Le rapport des Français à leur pouvoir d'achat me laisse perplexe.
Les Français ont du mal à se nourrir et à se chauffer, dit-on, mais on dirait quand même que leurs dépenses de loisirs ne cessent de progresser.
Vacances, loisirs, sucreries... Ces achats plaisirs que les Français préservent malgré l’inflation
DÉCRYPTAGE - Leur baisse de pouvoir d’achat les contraint à des sacrifices? Ils adaptent leur consommation et multiplient les arbitrages pour ne pas se priver.
Se serrer la ceinture, oui. Arrêter de se faire plaisir, pas question. Les Français ont beau faire des arbitrages dans leurs dépenses à cause de l’inflation, ils préservent au mieux ce qui leur paraît essentiel: leur bien-être et les bons moments. «De plus en plus, les Français expliquent qu’ils travaillent pour s’offrir des loisirs et des moments de vacances, déclare Didier Arino, directeur du cabinet spécialisé Protourisme. Ils veulent vivre des expériences, pour se construire des souvenirs.» La forte reprise du tourisme depuis la fin de la pandémie confirme cet impérieux besoin de lâcher-prise, dans un monde de plus en plus stressant. Faire une pause, s’aérer la tête, être libre de son temps: la psychologie moderne et les ouvrages de développement personnel ne recommandent rien d’autre pour aller bien.
Les professionnels sont, eux, bluffés par le niveau de la demande, alors que leurs prix grimpent fort. «Depuis la pandémie, les Français accélèrent leurs changements de consommation à une vitesse incroyable», constate Jean Viard, sociologue et directeur de recherche au CNRS. Ces changements sont dictés par un mode de vie qui lui aussi a évolué. Avec le télétravail, de plus en plus de déjeuners sont pris à la maison, ce qui permet de faire des économies. La pandémie a par ailleurs fait basculer les consommateurs dans l’ère du numérique et de la réutilisation, à cause de l’urgence climatique. Les petites comme les grosses dépenses ont changé de camp.
Les Français vont moins au cinéma et regardent davantage de séries sur Netflix. Ils sont moins nombreux à changer de voiture, et renouvellent moins leur garde-robe. Dans un même élan, tous privilégient aussi les canaux de distribution les plus compétitifs. «Les plus modestes vont dans des supermarchés low cost pour pouvoir faire des petits achats inutiles, constate Jean Viard. Les plus aisés y vont pour pouvoir dépenser autrement leur argent.»
Les grands gagnants de ces bouleversements de consommation restent malgré tout prudents. Jusqu’à maintenant, tout va bien. Mais jusqu’à quand? Les professionnels en particulier surveillent comme le lait sur le feu les évolutions de la demande. L’envolée des tarifs a déjà fait fuir des clients. Dans tous les secteurs, les experts alertent sur un niveau de prix à ne pas franchir, au-delà duquel le consommateur aura l’impression de se faire avoir et dira stop.
Le budget vacances augmente
L’envolée des tarifs (hôtel, camping, meublé touristique, avion, restaurant, excursions…) a propulsé le chiffre d’affaires des professionnels du tourisme au-delà de ses niveaux d’avant-Covid. La fréquentation est en voie de les rattraper, quand ce n’est pas déjà fait. La saison de ski en France a été bonne, comme les vacances d’avril et les ponts de mai. L’été s’annonce sous les meilleurs auspices. En particulier à la SNCF. «Pour les ponts de mai et pour la période estivale, nos réservations sont supérieures à ce qu’elles étaient en 2019», résume Alain Krakovitch, directeur de TGV Intercités.
Inquiets du manque de disponibilité, les vacanciers français réservent même plus tôt que d’habitude. Selon le cabinet Protourisme, leur budget des vacances printemps-été s’élève en moyenne à 2450 euros par foyer, soit 400 euros de plus qu’avant le Covid. Pour ceux qui partent à l’étranger, l’augmentation est encore plus spectaculaire (+ 400 euros par personne), leur budget dépassant les 3400 euros par foyer.
Les agences de voyages et les tour-opérateurs sont rassurés. «Le climat est très positif», témoigne Jean-Pierre Mas, président des Entreprises du voyage. Cet hiver, le chiffre d’affaires de ses adhérents a augmenté de 16 %, malgré un nombre de clients en recul de 10 %. Mieux, pour cet été, leur carnet de commandes est en avance de 37 % (toujours par rapport à 2019) et le nombre de vacanciers augmente de 8 %. Malgré une hausse des prix marquée (+ 23 % pour les vols franco-français ou partant de France, en mars), les consommateurs se ruent sur les avions. Lors de la présentation des résultats du premier trimestre, le directeur général d’Air France-KLM, Ben Smith, s’est félicité des «ventes de billets très encourageantes pour la saison estivale». Chaque mois qui passe, la fréquentation remonte (91 % de 2019 en janvier, 94 % en février…) dans les compagnies hexagonales. «Je pense qu’avant l’été ou à l’été on sera à 100 %», affirme le patron d’Air Caraïbes et de French Bee, Marc Rochet. «Il y a une sanctuarisation du budget vacances», résume Louis Chupin, consultant chez Roland Berger.
