contradictoire ?
Depuis 2017, le président de la République a toujours défendu une Europe plus souveraine et donc capable de maîtriser ses frontières. La France a aussi été le moteur de la solidarité européenne ces dernières années. Mais la solidarité européenne de la France peut s’exprimer de différentes manières, comme une aide renforcée pour aider l’Italie à maîtriser ses frontières
Vous dites que l’Europe n’est pas encore organisée pour faire face à cet enjeu majeur, dans quelle mesure est-elle en retard ?
La crise que l’on vit en ce moment est le reflet de notre incapacité à nous organiser collectivement du fait des blocages de Marine Le Pen et de ses alliés nationalistes en Europe. En matière migratoire, nous sommes au milieu du gué et donc nous ne sommes pas aussi efficaces que nous pourrions l’être en étant unis. La France a proposé de traiter les demandes d’asile aux frontières, de renforcer Frontex pour que celles-ci soient mieux contrôlées, d’harmoniser les procédures d’asile entre Etats membres… Quand le RN et ses alliés s’opposent au pacte asile-immigration, ils bloquent la capacité des Européens à s’organiser et ils le font sciemment. Ils vivent du business de l’immigration ! Le Rassemblement national fait le jeu des passeurs en entretenant des divisions nationalistes en Europe. Au fond, Marine Le Pen et Jordan Bardella ne valent pas tellement mieux que les passeurs. Empêcher les Européens de s’organiser, c’est servir leur entreprise électorale.
Les choix de Giorgia Meloni sont-ils un aveu d’échec pour l’extrême droite européenne ?
Giorgia Meloni a compris qu’elle avait besoin de l’Union européenne. Elle a compris qu’on ne pouvait réussir qu’en coopérant avec les autres pays du continent. Regardez les Anglais : depuis qu’ils ont quitté l’Union européenne, le nombre d’arrivées sur le territoire a doublé et le Royaume-Uni demande désormais plus de coopération avec l’UE. Les politiques nationalistes aboutissent toutes à des échecs. Au fond, ce qui se passe en Italie nous montre ce que serait la politique du RN au pouvoir : une forme de paralysie et d’inefficacité de la politique migratoire française. A Beaucaire, Marine
Le Pen a annoncé vouloir instaurer une "déclaration des droits des nations et des peuples"… Il s’agit, ni plus ni moins, que d’un Frexit, car cela dérogerait aux règles européennes. Elle n’a jamais abandonné cette idée, elle l’a mise en veilleuse car les Français n’y sont pas favorables, mais le projet profond de son programme, c’est la sortie de la France de l’Union européenne.
Renaissance prévoit-il, déjà, d’installer un duel avec le RN aux prochaines élections européennes ?
Nous voulons servir les Français, le RN veut leur mentir. Donc oui, notre ennemi, c’est le Rassemblement national. En voulant affaiblir l’Europe, le RN agit contre les intérêts du peuple français.
Très clairement, aux élections européennes, nous allons porter un projet de renforcement et de souveraineté de l’Europe. La crise migratoire le montre, il y a encore beaucoup de travail pour être plus fort et réactif. Le parti europhobe qu’est le RN s’est systématiquement trompé sur toutes les crises que nous avons eu à gérer : le Covid, la guerre en Ukraine, et ces crises migratoires. Il faut tout de même se rendre compte que les élus RN siègent au Parlement européen avec des gens qui sont contre l’IVG ou qui souhaitent réduire les droits des personnes LGBT.
Stéphane Séjourné doit-il être la future tête de liste de la majorité ?
Je crois que Stéphane Séjourné a la préséance. Seulement, le temps est encore à l’action, celui de l’incarnation viendra plus tard. On ne tombera pas dans le piège tendu par nos opposants en rentrant dans la campagne dès à présent, en faisant une campagne nationale. Le Rassemblement national veut faire de ces élections européennes un référendum pour ou contre Emmanuel Macron. Nous, nous voulons parler aux Français des vrais enjeux européens, lutter contre le changement climatique, recréer de l’industrie sur le continent, maîtriser l’immigration, nous protéger face à la Russie. Nous, nous ne parlons pas de l’Europe seulement une fois tous les cinq ans. Contrairement au RN, pour nous l’Europe n’est pas seulement un tiroir-caisse.
