SOURCE : LE FIGARO«C’est un rouleau compresseur» : le calvaire des expatriés américains traqués sans fin par le fisc
Pris au piège du système fiscal américain, des Franco-Américains dénoncent un cauchemar administratif alors que la France hésite à s’inspirer de ce modèle d’imposition fondé sur la nationalité.
Henriette* pensait depuis longtemps en avoir fini avec l’administration américaine. Née aux États-Unis, cette sexagénaire a grandi au Danemark puis au Canada avant de s’installer dans le sud-ouest de la France. Jusqu’au jour où sa banque – française – lui a présenté un formulaire inconnu jusqu’alors. Voilà Henriette forcée de fournir à l’administration des États-Unis d’Amérique une information complète sur ses revenus et sa situation, sous peine de voir son compte en banque fermé jusqu’à régularisation. Une situation qui lui a causé «un stress énorme». Il lui a fallu renouveler un passeport américain périmé depuis quarante ans et se soumettre à un labyrinthe bureaucratique transatlantique parsemé de fonctionnaires grimaçant à cette vraie-fausse «enfant de l’Amérique».
«Je n’ai jamais travaillé aux États-Unis, j’y ai vécu à peine sept ans. Et pourtant, je dois encore justifier chaque euro», explique-t-elle, effarée par l’acharnement de l’Internal Revenue Service (IRS), le fisc américain. Son amie Catherine*, elle, a préféré renoncer à sa nationalité américaine pour ne pas payer les taxes sur l’héritage que lui réclamait le pays qu’elle a quitté lorsqu’elle était encore enfant. Du moins, c’est ce qu’elle pensait. L’administration lui a reproché de «ne plus vouloir être Américaine» et a maintes fois tenté de l’en dissuader, raconte-t-elle. Un véritable parcours du combattant de plusieurs années, entre formulaires, justificatifs, entretiens consulaires… Et tout ça pourrait bientôt devenir le quotidien des Français établis à l’étranger.
Amendement au budget de l’État
Le député Éric Coquerel (LFI) défend depuis 2019 l’idée d’un «impôt universel ciblé», destiné à faire contribuer les Français fortunés installés dans les paradis fiscaux. Son amendement, rejeté d’une voix à l’Assemblée le 24 octobre, viserait les expatriés dont les revenus dépassent cinq fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (soit environ 230.000 euros), pendant dix ans après leur départ. «Ce dispositif cible les pays dont les taux d’imposition sont au moins 40% inférieurs à celui de la France», précise également le texte de l’amendement. Un projet qui, dans le climat fiscal actuel de l’Hexagone, invite à porter le regard vers l’Ouest.
Henriette et Catherine sont ce qu’on appelle des «Américaines accidentelles», nées sur le sol américain sans y avoir jamais réellement vécu. Pour l’IRS, cela ne change rien : toute personne née aux États-Unis est américaine. En tant que telle, elle est tenue de déclarer et, si nécessaire, de payer la différence entre l’impôt acquitté dans son pays de résidence et celui qui serait dû aux États-Unis. Un système presque unique au monde - aujourd’hui, seuls les États-Unis et l’Érythrée taxent encore sur la base de la nationalité -, hérité de la guerre de Sécession. À l’époque, Washington voulait empêcher ceux qui observeraient les hostilités du Mont Pagnotte d’échapper également à l’effort de guerre.
Ce principe d’«imposition fondée sur la citoyenneté» a été consolidé en 2010 par la loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), signée sous Barack Obama. Ce texte oblige toutes les banques du monde à transmettre au fisc américain les informations concernant leurs clients citoyens ou binationaux.
«FATCA, c’est un rouleau compresseur», explique Fabien Lehagre, président de l’Association des Américains accidentels et membre de l’association Tax fairness for Americans abroad («Équité fiscale pour les Américains à l’étranger»). «Les États-Unis ont pu imposer unilatéralement cet accord aux banques étrangères, sous peine de sanctions», précise-t-il.
Le modèle américain remis en cause
Mais outre-Atlantique, la contestation monte. Le républicain Darin LaHood a déposé fin 2024 un projet de loi - le Residence-based taxation for Americans abroad act - qui permettrait de taxer selon le lieu de résidence et non la citoyenneté. Un programme soutenu par l’ancien commissaire de l’IRS Charles Rettig. Ce dernier appelait fin septembre au seul maintien d’une exit tax pour les plus fortunés. Dans une tribune, il déclarait : «Cinq millions d’Américains vivant à l’étranger doivent remplir des déclarations complexes, souvent symboliques sur le plan budgétaire, mais dévastatrices sur le plan personnel.»
Ironie du sort : au moment où Washington songe à assouplir son système, la gauche française veut s’en inspirer. Si, officiellement, le projet de LFI ne vise pas à traquer tous les expatriés, mais à limiter l’exil fiscal des plus riches, ce texte déposé par LFI pendant les débats budgétaires ouvre une brèche. «Ce serait un retour en arrière historique», s’insurge Fabien Lehagre, alors que la quasi-totalité des pays ont choisi le principe de territorialité, jugé «plus juste» et plus simple à administrer.
D’autant que l’application d’une telle loi serait une gageure pour un pays qui ne dispose pas des moyens de l’Oncle Sam. Pour imposer les Français vivant à l’étranger, il faudrait renégocier plus d’une centaine de conventions fiscales bilatérales. Ces traités sont supérieurs à la loi nationale selon l’article 55 de la Constitution, et reposent sur la résidence fiscale, pas sur la nationalité. Sans leur modification, une telle réforme serait donc inapplicable pour des raisons de droit constitutionnel. Une mission parlementaire achevée en 2019 avait ainsi conclu que «la mise en œuvre d’un principe d’imposition sur la nationalité se heurte également à des difficultés de nature conventionnelle, politique, juridique et même philosophique». Une mission présidée entre autres… par Éric Coquerel, dont l’amendement a tout d’une pommade électorale davantage destinée à galvaniser sa base qu’à réformer le système.
En résumé :
- les USA pratiquent un système d'imposition basé sur la nationalité,
- toute personne née aux USA possède la nationalité américaine, même si elle n'a pas ou peu vécu aux USA,
- toute personne possédant la nationalité américaine, même si elle n'a pas ou peu vécu aux USA, doit déclarer ses revenus au fisc américain, et, si nécessaire, de payer la différence entre l’impôt acquitté dans son pays de résidence et celui qui serait dû aux USA,
- ce système a été consolidée par la loi FATCA en 2010 qui oblige toutes les banques du monde à transmettre au fisc américain les informations concernant leurs clients citoyens ou binationaux, sous peine de sanctions,
- pour ceux qui habitent en France, les enjeux financiers sont probablement assez faibles, car on peut penser qu'ils paieraient moins d'impôts s'ils habitaient aux USA, mais il y a des tracasseries administratives importantes.
Cette forme d'impérialisme américain (ils demandent au reste du monde d'appliquer leurs lois, sous peine de sanctions) pose question... Face à cette loi FATCA, l'UE aurait été utile, pour s'opposer. Mais l'UE a laissé faire. Pour l'UE, édicter des normes, c'est plus facile que de s'affirmer, militairement, commercialement, diplomatiquement, face aux USA.
La gauche française veut s'inspirer de ce système, mais on comprend bien que ce que les USA peuvent se permettre de faire, la France seule ne pourra jamais le faire.