Quitte à partir moins loin, moins longtemps et à privilégier ce qu’il y a de plus accessible. Côté hébergement marchand, c’est en règle général… l’hôtellerie de plein air. Les exploitants de campings se frottent les mains. La formule gagne des parts de marché auprès des familles, attirées par les kitchenettes de mobile-homes tout équipés, les piscines géantes et les animations. Malgré une nette montée en gamme, c’est toujours le meilleur rapport qualité-prix du marché de l’hébergement marchand. Il y a un mois, 63 millions de nuitées avaient été déjà réservées pour l’ensemble de la saison, soit 21 % de plus que l’an passé à la même date. Selon un sondage Ifop pour la Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air (FNHPA), 13 % des Français font désormais du camping tous les ans ou presque.
Les parcs d’attractions refont le plein
C’est la sortie à la journée ou pour quelques jours qui fait l’unanimité chez un nombre de plus en plus important de familles. «Nous redoutions que l’inflation pèse sur la fréquentation et la consommation dans les parcs. C’est l’inverse, se réjouit Arnaud Bennet, président du Syndicat national des espaces de loisirs, d’attractions et culturels (Snelac), également président du parc d’attractions et animalier Le PAL, dans l’Allier. Les parcs sont un loisir familial et populaire de plus en plus prisé.» De Disneyland au Parc Astérix, en passant par le Puy du Fou et le Futuroscope, il y en a pour tous les goûts et pour tous les budgets. Pour rester attractifs, les parcs n’ont d’ailleurs pas répercuté l’intégralité de l’inflation dans leurs tarifs d’entrée. Malgré une météo plus défavorable en avril, leur fréquentation a été proche de celle de 2022, excellente. «Sur place, la dépense en boutique et en restauration est même supérieureà l’an dernier,s’étonne Arnaud Bennet. Une fois de plus, le secteur démontre sa capacité à proposer une soupape de déconnexion, qui dans le contexte actuel plutôt anxiogène répond parfaitement aux attentes des familles.»
À la Compagnie des Alpes (Parc Astérix, Futuroscope, Walibi…), le même optimisme règne. À moins d’une météo qui viendrait tout gâcher, tous les voyants sont au vert. «Dans la plupart de nos parcs, le chiffre d’affaires progresse par rapport à l’an dernier, qui avait été record», confie François Fassier, directeur des parcs de loisirs de la Compagnie des Alpes. La fréquentation comme les dépenses sont en augmentation. Le Parc Astérix fait un excellent début de saison, profitant notamment de sa nouvelle attraction Toutatis et de ses montagnes russes les plus hautes de France. C’est la nouveauté de tous les records: 36 millions d’euros (du jamais vu chez Astérix) et des wagons propulsés à 110 km/h.
Ruée vers les concerts et les festivals de musique
«Il y a un engouement absolu pour le retour des événements en live, en dépit de l’inflation. Les Français, qui ont ressenti un réel manque durant la pandémie, ne lésinent pas sur ces achats plaisirs», martèle Malika Seguineau, directrice générale du syndicat du spectacle musical Prodiss. Après plus de deux ans d’absence, les stars internationales ont fait leur grand retour dans l’Hexagone. Résultat, les billets s’arrachent, plus que jamais, en quelques minutes et à prix d’or: à partir de 115 euros pour le concert de l’anglais Ed Sheeran à l’Accor Arena le mois dernier, entre 90 et 3027 euros (en VIP) pour assister au show de la reine américaine de la musique Beyoncé fin mai au Stade de France… Entre les artistes français et internationaux, les tarifs des billets de concert pourraient bien avoir augmenté en moyenne de 10 % cette année par rapport à 2022, selon une estimation du Prodiss.
Du côté des festivals, les têtes d’affiche comme Rock en Seine, les Vieilles Charrues, Solidays ou le Hellfest avaient organisé des éditions exceptionnelles l’été dernier, en ajoutant une journée supplémentaire de programmation. «Naturellement, ils ont battu des records d’affluence», raconte Malika Seguineau. Dans l’ensemble du pays, le nombre de festivaliers l’an passé était en hausse de 9 % par rapport à 2019. Pour cette nouvelle saison, nombre d’organisateurs s’attendent à égaler ces niveaux records d’affluence.