La situation à Lampedusa a fait ressurgir le projet de loi immigration dans le débat public français. Existe-t-il, pour la majorité, une lumière au bout du tunnel ? Comment ce texte peut-il être adopté ?
Il y a aujourd’hui une faiblesse dans notre organisation nationale et les Français attendent des mesures fermes. Nous voulons porter ensemble deux radicalités : une expulsion plus rapide de ceux qui n’ont rien à faire sur notre sol national et, dans le même temps, créer le titre de séjour métiers en tension pour mieux intégrer les gens qui ont vocation à rester en France. Pour que ce texte soit adopté, il faut qu’il soit le fruit de cet équilibre. Les Français y sont favorables, tout comme les organisations patronales qui demandent toutes cela ! D’ailleurs, ces organisations doivent prendre leur responsabilité et l’exprimer plus clairement. Il faut regarder notre situation avec lucidité, courage et honnêteté intellectuelle. Les LR ne peuvent pas défendre cette mesure dans leurs circonscriptions et s’y opposer au niveau national. Il y a une forme d’hypocrisie. Je crois donc qu’il doit pouvoir exister une majorité pour voter ce texte, il faut simplement que chacun soit honnête et responsable.
L’article 3, sur le titre de séjour "métiers en tension", ne doit donc pas disparaître…
La position du groupe majoritaire est très claire : les deux pôles du texte sont nécessaires.
Sacha Houlié, le président Renaissance de la commission des Lois de l’Assemblée, a signé une tribune avec plusieurs membres de la Nupes pour défendre cette mesure. Était-ce pertinent, sachant que les députés de la Nupes ne comptent pas voter le projet de loi au terme de son examen ?
La Nupes doit aussi assumer ses responsabilités. Les électeurs de la Nupes attendent qu’on agisse clairement. Je me félicite que certains de ses représentants aient pu se retrouver autour de Sacha Houlié, qui est une personne importante de la majorité. C’est bien beau de signer des tribunes, mais il faudra voter ! Sacha Houlié a eu raison de tendre la main à des élus de la gauche : la majorité a vocation à construire des ponts avec d’autres composantes républicaines de l’Assemblée. La majorité n’a pas vocation à ne travailler qu’avec la droite. Nous sommes un bloc majeur, un courant central, qui doit travailler avec tous ceux qui veulent œuvrer pour l’intérêt général. Mais les socialistes et les écologistes doivent avoir ce courage-là aussi.
Donc La France insoumise (LFI) reste mise de côté, tout comme le RN…
Rien n’est interdit, mais la France insoumise est dans une fuite en avant depuis maintenant un an, qui détériore l’image de la classe politique. Les positions de LFI sont très éloignées de celles de la majorité, travailler aujourd’hui avec la France insoumise n’est pas possible. Quant au RN, je vous l’ai dit, c’est notre ennemi.
Les postes au bureau de l’Assemblée nationale seront bientôt remis en jeu : certains de vos collègues estiment qu’il faut faire en sorte d’évincer les députés RN quand la présidente de l’Assemblée nationale plaide pour le statu quo. Quelle est votre position ?
Je crois que la légitimité issue des urnes ne doit pas être un prétexte pour banaliser le Rassemblement national et ses idées. Nous devons être, toutes et tous, vigilants à l’entrisme institutionnel du RN, car c’est exactement ce qu’ils font. On abordera ce sujet collectivement dans la majorité pour définir notre position commune, mais je pense que ce n’est pas à la majorité de choisir ses oppositions. Les oppositions devront elles-mêmes s’entendre pour décider de quelle manière elles se répartissent les responsabilités. Dans un contexte de majorité relative, les contraintes doivent être partagées, il appartient aux oppositions de faire également le boulot, au moment de voter les textes comme sur l’organisation de notre Assemblée nationale."
https://www.lexpress.fr/politique/pieyr ... U7AESIA6M/
"La valeur ne dépend pas de la religion, mais de l'amour qui nous fait considérer l'autre comme un frère ou une sœur"
Sœur Emmanuelle
"Notre vraie nationalité est l'Humanité" Herbert Georges Wells