Si les événements comme les artistes les plus connus n’éprouvent pas de difficultés à retrouver leur fidèle public, la situation reste plus contrastée pour les acteurs moins installés. Selon le Centre national de la musique (CNM), le retour des spectateurs depuis la fin du Covid-19 reste «timide» dans les petits lieux de concert. «Les réservations pour les artistes issus de la scène émergente se font désormais à la dernière minute», précise le Centre national de la musique. «Ce qui n’est pas simple pour les organisateurs qui doivent déjà jongler, comme les géants du secteur, avec l’augmentation des coûts fixes liés à la flambée des prix de l’énergie et des salaires…», ajoute-t-il.
La Ligue 1 et le Top 14 remplissent les stades
Dans tous les sports, les dirigeants de clubs revivent. Fini les stades vides à cause de la crise sanitaire: les supporteurs se précipitent pour assister à leurs spectacles sportifs favoris. Cet élan ne risque pas de se démentir au cours des prochaines semaines puisqu’on arrive au seuil des phases finales.
Pour le football, le sport roi en France, les chiffres sont meilleurs qu’avant le Covid-19. Avant même le début de la saison, les clubs de Ligue 1 affichaient une moyenne de 14.400 abonnés, soit une progression de 12 % par rapport à l’exercice 2021-2022 et de 5 % par rapport à 2019-2020 (avant la pandémie). Cette saison, à mi-championnat, les matchs de Ligue 1 affichaient une affluence moyenne de 23.850 spectateurs, pour un total de 4,5 millions. Il s’agit d’une performance historique, selon les données communiquées par la Ligue de football professionnel (LFP). Le taux de remplissage des stades, à hauteur de 81 %, est particulièrement satisfaisant. À Lens (Pas-de-Calais), en particulier, l’ensemble des matchs se joue à guichets fermés.
Pour le rugby, la satisfaction aussi est de mise. Après dix-huit journées de Top 14, le nombre de spectateurs avait grimpé de près de 20 %, à hauteur de 1,72 million, pour une moyenne de 14.000 par match. Dans cette discipline, l’événement majeur est attendu pour septembre-octobre prochain, avec la Coupe du monde de rugby organisée en France. Plus de 2 millions de billets ont déjà été vendus, avec un rush massif lors des campagnes de vente successives. Par exemple, en septembre dernier, lors de la dernière phase de vente de billets à l’unité, plus de 200.000 billets se sont écoulés en moins de sept heures.
Le marché des jeux vidéo bat tous les records
«Incroyable», «explosif», «colossal», «folie»… Les acteurs de la distribution ne manquent pas de superlatifs pour qualifier les ventes de PlayStation 5 depuis le début de l’année. Oubliées, les deux années de pénuries récurrentes en magasin. La console haut de gamme de Sony, sortie fin 2020, est désormais trouvable facilement, et les Français se jettent dessus malgré un tarif conséquent de 550 euros. «Le prix n’arrête pas les clients. Ils ont envie de se faire plaisir et de se divertir», relate Charlotte Massicault, directrice gaming chez Fnac Darty. «Cela fait quatre mois que les ventes de PlayStation 5 sont bien au-delà de nos prévisions. Les clients comprennent l’intérêt d’un tel investissement» au vu de la qualité graphique des jeux de cette console, qui profitent à plein de cet engouement.
Les exemplaires du jeu vidéo Hogwarts Legacy, tiré de l’univers Harry Potter, se sont ainsi arrachés comme des petits pains en France au point de se retrouver temporairement en rupture de stock. «Ce lancement a été spectaculaire», souligne Laurent Bouchard, PDG de Micromania. Au niveau mondial, ce jeu s’est vendu à 12 millions d’exemplaires en seulement deux semaines, soit trois fois plus que ce que projetait son éditeur Warner Bros… Autres belles performances, celles du jeu d’horreur Resident Evil 4 (Capcom) et du jeu d’action Star Wars: Jedi Survivor (EA).
La distribution se prépare désormais à ce qui s’annonce être une des plus grosses sorties de l’année: Zelda Tears of the Kingdom de Nintendo, commercialisé à partir de vendredi. «Nous estimons que 350.000 exemplaires seront disponibles au lancement en France. Et au vu des niveaux colossaux de précommandes, nous pensons que nous en écoulerons 100.000 au cours du week-end sur le réseau Fnac», dévoile Charlotte Massicault. Preuve de l’engouement du public, la Fnac Saint- Lazare ouvrira exceptionnellement ses portes vendredi à 0 h 01 pour une mise en vente anticipée du jeu.
La folie Zelda profite aussi aux ventes de la console Nintendo Switch. Une édition collector de cette machine, aux couleurs de Tears of the Kingdom (360 euros), s’est arrachée à 25.000 exemplaires à sa sortie fin avril. «Nous avons écoulé presque tout notre stock, il ne nous reste plus que quelques centaines de pièces», note Laurent Bouchard. Pour la Fnac, pas de doute, «le secteur du jeu vidéo est l’un des grands gagnants de ce début 2023».
Pâtes à tartiner, glaces, et sodas remplissent les chariots
Soda, confiserie, bonbons, biscuits, pâte à tartiner, produits apéritifs, desserts gourmands et même camembert… Les Français ne renoncent pas totalement à se faire plaisir à l’heure de faire leurs courses. Et ce, même si l’inflation alimentaire s’est envolée de près de 20 % depuis deux ans.
Alors que la consommation en grandes surfaces baisse depuis janvier (- 4,8 % au premier trimestre selon Circana) en raison de la flambée des prix, nombre de produits sont ainsi loin d’avoir quitté les paniers. Certains progressent même en volume. Ainsi des boissons plates et des sodas, dont le nombre d’unités vendues progresse de 2,8 % sur les 14 premières semaines de 2023, selon NielsenIQ. Suivent les chewing-gums et les petits bonbons (+ 5,2 %), les chips (+ 4,2 %), les biscuits (+ 1,5 %) ou les pâtes à tartiner (+ 1,9 %). Une bonne santé que confirme le poids lourd du secteur, Nutella, qui a vu ses volumes sur les huit derniers mois progresser de 6 % par rapport à la même période de 2021-2022. Avec des temps forts lors de Noël et de la Chandeleur. «La promotion est un moyen de se faire plaisir grâce à l’alimentaire, quand on se serre la ceinture sur tout le reste», soulignait il y a quelques jours le panéliste Kantar Worldpanel dans son point trimestriel sur la consommation en grandes surfaces.
Dans cette quête de ne pas tout sacrifier sur l’autel de l’inflation, les consommateurs sont aussi devenus experts dans l’art de trouver des pis-aller. Si les volumes de champagne ont dévissé de 20 % sur les trois premiers mois de l’année, c’est aussi car les Français se tournent vers des vins mousseux, dont les volumes ont grimpé de 4 % sur la même période. Les quantités de produits apéritifs ont aussi grignoté 0,4 %.
Certaines grandes marques font enfin preuve d’une étonnante résistance à la montée en puissance des marques de distributeurs, plus économiques. Grâce à la promotion, mais pas seulement. Comme Danette, dont la gamme mousse a vu ses ventes en volumes bondir de 25 % au premier trimestre de 2023. «Les Français restent attirés par l’innovation», décrypte un porte-parole du géant laitier. D’autres marques comme Schweppes, Oasis, Sodebo, Haribo, Magnum, la Laitière ou Marie avaient d’ailleurs déjà réussi à terminer 2022 sur une croissance de leurs ventes en volumes. Cette performance, elles le doivent à de multiples atouts, à commencer par la confiance qu’elles inspirent et leur «cote d’amour», selon Gaëlle Le Floch, chez Kantar Worldpanel.
Restauration rapide, le leader McDo conforté
Même à la diète côté pouvoir d’achat, les Français n’ont jamais eu autant d’appétit pour le burger. Et quand il s’agit de faire son choix, ils plébiscitent la chaîne la plus emblématique de toutes: McDo. Premier restaurateur de France, avec 1 530 établissements, l’enseigne accueille près de 2 millions de clients chaque jour. L’inflation n’a pas entamé son envie de conquête: une trentaine de nouveaux restaurants sont annoncés cette année, dans des villes moyennes et petites ; ni l’appétit de ses clients, malgré un ralentissement de leur fréquence de visites du fait de l’inflation. «La consommation de restauration en général, et rapide en particulier, résiste fortement», constate François Blouin, président de Food Service Vision.
Avec 75 % du marché des chaînes de fast-food burger et poulet, McDo a le côté rassurant de l’enseigne leader. Ses communications répondent aux inquiétudes du moment: elles sont engagées en matière d’approvisionnement local et de développement durable. En mars, McDo a notamment lancé des frites de légumes (betteraves, carotte, panais), pour une durée limitée.
À l’année, l’enseigne adapte son offre et l’élargit pour adresser à tous les budgets, et répondre à toutes les faims, du matin au soir. Pour compenser des hausses de prix, elle lance des promotions ciblées. Une opération «Un jour, un bon plan» vient par exemple d’être lancée, avec la possibilité d’acheter un Sunday à 1,50 euro ou un Cheeseburger à 2 euros.